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La presse le
claironne à tous les vents, "la reprise semble
s’amorcer". Certes, c’est une reprise timide, "il faut
être prudent", mais enfin, la chute du chômage s’est
ralentie et le chiffre de la croissance en juillet s’est
révélé légèrement positif, ce qui suffit
à redonner aux analystes l’espoir d’une sortie de crise,
peu spectaculaire, mais régulière.
De
surcroît, le même phénomène est observable outre
Atlantique : fort ralentissement apparent de la dégringolade de
l’emploi, chiffres de croissance à nouveau très
légèrement positifs, reprise très légère
des ventes de maisons.
Ben Bernanke lui
même claironne que la sortie de crise est pour 2010. J'y reviendrai en
fin de note.
Et puis, il y a
les marchés, en superforme depuis leur point bas de Mars 2009. Le
CAC40, pour ne parler que de lui, a pris 43% au 24 Août,
effaçant la moitié des pertes subies depuis Août
2008. N’est-ce pas la preuve que les agents économiques
retrouvent la confiance ? Après tout, la croyance selon laquelle
les marchés financiers « anticiperaient »
l'état réel de l'économie est bien ancrée. Il y aurait
beaucoup à dire sur cette croyance, ce sera pour une autre fois.
Je voudrais, je
voudrais tant qu’ils aient raison. La crise fait et fera souffrir tant
de monde que nous voudrions tous en sortir vite. Mais je n’en crois
rien. La « reprise américaine » est purement
factice, et un nouveau plongeon me paraît inévitable. Et les maux
de l'Europe ne sont pas différents.
Deuxième
vague de crédits « explosifs » aux USA
Je vous ai
déjà parlé (ici et là, une synthèse est
également accessible
sur lepost) des échéances très dures
qui attendent les banques américaines à partir de la
rentrée : de nombreux crédits hypothécaires
particuliers et commerciaux vont atteindre leur date de réajustement
contractuel, c'est-à-dire de fin de remboursement des seuls
intérêts (en général) ou de fin des taux
d’appel « discount », entre fin 2009 et 2012. Ces
réajustements devraient provoquer une nouvelle vague de faillites
d’emprunteurs, sachant que les plans divers d’aides aux
emprunteurs en difficulté, ainsi que la pratique largement
répandue du "recourse loan", c'est-à-dire du
prêt ou l’abandon de la maison financer à crédit
solde le compte de l’emprunteur vis-à-vis de la banque, incitent
un nombre croissant d’emprunteurs à « planter »
leur banque même s’ils peuvent faire face aux
échéances. Au moins un quart des défaillances
d'emprunteurs sont le fait de gens qui « jouent » avec
les failles du système (the
economist).
J’ai
oublié de mentionner, à l’ époque, une autre
bombe à retardement financière qui menace
l’économie américaine (et aussi européenne,
d'ailleurs) : la
bulle des LBO, Leverage Buy Out, ces rachats
d’entreprises financés à coup de crédit par des
fonds d’investissement aujourd’hui incapables de payer leurs
échéances, vu que la valeur et les résultats des sociétés
rachetées ont plongé. Encore des pertes, qui s'ajoutent
à tous les autres pertes sur les autres types de crédit
octroyés par les banques...
Or, tout porte
à croire que les banques ne sont pas en mesure de passer sans encombre
ce deuxième cyclone financier.
Comme je l'ai
déjà écrit, la question est de savoir d'une part quelle
est la part d'actifs douteux déjà rachetés aux banques
par le plan TARP et par la FED, d'autre part quelle est l'importance
des actifs toxiques encore dans les comptes des banques, et à quelle
valeur ces actifs sont comptés, réelle ou fantasmée.
Tout indique que
les réponses à toutes ces questions sont peu rassurantes.
Les grandes
banques affichent des profits alors que leurs activités
traditionnelles sont au plus mal. Comment est-ce possible ? De nombreux
analystes estiment simplement que l'abandon de la règle du mark to
market a permis au banques de se livrer à des maquillages comptables
honteux.
Selon moult
analystes comme J. Mauldin, Barry Ritholtz, ou Karl Denninger, les banques
ont utilisé les artifices suivants :
- Retard de mise en place des
procédures de saisie et revente des maisons forcloses, afin de
retarder l’enregistrement de la perte correspondante sur les prêts
ayant servi à les financer
- Usage de règles comptables
folkloriques pour retarder l’inscription de
dépréciations d’actifs. La faillite de la banque
« Colonial », il y a quelques semaines, a donné
un aperçu de l’ampleur de ces pratiques de
surestimation : la FDIC et les banques repreneuses ont du
enregistrer une dévalorisation des actifs de 37%, contre environ
18% pour les faillites enregistrées au second semestre
2008 ! Personne ne peut dire combien de banques ont profité
de l’abandon du Mark to Market fin 2008 pour se livrer à un
tel jeu de poker menteur. (A noter: Colonial avait réussi les
fameux "stress tests"...)
