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Par
touches successives, un nouveau paysage se dessine. Les incertitudes propres
à la Grèce s’élargissent progressivement au
Portugal, à l’Espagne et à l’Italie. Chacun
d’entre eux empruntant à son rythme son propre chemin pour en
définitive aboutir à une même impasse.
Vu
sa proche échéance, le sort de la Grèce domine. Il
continue d’être problématique en raison des
négociations tendues sur la restructuration de sa dette qui vont
reprendre demain, ainsi que d’un nouveau round de discussions avec la troïka,
à peine engagé aujourd’hui. Ce dernier doit aboutir
à un cocktail de nouvelles mesures d’austérité et
de réformes structurelles, en vue de débloquer un
prêt de 130 milliards d’euros, à condition toutefois que
la restructuration fasse préalablement l’objet d’un
accord. Fillipos Petsalnikos,
le président du Parlement grec, vient de déclarer attendre de
la troïka de la « compréhension” : c’est
dire sous quels auspices délicats elles s’engagent également.
À
en croire la Banque d’Italie, le pays est condamné à
connaître en 2012 et 2013 une récession, dont l’ampleur
dépendra de l’évolution du taux auquel elle empruntera.
Au mieux, l’Italie pourrait selon ses hypothèses
prétendre retrouver une croissance nulle en 2013. Comme si elle
était tombée dans un piège, dont elle ne pouvait que
très hypothétiquement sortir. L’objectif de
réduction de sa dette étant exprimé en pourcentage du
PIB, une telle situation rend en effet infernale sa diminution. Faute de croissance,
ou d’une diminution des taux auquel le pays doit emprunter pour
refinancer sa dette, la question de sa restructuration ne pourra pas
être très longtemps éludée.
La
même question pourrait se trouver plus rapidement posée au
Portugal, dont la note a été reléguée à la
catégorie investissement spéculatif. Ce qui
entraîne la vente des titres portugais par de nombreux
établissements financiers et contribue à augmenter les taux en
diminuant leur valeur (ils se négocient à 50% de leur valeur
nominale, et le taux à 10 ans est aujourd’hui de 14,40%). Sur le
marché des CDS, la possibilité que le Portugal fasse
défaut dans les cinq prochaines années est désormais de
65%.
Le
scénario portugais annonce une montée progressive des taux sur
la dette, même si une émission à court terme a
aujourd’hui enregistré leur baisse, comme cela a
été le cas hier pour l’Espagne et l’Italie. Cela a
comme conséquence que, refinancée de plus en plus fréquemment,
la charge des intérêts de la dette est alors plus sensible
à une éventuelle hausse des taux.
Un
même phénomène est d’ailleurs en cours pour le
FESF, qui emprunte par précaution à court terme afin de remplir
ses engagements vis à vis des pays bénéficiant
d’un “plan de sauvetage”. Le marché obligataire
répond de moins en moins bien à l’émission de
titres à maturité longue par de nombreux pays, diminuant la
maturité moyenne de la dette souveraine européenne globale en les incitant à privilégier les
maturités courtes. La réussite des émissions de ces
titres ne doit quant à elle pas être cherchée très
loin: les banques se procurent ainsi du collatéral en vue de la
prochaine injection de liquidités à trois ans de la BCE,
prévue fin février et annoncée comme devant une nouvelle
fois être massive, considérant que, s’il y a risque de
défaut, celui-ci n’interviendra qu’une fois leur
remboursement intervenu.
Pour
d’autres raisons, l’Espagne n’est pas mieux lotie. Le
gouvernement vient de se trouver dans l’obligation de soutenir les
régions en leur ouvrant des lignes de crédit auprès de
l’Institut de crédit officiel (ICO), afin qu’elles
puissent payer leurs factures… et effectuer leurs versements
réguliers à l’administration centrale afin de ne pas
accroître leur dette à son égard ! Il leur est
également accordé cinq années supplémentaires
pour rembourser celle-ci, qui s’est accumulée. De nombreuses
régions espagnoles sont effet coupées du marché, tandis
que leurs recettes déclinent en raison de la récession.
Par
ailleurs, le prix de l’immobilier continue de chuter, augmentant le taux
des défauts enregistrés par les banques. Vu son pic
antérieur de 2008, le marché immobilier est appelé
à continuer de descendre la pente, la baisse enregistrée
n’étant encore que de 20% ! Le gouvernement ne s’est pas
engagé comme il le prévoyait dans la création
d’une bad bank,
mais ce n’est probablement que partie remise, avec comme
conséquence de reporter la charge d’une partie au moins de la
dette privée sur l’État. Comment celle-ci pourra-t-elle
être dans ces conditions réduite, entre le sauvetage des
régions et celui des banques ?
Publique
ou privée, la dette se révèle progressivement
insoutenable. Les agences de notation ne font finalement que le constater, en
dépit des procès en sorcellerie qui leur sont faits.
