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Cours Or & Argent

Le cadre craque de partout

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Publié le 19 janvier 2012
1680 mots - Temps de lecture : 4 - 6 minutes
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Rubrique : Editoriaux

 

 

 

 

Par touches successives, un nouveau paysage se dessine. Les incertitudes propres à la Grèce s’élargissent progressivement au Portugal, à l’Espagne et à l’Italie. Chacun d’entre eux empruntant à son rythme son propre chemin pour en définitive aboutir à une même impasse.


Vu sa proche échéance, le sort de la Grèce domine. Il continue d’être problématique en raison des négociations tendues sur la restructuration de sa dette qui vont reprendre demain, ainsi que d’un nouveau round de discussions avec la troïka, à peine engagé aujourd’hui. Ce dernier doit aboutir à un cocktail de nouvelles mesures d’austérité et de réformes structurelles, en vue de débloquer un prêt de 130 milliards d’euros, à condition toutefois que la restructuration fasse préalablement l’objet d’un accord. Fillipos Petsalnikos, le président du Parlement grec, vient de déclarer attendre de la troïka de la « compréhension” : c’est dire sous quels auspices délicats elles s’engagent également.


À en croire la Banque d’Italie, le pays est condamné à connaître en 2012 et 2013 une récession, dont l’ampleur dépendra de l’évolution du taux auquel elle empruntera. Au mieux, l’Italie pourrait selon ses hypothèses prétendre retrouver une croissance nulle en 2013. Comme si elle était tombée dans un piège, dont elle ne pouvait que très hypothétiquement sortir. L’objectif de réduction de sa dette étant exprimé en pourcentage du PIB, une telle situation rend en effet infernale sa diminution. Faute de croissance, ou d’une diminution des taux auquel le pays doit emprunter pour refinancer sa dette, la question de sa restructuration ne pourra pas être très longtemps éludée.


La même question pourrait se trouver plus rapidement posée au Portugal, dont la note a été reléguée à la catégorie investissement spéculatif. Ce qui entraîne la vente des titres portugais par de nombreux établissements financiers et contribue à augmenter les taux en diminuant leur valeur (ils se négocient à 50% de leur valeur nominale, et le taux à 10 ans est aujourd’hui de 14,40%). Sur le marché des CDS, la possibilité que le Portugal fasse défaut dans les cinq prochaines années est désormais de 65%.


Le scénario portugais annonce une montée progressive des taux sur la dette, même si une émission à court terme a aujourd’hui enregistré leur baisse, comme cela a été le cas hier pour l’Espagne et l’Italie. Cela a comme conséquence que, refinancée de plus en plus fréquemment, la charge des intérêts de la dette est alors plus sensible à une éventuelle hausse des taux.


Un même phénomène est d’ailleurs en cours pour le FESF, qui emprunte par précaution à court terme afin de remplir ses engagements vis à vis des pays bénéficiant d’un “plan de sauvetage”. Le marché obligataire répond de moins en moins bien à l’émission de titres à maturité longue par de nombreux pays, diminuant la maturité moyenne de la dette souveraine européenne globale en les incitant à privilégier les maturités courtes. La réussite des émissions de ces titres ne doit quant à elle pas être cherchée très loin: les banques se procurent ainsi du collatéral en vue de la prochaine injection de liquidités à trois ans de la BCE, prévue fin février et annoncée comme devant une nouvelle fois être massive, considérant que, s’il y a risque de défaut, celui-ci n’interviendra qu’une fois leur remboursement intervenu.


Pour d’autres raisons, l’Espagne n’est pas mieux lotie. Le gouvernement vient de se trouver dans l’obligation de soutenir les régions en leur ouvrant des lignes de crédit auprès de l’Institut de crédit officiel (ICO), afin qu’elles puissent payer leurs factures… et effectuer leurs versements réguliers à l’administration centrale afin de ne pas accroître leur dette à son égard ! Il leur est également accordé cinq années supplémentaires pour rembourser celle-ci, qui s’est accumulée. De nombreuses régions espagnoles sont effet coupées du marché, tandis que leurs recettes déclinent en raison de la récession.


Par ailleurs, le prix de l’immobilier continue de chuter, augmentant le taux des défauts enregistrés par les banques. Vu son pic antérieur de 2008, le marché immobilier est appelé à continuer de descendre la pente, la baisse enregistrée n’étant encore que de 20% ! Le gouvernement ne s’est pas engagé comme il le prévoyait dans la création d’une bad bank, mais ce n’est probablement que partie remise, avec comme conséquence de reporter la charge d’une partie au moins de la dette privée sur l’État. Comment celle-ci pourra-t-elle être dans ces conditions réduite, entre le sauvetage des régions et celui des banques ?


Publique ou privée, la dette se révèle progressivement insoutenable. Les agences de notation ne font finalement que le constater, en dépit des procès en sorcellerie qui leur sont faits.