- Usage des fonds injectés par
la FED pour effectuer des opérations de trading sur les
marchés action plutôt que pour effectuer des prêts,
faute de demande...: la hausse des marchés financiers n’est
qu’une bulle spéculative de plus à
l’intérieur de la bulle immobilière en train
d’éclater. Avant la fin de l’année, le Rallye
devrait s’achever, quand les banques et les equity funds devront
revendre les titres qu’ils ont achetés pour dégager
le cash nécessaire à éponger la vague de faillites
d’emprunteurs ci avant évoquée.
Mais les artifices comptables sont à la faillite ce que le parachute
est à la loi de la gravité : cela retarde la chute, mais
ne l’empêche pas.
Quelques raisons
légitimes de douter de la santé affichée par les
banques…
Faut-il le
rajouter ? La situation des ménages continue de se
dégrader. Le taux de délinquance des prêts
hypothécaires atteint aujourd’hui un étourdissant
13.2% : 8.8% de prêts dont les remboursements connaissent un
retard, et 4.4% de prêts en faillite. Pis même, alors
qu’entre 2000 et 2006, 45% des prêts connaissant un retard se
rétablissaient, cette
proportion est tombée à 6.6% mi 2009, et
ceci, tout type de prêts confondus, y compris les prêts
« prime » consentis aux emprunteurs soi-disant les plus
fiables.
Ajoutons que ce
pourcentage porte sur le nombre de prêts, mais qu'en valeur, il
représente bien plus, puisque les états les plus
« bullaires », ceux où le montant unitaire des
prêts était donc le plus élevé, sont
sur-représentés dans les faillites (Californie, Nevada,
Floride).
Le
« bon » chiffre de vente de maisons (une hausse de... 7,2%
, pas de quoi pavoiser) n’est qu’apparent : seules 32% des
ventes enregistrées sont issues d’un processus
« normal », 31%
sont des ventes forcées suite à forclusion (enchères),
quant aux 37% restant, ce sont des ventes
« subventionnées » : crédit d'impôt
de 8 000$, prêts bonifiés... Comme « reprise de
l'activité immobilière », on a vu mieux. Cette
hausse des ventes ne concerne que des articles à moins de 250 000$,
avec une forte prédominance des ventes à moins de... 100 000$. Au delà, les chiffres sont
simplement calamiteux. La reprise, donc ?
Si l’on
ajoute que le taux d’utilisation des capacités de production
reste au plus bas, que le taux de chômage atteint la limite
supérieure considérée par les « stress
tests » menés par la FED en tout début
d’année, et que la FDIC,
organisme fédéral d’assurance des comptes des
déposant, voit ses caisses vidées par les faillites successives
de banques, ce qui risque de provoquer des « bank
runs » d’épargnants inquiets, rien ne permet de
croire que la fin 2009 et le début 2010 se passeront tranquillement
pour les banques US.
Naturellement,
toutes ces péripéties auront des répercussions sur les
banques européennes, dont la « bonne
santé » financière n’est qu’un trompe
l’œil, résultat ici aussi d’injections massives de la
BCE et de l’abandon de pratiques de Mark to Market*.
Or, la
performance du CAC40 depuis entre fin mars 2009 et fin août est
très largement due aux performances affichées des
financières : +43% pour le CAC, +28% pour les entreprises non
financières de l’indice, et +166% pour les
financières selon mes calculs ! (Axa, BNP, SocGen, Dexia,
CA). Aux USA et ailleurs aussi, la hausse des financières a
grandement contribué à la remontée des indices
boursiers. Tout porte à croire que ce rétablissement est
purement artificiel.
Une rechute des
banques réentraînera donc l’indice phare de Paris (mais
aussi le DOW, le Footsie et les autres) vers de nouvelles abysses.
Le mur de la
dette
Le trésor
US continue d’emprunter à un rythme effréné :
environ 200 milliards de dollars pour la seule deuxième quinzaine
d'Août. Selon Karl
Denninger, à ce rythme, ce sont 5 000 milliards de
dette qui seraient émis sur 12 mois par le trésor:
insoutenable. 5000 milliards, c'était à peu de chose
près le montant TOTAL de la dette publique américaine
négociable accumulée sur des générations. Le
trésor va devoir se calmer très vite.
Les pertes
prévisibles des banques (et assurances) d’ici la fin de
l’année vont réduire mécaniquement, Bâle II oblige, leur
capacité à prêter de l’argent, que ce soit aux
Etats ou aux entreprises.
L’administration
Obama vient de réviser à la hausse ses projections de
déficit public cumulés d’ici 10 ans : de 7 000
milliards de dollars annoncés en avril, ce qui était
déjà énorme (50% du PIB d’avant crise), l’on
passe à 9 000 milliards, pour tenir compte des coûts de la
réforme de santé voulue par le président. 2 000
milliards en 3 mois ! Notre duo d'amuseurs Woerth-Lagarde est
enfoncé.