La
situation de l’Irlande ne doit pas être passée sous
silence pour parachever ce tableau. Au nom de la convergence fiscale
européenne, les Allemands et les Français étudient
actuellement un train de mesures, dont certaines auraient pour
conséquence d’obliger l’Irlande à s’aligner
sur le taux d’imposition des bénéfices des entreprises du
continent. Faisant perdre au pays son avantage concurrentiel et son
attrait pour les entreprises transnationales qui l’utilisent
comme tête de pont pour l’Europe, avec à la clé
leur retrait possible ainsi que la baisse des rentrées fiscales de
l’État. Tous les chemins, décidément,
mènent à l’impasse…
Mario
Monti se confirme être à l’offensive vis à vis de
ses collègues européens et notamment allemands, demandant
à être soulagé de la pression que les marchés
exercent sur l’Italie, afin que puisse être donné aux
Italiens un premier signal que leurs efforts ne sont pas inutiles… et
permettre d’en demander d’autres. Il cherche à obtenir
l’émission d’euro-obligations qui donneraient accès
au marché à des conditions moins défavorables, car les
taux actuels ne seront pas tenables très longtemps.
Les
gouverneurs de la BCE semblent pour leur part engagés dans un
début de réflexion. Non pas à propos de l’achat
d’obligations souveraines lors de leur émission – une zone
interdite – mais de celui d’autres obligations, par exemple
émises par les grandes entreprises. Car un nouveau sujet
d’inquiétude a grandi, avec la nouvelle rafale de
dégradations de la note opérée par Standard & Poor’s, cette fois-ci de 13 entreprises européennes,
alors que d’autres encore sont annoncées pour dans quatre
semaines. Une quarantaine d’entreprises, 85 groupes bancaires et 15
assureurs ont été en effet placés sous surveillance
depuis début décembre. La crise de la dette prendra alors toute
sa dimension si de nouvelles dégradations sont opérées,
ramenant le discours sur la dette publique à ce qu’il est : une
opération de diversion.
Si
cette double perspective se concrétisait, la
BCE serait une nouvelle fois à la manœuvre, devant élargir
son filet de sécurité des banques aux grandes entreprises en se
substituant toujours plus au marché. Elle s’engagerait encore
plus clairement dans la voie de la création monétaire,
qu’elle ne reconnait pas emprunter mais qu’elle pratique
déjà, au prétexte qu’elle est indispensable au bon
fonctionnement de ses instruments monétaires… Ses prêts
à trois ans, quant à eux, ne s’y apparentent certes pas
formellement, mais ils sont très bord cadre. On peut parler
à leur sujet de quasi création monétaire.
Que
restera-t-il d’autre de disponible comme levier pour agir ? Le FMI,
bien entendu ! Christine Lagarde vient d’annoncer que son conseil
d’administration l’a très opportunément
autorisée à “examiner” les moyens d’augmenter
les ressources du fonds. En réalité, elle n’avait pas
attendu cette décision formelle avant de multiplier les contacts
exploratoires, sans grand succès. Le sommet de décembre avait
annoncé qu’il était envisagé un apport
européen de 150 milliards d’euros (192 milliards de dollars),
afin qu’en retour le FMI puisse accorder des prêts de
précaution aux pays qui en auraient besoin, sans qu’il soit
nécessaire de suivre la lourde procédure des plans de
sauvetage.
Selon
l’AFP, le FMI pourrait chercher à augmenter ses ressources de
600 milliards de dollars. Il ne dispose actuellement que de 385 milliards de
dollars et voudrait être en mesure de prêter jusqu’à
885 milliards de dollars, le solde en étant conservé en
réserve. Manqueraient à l’appel, si les Européens
concrétisaient leur engagement, 308 milliards de dollars, les
Américains ayant fait savoir qu’il ne fallait pas compter sur
eux.
On
attend donc la concrétisation de la décision britannique, qui
ne sera pas sans contrepartie, notamment sur le dossier de la
régulation financière… Hors Europe, à
l’exception du Japon qui contribue symboliquement aux émissions
du FESF et le fait savoir, les états membres du FMI ne se bousculent
pas. L’ambiance est à considérer que les Européens
doivent se sauver eux-mêmes et qu’il est prioritaire
d’établir un cordon sanitaire autour de l’Europe, ou de
réserver les munitions pour d’autres pays.
Les
dernières prévisions de la Banque Mondiale retirent toute
crédibilité au concept de cordon sanitaire. “Les
pays en développement doivent se préparer à de nouveaux
risques de détérioration, alors que la crise de la dette dans
la zone euro et l’affaiblissement de la croissance dans plusieurs
grandes économies émergentes assombrissent les
prévisions de croissance dans le monde”. En d’autres termes,
on assiste à l’inverse de ce qui était prédit, qui
prévoyait que la croissance des pays émergents allait tirer
celle des pays occidentaux. Les deux se révèlent se contaminer
mutuellement, posant avec encore plus d’acuité une nouvelle
question qui ne va plus pouvoir être éludée sur les
fondements de la croissance et de son calcul…
Décidément,
le cadre craque de partout.
Enfin,
pour ce qui touche à la Grèce, la négociation à
propos de la restructuration de sa dette porte sur le partage de la charge
qui en résulte et illustre la difficulté de l’exercice.
Une fois enregistré que les hedge funds font la mauvaise tête et réduisent le
volume de la dette restructurée en ne participant pas à l’accord
volontaire, il est nécessaire de réduire le taux des
nouvelles obligations qui vont être émises en échange des
actuelles, au détriment alors des banques qui y participent,
expliquant qu’elles y renâclent. Sinon, il faut soit impliquer la
BCE dans l’échange, soit augmenter le prêt de 130
milliards d’euros, ou bien encore accroître encore
l’ampleur des mesures exigées du gouvernement grec. Il n’y
a donc que des mauvaises solutions, car chacune d’entre elles rebondira
en créant d’autres problèmes.
Billet rédigé par
François Leclerc
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