La situation de l’Irlande ne doit pas être passée sous silence pour parachever ce tableau. Au nom de la convergence fiscale européenne, les Allemands et les Français étudient actuellement un train de mesures, dont certaines auraient pour conséquence d’obliger l’Irlande à s’aligner sur le taux d’imposition des bénéfices des entreprises du continent. Faisant perdre au pays son avantage concurrentiel et son attrait pour les entreprises transnationales qui l’utilisent comme tête de pont pour l’Europe, avec à la clé leur retrait possible ainsi que la baisse des rentrées fiscales de l’État. Tous les chemins, décidément, mènent à l’impasse…


Mario Monti se confirme être à l’offensive vis à vis de ses collègues européens et notamment allemands, demandant à être soulagé de la pression que les marchés exercent sur l’Italie, afin que puisse être donné aux Italiens un premier signal que leurs efforts ne sont pas inutiles… et permettre d’en demander d’autres. Il cherche à obtenir l’émission d’euro-obligations qui donneraient accès au marché à des conditions moins défavorables, car les taux actuels ne seront pas tenables très longtemps.


Les gouverneurs de la BCE semblent pour leur part engagés dans un début de réflexion. Non pas à propos de l’achat d’obligations souveraines lors de leur émission – une zone interdite – mais de celui d’autres obligations, par exemple émises par les grandes entreprises. Car un nouveau sujet d’inquiétude a grandi, avec la nouvelle rafale de dégradations de la note opérée par Standard & Poor’s, cette fois-ci de 13 entreprises européennes, alors que d’autres encore sont annoncées pour dans quatre semaines. Une quarantaine d’entreprises, 85 groupes bancaires et 15 assureurs ont été en effet placés sous surveillance depuis début décembre. La crise de la dette prendra alors toute sa dimension si de nouvelles dégradations sont opérées, ramenant le discours sur la dette publique à ce qu’il est : une opération de diversion.


Si cette double perspective se concrétisait, la BCE serait une nouvelle fois à la manœuvre, devant élargir son filet de sécurité des banques aux grandes entreprises en se substituant toujours plus au marché. Elle s’engagerait encore plus clairement dans la voie de la création monétaire, qu’elle ne reconnait pas emprunter mais qu’elle pratique déjà, au prétexte qu’elle est indispensable au bon fonctionnement de ses instruments monétaires… Ses prêts à trois ans, quant à eux, ne s’y apparentent certes pas formellement, mais ils sont très bord cadre. On peut parler à leur sujet de quasi création monétaire.


Que restera-t-il d’autre de disponible comme levier pour agir ? Le FMI, bien entendu ! Christine Lagarde vient d’annoncer que son conseil d’administration l’a très opportunément autorisée à “examiner” les moyens d’augmenter les ressources du fonds. En réalité, elle n’avait pas attendu cette décision formelle avant de multiplier les contacts exploratoires, sans grand succès. Le sommet de décembre avait annoncé qu’il était envisagé un apport européen de 150 milliards d’euros (192 milliards de dollars), afin qu’en retour le FMI puisse accorder des prêts de précaution aux pays qui en auraient besoin, sans qu’il soit nécessaire de suivre la lourde procédure des plans de sauvetage.


Selon l’AFP, le FMI pourrait chercher à augmenter ses ressources de 600 milliards de dollars. Il ne dispose actuellement que de 385 milliards de dollars et voudrait être en mesure de prêter jusqu’à 885 milliards de dollars, le solde en étant conservé en réserve. Manqueraient à l’appel, si les Européens concrétisaient leur engagement, 308 milliards de dollars, les Américains ayant fait savoir qu’il ne fallait pas compter sur eux.


On attend donc la concrétisation de la décision britannique, qui ne sera pas sans contrepartie, notamment sur le dossier de la régulation financière… Hors Europe, à l’exception du Japon qui contribue symboliquement aux émissions du FESF et le fait savoir, les états membres du FMI ne se bousculent pas. L’ambiance est à considérer que les Européens doivent se sauver eux-mêmes et qu’il est prioritaire d’établir un cordon sanitaire autour de l’Europe, ou de réserver les munitions pour d’autres pays.


Les dernières prévisions de la Banque Mondiale retirent toute crédibilité au concept de cordon sanitaire. “Les pays en développement doivent se préparer à de nouveaux risques de détérioration, alors que la crise de la dette dans la zone euro et l’affaiblissement de la croissance dans plusieurs grandes économies émergentes assombrissent les prévisions de croissance dans le monde”. En d’autres termes, on assiste à l’inverse de ce qui était prédit, qui prévoyait que la croissance des pays émergents allait tirer celle des pays occidentaux. Les deux se révèlent se contaminer mutuellement, posant avec encore plus d’acuité une nouvelle question qui ne va plus pouvoir être éludée sur les fondements de la croissance et de son calcul…


Décidément, le cadre craque de partout.


Enfin, pour ce qui touche à la Grèce, la négociation à propos de la restructuration de sa dette porte sur le partage de la charge qui en résulte et illustre la difficulté de l’exercice. Une fois enregistré que les hedge funds font la mauvaise tête et réduisent le volume de la dette restructurée en ne participant pas à l’accord volontaire, il est nécessaire de réduire le taux des nouvelles obligations qui vont être émises en échange des actuelles, au détriment alors des banques qui y participent, expliquant qu’elles y renâclent. Sinon, il faut soit impliquer la BCE dans l’échange, soit augmenter le prêt de 130 milliards d’euros, ou bien encore accroître encore l’ampleur des mesures exigées du gouvernement grec. Il n’y a donc que des mauvaises solutions, car chacune d’entre elles rebondira en créant d’autres problèmes.


Billet rédigé par François Leclerc


 

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