L’endettement
des USA, qui était de 5500 milliards avant la crise, hors
déficits des comptes sociaux, et de 9 000 milliards avec ces
déficits, devrait donc joyeusement grimper à 18 000
milliards… Et ce alors que tous les pays du monde suivent la même
tendance.
Or, plusieurs
rapports d’analystes déjà cités ici (Sprott, Mauldin), tendent à montrer
qu’il n’y aura tout simplement pas assez d’épargne
disponible dans le monde pour assouvir de tels besoins d’argent frais.
La FED et la BCE,
sans oublier la banque d'Angleterre, devront donc poursuivre leur course au
"Quantitative Easing",
c'est-à-dire au rachat direct de bons du trésor par
création monétaire. Mais jusqu’où cela
ira-t-il ?
Quelques
observateurs estiment que le "deleveraging" de
l’économie américaine surpassera en ampleur cette
création monétaire et qu’il n’y aura donc pas
d’inflation. Mais si ces déficits ne servent qu’à
gonfler les poches des états, qui les dépenseront à tort
et à travers via leurs « plans de relance »,
alors la circulation monétaire tendra à reprendre son cours
normal, et toute cette création de monnaie sans création
réelle de valeur se traduira par une forte poussée
inflationniste, selon la formule bien connue de Fischer, MV = PT (Masse monétaire
X Vitesse de circulation = volume de Transactions X niveau des Prix).
Lueurs
d’optimisme ?
J’ai beau
chercher des raisons de me montrer optimiste, je n’en vois aucune.
L’économie américaine devait purger la création de
4 000 milliards de dollars (le montant calculé par W.Cox de la surexposition au
risque engendrée par la combinaison d’argent
facile et de réglementations foncières favorables à la
formation d’une grosse bulle) de crédit hypothécaire sans
création de valeur correspondante lorsque la crise s’est
déclenchée. En refusant d’admettre la
nécessité de cette purge, et en prétendant sauver
la haute finance de ses turpitudes par une injection d’argent factice
sans précédent, les gouvernements américains (Bush
et Obama sont à mettre dans le même sac) ont juste
contribué à accroître le montant de l’exposition au
risque globale de l’économie américaine, et à
retarder son inéluctable réajustement, lequel sera bien plus
dur que les douze mois calamiteux que nous venons de passer.
Bref, Ben
Bernanke peut toujours déclarer que la sortie de crise est pour
bientôt, et se vanter d'avoir "évité le pire
à l'économie US", rien n'incite à croire qu'il
faille le croire cette fois ci. Voici une de ses
déclarations:
"Our
forecast is for moderate but positive growth going into next year. We think
that by the spring, early next year, that as these credit problems resolve
and, as we hope, the housing market begins to find a bottom, that the broader
resiliency of the economy, which we are seeing in other areas outside of
housing, will take control and will help the economy recover to a more
reasonable growth pace."
Optimiste, non ? sauf que cette citation date
de... Novembre 2007. Ayez confiance, on vous dit !
Certains auteurs
font remarquer que le « début de reprise » que
nous observons ressemble au contraire curieusement à celui
observé au début de 1930...
source
Ce genre de
superposition de courbe est un procédé parfois facile, mais
tout porte à croire que nous allons suivre le même chemin. Et
franchement, cela n'a rien de rassurant.
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note : (*) J'ai critiqué la norme
"mark to
market ici",
puis j'ai tempéré cette critique (je ne retrouve pas le
paragraphe...), mais quitte à la remplacer, il ne fallait pas la
remplacer par n'importe quoi, c'est à dire les normes
antérieures qui avaient abouti à bien des fraudes, et ce dans
la précipitation, comme cela a été fait fin 2008. Le
remède sera une fois de plus pire que le mal, qui aboutira à
rendre la crise pire encore.
Vincent
Bénard
Objectif Liberte.fr
Egalement par Vincent Bénard
Vincent Bénard, ingénieur
et auteur, est Président de l’institut Hayek (Bruxelles, www.fahayek.org) et Senior Fellow de Turgot (Paris, www.turgot.org), deux thinks tanks francophones
dédiés à la diffusion de la pensée
libérale. Spécialiste d'aménagement du territoire, Il
est l'auteur d'une analyse iconoclaste des politiques du logement en France, "Logement,
crise publique, remèdes privés", ouvrage publié
fin 2007 et qui conserve toute son acuité (amazon), où il
montre que non seulement l'état déverse des milliards sur le
logement en pure perte, mais que de mauvais choix publics sont directement
à l'origine de la crise. Au pays de l'état tout puissant, il
ose proposer des remèdes fondés sur les mécanismes de
marché pour y remédier.
Il est l'auteur du blog "Objectif
Liberté" www.objectifliberte.fr
Publications :
"Logement: crise publique,
remèdes privés", dec 2007, Editions Romillat
Avec Pierre de la Coste : "Hyper-république,
bâtir l'administration en réseau autour du citoyen", 2003, La
doc française, avec Pierre de la Coste
Publié avec
l’aimable autorisation de Vincent Bénard – Tous droits
réservés par Vincent Bénard.
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