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Il y a ce qu'on voit et ce
qu'on ne voit pas. Le leitmotiv est bien connu … depuis au moins
Frédéric Bastiat.
Le domaine de la monnaie est exemplaire à ce propos...
Il y a ce que la monnaie montre et ce qu'elle cache ou contribue à cacher.
La réforme permanente, l'évolution réglementaire –
dont l'inconvertibilité autoritaire des substituts de monnaie en
monnaie introduite progressivement au XXème siècle dans tous
les pays du monde - a contribué à la perte de connaissances du
commun des mortels dans le domaine de la monnaie quand elle n'a pas rendu
celle-ci magique à beaucoup d'yeux.
La rhétorique a eu aussi un rôle bien toxique et elle perdure.
La rhétorique en économie politique, c'est à la fois
l'utilisation de mots plus ou moins bien définis dans le langage
courant et la non utilisation de concepts, soit parce que les concepts
n'existent pas, n'ont pas été cernés, sont inconnus de
celui qui parle ou se fait entendre, soit parce que ce dernier ne veut pas
les utiliser.
On parle ainsi d' « inconvénient »
plutôt que de « perte » ou de
« coût », on parle d'
« avantage » plutôt que de « gain »,
de « bénéfice comptable ou financier »,
de « profit attendu avec incertitude ».
En France, on continue vaillamment à parler d'
« argent » plutôt que de
« monnaie » quoique le « franc »
n'existe plus et ait été remplacé par l' « euro ».
Il y a cent ans, il y avait au moins une raison de parler d'argent en France.
La pièce de 5g d'argent qui définissait le franc servait dans
les paiements quotidiens, circulait.
En particulier, elle était convertible par la Banque de France
à la demande contre 322mg d'or, de l'or qui lui aussi circulait
librement sous forme de pièces pour les paiements quotidiens.
Aujourd'hui, il n'y a aucune raison de parler d'argent, sauf celle
d'entretenir une illusion détestable, et les réalités
sont inversées.
La pièce de un euro qui sert aux paiements quotidiens et circule est
un alliage de métaux en proportions respectives ignorées et
dont on ne parle pas.
L'euro est en vérité la dénomination de la
réalité suivante :
- un accord politique (cf. "L'euro : si ex nihilo non est, sed ex quo ?")
passé dans la décennie 1990 entre des gouvernements nationaux
dont toutes les clauses n'ont pas été respectées,
sitôt appliqué, et sont remises sur le métier et
réformées en permanence,
- Un ensemble de coefficients.
Le coefficient qui a fait passer du franc à l'euro, le taux de
conversion du franc en euro, à savoir :
1 euro = 6,55957 FF
mais aussi les autres coefficients qui ont fait passer respectivement les
autres monnaies nationales réglementées concernées
à l'euro.
Tout cela pour ne pas parler des institutions qui se greffent dessus et ont
été créées pour l'occasion ou une autre.
Bref, comme la monnaie – le D.T.S. pour "droit de tirage
spécial" - qu'a créée un temps le Fonds
monétaire international, l'euro est un « néant
habillé en monnaie » (© Jacques Rueff).
Comment, me demanderez-vous, expliquer l'apparition dans la nuit des temps,
puis la pérennité de ce qu'on va dénommer
« monnaie » ?
Comment expliquer la disparition des certaines formes de monnaie et
l'apparition de nouvelles ou la juxtaposition de nouvelles aux anciennes
jusqu'à aujourd'hui inclu.
Voilà deux grands questions d'économie politique à quoi
empêchent de répondre tant la rhétorique que la plupart
des écoles de pensée économique.
La réponse à la première question est pourtant directe
si on a les bons concepts.
La monnaie est un diviseur du « temps de
l'échange », facteur praxéologique.
En tant que tel, sous sa forme primordiale de la nuit des temps (coquillage,
tête de bétail, etc...), elle a divisé le temps de
l'échange en deux mi-temps, le mi-temps de l'offre du bien dont on est
prêt à se séparer, le mi-temps de la demande du bien
qu'on désire ou dont on a besoin.
En conséquence, elle a diminué le « coût
d'opportunité de l'échange ». L'échange a un
coût car, au minimum, il « prend du temps ».
En tant que telle, la monnaie est donc universelle, mondiale.
Et la question récurrente de la monnaie mondiale que posent certains
est une fausse question.
Mais elle n'a pas réduit le coût de l'échange à
zéro, il fallait donc s'attendre à de nouvelles formes.
Et des formes ont vu le jour, et le coût de l'échange n'est
toujours pas réduit à zéro...
Le phénomène de la « non réduction à
zéro » a suscité des appétits bien humains,
ceux des "innovateurs", et des convoitises bien humaines
elles-aussi, celles des "hommes de l'Etat".
En sont résultés, d'un côté, des pièces de
métal, des coupures de billets en papier, des comptes de
dépôt à vue, etc. et, de l'autre, des privilèges
de monopole et d'autres réglementations.
Et c'est la réponse à la seconde question.
Si vous ne voyez pas ou refusez de voir que l'échange est une action
humaine qui, entre autres, prend du temps, ou bien si vous considérez
que le concept d' « action humaine » est sans
intérêt scientifique, ou bien si vous dénaturez ce
dernier concept en considérant que le profit attendu qui fait mener
une action plutôt que telle autre peut être certain, vous passez
à côté de la réponse à la question.
