Soumis
à une pression maximale, les députés grecs ont
adopté les nouvelles mesures destinées à
débloquer les fonds européens et du FMI, évitant le
défaut immédiat du pays et l’apocalypse promise. La place
Syndagma (de la Constitution, en Grec) n’est
plus qu’un nuage épais de gaz lacrymogène destiné à la vider de toute vie, symbolisant
ainsi ce qui reste de la démocratie parlementaire grecque et du
pouvoir d’un gouvernement placé sous étroite tutelle. La
marche en avant de l’intégration européenne vient de
réaliser un glorieux pas en avant !
De
partout, et surtout de soulagement, il est crié victoire, en omettant
le coût dévastateur prévisible du nouveau plan et son
échec annoncé. Le voter est une chose, l’appliquer en
sera une autre. Personne ne peut croire que cet épisode, ainsi que le
montage rocambolesque du suivant qui se prépare, va faire d’un
pays devenu insolvable un débiteur de rêve, et pourtant !
La
partie n’est d’ailleurs pas terminée et se poursuit hors
des hémicycles et de la rue, dans des enceintes plus feutrées.
La participation volontairement obligatoire (ou bien obligatoirement
volontaire) des banques, des compagnies d’assurance et des fonds
d’investissement continue de faire l’objet de très
âpres négociations. Soucieux au plus haut point des
intérêts de leurs banques, les Français ont tiré
les premiers, les Allemands les suivant à reculons et avec toute la
mauvaise volonté du monde, proposant un montage tarabiscoté
ayant pour objectif d’exonérer de tout risque les
établissement financiers et de reporter celui-ci sur les Etats.
Cachant derrière sa complexité apparente sa
vérité nue.
Tout
sauf une restructuration de la dette et rien en faveur d’une relance
économique sont les deux credo du plan poursuivi. La dette publique
doit être réduite au plus vite pour que la dette privée
puisse être refinancée puis amortie dans la durée. Tout
le reste n’est qu’habillage.
Les
banques jouent de leur côté au plus fin et serré,
poussant des cris de vierge effarouchée à l’idée
de devoir assumer leur risque de prêteur, le coeur
de leur métier pour lequel elles sont rémunérées.
La palme revenant à Josef Ackerman, Pdg de la Deutsche Bank, mettant en garde contre toute
participation des banques au sauvetage financier de la Grèce,
qui pourrait avoir comme conséquence que celles-ci soient
accusées « d’abus de confiance » pour
disposer à leur guise de leurs fonds…
Tel
Ponce Pilate, la BCE affecte de s’en laver les mains, refusant de
participer à ce simulacre au nom de ses intérêts bien
compris, mettant une fois de plus en en garde les gouvernements contre tout
ce qui pourrait être jugé comme une intolérable pression
sur les banques, qui appellerait une sanction immédiate des marchés.
Indépendante, la BCE a sans excessive surprise choisi son camp !
Afin
de justifier leur politique, les institutions internationales cherchent le
rempart dérisoire des mots. Jean-Claude Trichet préfère
ainsi substituer correction à celui d’austérité,
car il s’agit selon lui de revenir sur des
« évolutions passées déraisonnables ».
Juché
sur un Olympe encore plus inatteignable, John Lipsky,
directeur général par intérim du FMI, abandonne quant
à lui les « programmes économiques » de
Dominique Strauss Kahn pour revenir aux « programmes
d’ajustement structurels » chers à son institution
mais qui ont laissé dans la mémoire de ceux qui les ont subis
de bien mauvais souvenirs.
Pas
un analyste financier ne serait près
à parier deux sous sur la viabilité du replâtrage en
cours, mais les autorités européennes continuent avec une
détermination sans faille d’appliquer leur stratégie de
faillite.
L’inquiétude
née de l’apparition des indignés dissipée
devant leur essoufflement momentané et sans voir plus loin que le bout
de leur nez, les gouvernements européens n’ont comme seule
visée que de régler les faux frais de la crise sur fonds
publics, sans saisir que ceux-ci n’y suffiront pas et que la mise en
œuvre de leur politique récessive la condamne sans appel.
Aveuglés
par leurs certitudes et la satisfaction de leurs intérêts
à court terme, les idéologues néo-libéraux
mettent en application, à quelques nuances près suivant les
pays, un même programme fait de réduction du
périmètre et des ressources fiscales de l’Etat, assorti
de prometteuses privatisations. Se demandent-ils seulement comment – la
machine à financer la dette n’ayant plus les mêmes
rendements – ils vont pouvoir conjuguer l’accroissement des
inégalités sociales et du partage de la richesse avec le
maintien du moteur de la consommation de masse nécessaire à la croissance
?
Les
héritiers de la social-démocratie voudraient bien trouver le
chemin des réformes du système permettant d’assurer la
poursuite du Welfare State, le
maintien de la protection sociale et la remise en marche de l’ascenseur
du même nom qui l’accompagne. Mais la marche ne risque-t-elle pas
de faire défaut sous leurs pieds, s’ils se
révèlent comme probable incapables d’abandonner leur
domaine d’élection, les réformes du système dont
ils n’ont plus les moyens, sans admettre la nécessité de
mises en cause devenues inévitables et elles seules réalistes
par les temps qui courent ?
Les
relèves des professionnels de la politique sont fatiguées,
qu’elles soient social-démocrates ou
néo-libérales, la frontière entre elles-deux devenue si
indécise et floue.
« La
France ne peut pas vivre au-dessus de ses moyens » vient de
déclarer Nicolas Sarkozy dans un discours digne d’un
sous-préfet. Tout en relevant, pour justifier les coupes
budgétaires qui se préparent activement pour le lendemain des
élections, que 45 milliards d’euros doivent être
consacrés annuellement aux intérêts de la dette publique.
Pouvait-on mieux, quoi qu’involontairement, poser le problème ?
Billet
rédigé par François Leclerc
Paul Jorion
(*) Un «
article presslib’ » est libre de
reproduction en tout ou en partie à condition que le présent
alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion
est un « journaliste presslib’ » qui
vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il
pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui
tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.
|