Le fait est qu'une large majorité de théoriciens de
l'économie politique se moquent de la question.
Certains, et non des moindres, en arrivent même, un peu coincés
par leurs hypothèses et comme pour se faire pardonner, à la
métaphore de "la monnaie tombée d'un
hélicoptère" !
D'autres n'ont pas ce sursaut. Et c'est ainsi que ni les concepts de la
théorie de l'équilibre économique général,
ni ceux de la macroéconomie ne permettent de répondre à
la question.
Ce qu'on voit aujourd'hui, ce sont ainsi des monnaies nationales –
voire régionales comme l'euro – de marques différentes.
Ce qu'on ne voit pas, c'est que les monnaies en question sont
réglementées par des gens qui, selon le mot prêté
à Talleyrand : "Lorsque les évènements vous
dépassent, feignez d’en être les instigateurs", sont
dépassés, mais disposent de la force violente pour faire
aboutir leurs actions.
A coup sûr, le seigneuriage perçu sur les pièces de
métal ou l'altération de celles-ci hier était plus
simple à mettre en oeuvre que la supervision par la banque centrale de
tel ou tel pays ou région des banques de second rang ou que la
« politique monétaire » aujourd'hui.
Mais entre temps, on a su abuser des billets, une fois que le principe de
ceux-ci avait été mis au point pour, entre autres, s'affranchir
des « maladies » de la pièce de métal.
Et, de nouveau, entre temps, on a su abuser des dépôts à
vue, une fois que le principe de ceux-ci avaient été mis au
point pour, entre autres, s'affranchir des « maladies »
des pièces et des billets.
Il reste que, si les gouvernements peuvent activer leur force violente
à l'intérieur de leur territoire de juridiction, ils ne peuvent
le faire à l'extérieur de celui-ci : soit ils composent et
passent des accords, soit c'est le conflit, la fameuse « guerre monétaire ».
A l'expérience, on constate que le conflit succède à
l'accord et que l'accord succède au conflit.
Un grand accord international a été passé, en 1922,
à Gènes entre un certain nombre de gouvernements (cf. Rueff,
1971, Le péché
monétaire de l'Occident) au terme de quoi les monnaies
nationales réglementées échangeables en or à taux
fixe pourraient être employées en paiements des échanges
internationaux de préférence à l'or.
Dans la foulée, la convertibilité en argent a été
passée à la trappe.
On sait la suite.
Dans un premier temps, les gouvernements des pays signataires ont
distingué la convertibilité intérieure et la convertibilité
extérieure de leurs monnaies respectives et ont progressivement
interdit la convertibilité intérieure en or dans la
décennie 1930 (en 1937, le franc n'est plus ainsi convertible en or en
France).
Dans un second, ils ont dénoncé la convertibilité extérieure
de leur monnaie (à commencer par le président des Etats-Unis en
1971).
Ce qu'on ne voit pas et qu'il faut regretter, c'est qu'on fait endosser
à la monnaie des « qualités » qu'elle n'a
pas, qu'on lui impute des "inconvénients", faute de
connaître les concepts.
La monnaie n'a pas d'inconvénient.
Le coût de l'échange avec monnaie - ce que Ludwig von Mises
dénommait l' « échange indirect » - est
diminué par rapport à ce qu'il est sans monnaie, mais pas
réduit à zéro : il y a un coût résiduel. Un
point, c'est tout.
Malheureusement, le plus souvent, inconsciemment, on impute à la
monnaie ce coût résiduel !
Et on exprime cela avec les mots de tous les jours : la monnaie a des
inconvénients !
« A qui profit le crime ? »
A ceux qui se font forts et qui convainquent de réduire les
inconvénients de la monnaie par la réglementation ou la
politique monétaire ! C'est toujours l'histoire du doigt du sage qui
montre la lune et l'imbécile qui regarde le doigt.
Parallèlement, sans bruit, il y a aussi ceux qui innovent dans le
domaine.
Dernière innovation en date : la monnaie électronique (cf.
"La monnaie électronique est-elle une monnaie
nouvelle?") .
Mais le coût de l'échange n'est toujours pas nul, il y a
toujours un coût résiduel certes atténué.
Et la monnaie électronique sera règlementée, et le
dernier accord monétaire international en date sera
altéré et la prochaine "guerre des monnaies"
potentielle renforcée, … ou l'inverse.
Bref, s'il y a bien un phénomène économique
étranger aux concepts de « guerre » et de
« paix », c'est celui de la monnaie.
Mais, parce que les hommes de l'Etat ont mis la main dessus, croient pouvoir
faire n'importe quoi avec elle, entrave la liberté à son sujet,
et que la guerre et la paix sont en définitive leur fonds de commerce,
on voit malheureusement dans la monnaie tantôt
une guerre tantôt une paix.
Georges Lane
Principes de science économique
Georges Lane
enseigne l’économie à l’Université de
Paris-Dauphine. Il a collaboré avec Jacques Rueff, est un membre du
séminaire J. B. Say que dirige Pascal Salin, et figure parmi
les très rares intellectuels libéraux authentiques en France.
Publié avec
l’aimable autorisation de Georges Lane. Tous droits
réservés par l’auteur
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