Qualifié
de sugar rush (bouffée
d’énergie après avoir mangé un aliment
sucré) par les analystes financiers anglo-saxons, le prêt de 489
milliards d’euros de la BCE n’a pas longtemps enthousiasmé
les marchés. Après une brève envolée, il
s’est produit le contraire de ce qu’il était
espéré : l’ampleur même de l’opération
et des besoins qu’elle a révélée a amplifié
les craintes des investisseurs, sur le thème “nous en sommes
donc là ?”.
Deux
constatations découlent de cette opération, l’une
évidente et l’autre plus masquée. La première est
que le système bancaire européen – puisque
l’attention est focalisée sur lui – est devenu un zombie :
une créature ayant seulement l’apparence de la vie. Une aide permanente
lui est devenue nécessaire, en substitut des mécanismes de
marché qui lui permettaient auparavant de fonctionner. Induisant une
question qui n’est pas encore posée et qui ne devrait pas tarder
à l’être : qu’en sera-t-il à
l’échéance de trois ans du prêt de la BCE ?
Devra-t-il être renouvelé et entrerons-nous ainsi dans une
nouvelle phase du capitalisme, le capitalisme assisté ?
La
seconde remarque est que la BCE est devenue la bad
bank de la zone euro, acceptant en garantie des
actifs (le collatéral) en étant de moins en moins regardante
sur leur qualité, tout en mettant en avant la décote
qu’elle opère pour se prémunir de tout risque en les
accueillant, sans faire preuve à cet égard d’une
quelconque transparence. La finance a décidément besoin de
zones d’ombre : il y a sa face visible et sa face cachée. Le
parler allusif des banquiers centraux et l’obscurité voulue de
leurs bilans sont sur la tranche.
Le
tour de passe-passe qui vient d’être opéré sous nos
yeux est donc la création – non revendiquée –
d’une bad bank
pour toute la zone, qui vient suppléer celles qui ont
déjà été crées
en plus modeste en Irlande et en Allemagne, imprimant une trajectoire que le
gouvernement espagnol aimerait bien suivre pour sa part.
Le
nombre des établissements ayant demandé à
bénéficier de ce prêt est connu – 523 banques
– mais leur identité ne l’est pas. On croit toutefois
savoir que les banques italiennes ont été
particulièrement bien servies. Selon Reuters Thomson, une douzaine
d’entre elles, dont les plus importantes, auraient demandé et
obtenu 116 milliards d’euros à elles seules, soit plus du quart
de l’ensemble des prêts accordés. Mais il est
intéressant de noter, selon ces informations, que les banques auraient
beaucoup utilisé du collatéral garanti par l’État.
Ce qui signifie deux choses : qu’il est de mauvaise qualité,
puisqu’une telle garantie s’impose, et que c’est en
dernière instance l’État qui prend le risque. Ni vu, ni
connu : la bad bank
est adossée aux États, comme il se doit.
On
sait déjà également que le prêt net qui a
été consenti est de l’ordre de 200 milliards
d’euros, si l’on prend en compte les opérations à
plus court terme auprès de la BCE qui n’ont pas
été renouvelées par les banques. Et l’on attend
déjà la prochaine opération à trois ans, annoncée
pour février prochain, car un tel montant est très
inférieur aux besoins de refinancement des banques pour la seule
année 2012.
Dans
ces conditions, annoncer que ces fonds vont être utilisés pour
procéder à des achats sur le marché de la dette souveraine,
comme l’a publiquement fait savoir Nicolas Sarkozy, n’a pas faire
preuve d’une particulière clairvoyance et reflète –
s’il en est besoin – l’incompréhension manifeste
dont font preuve les dirigeants européens face à cette crise
qu’ils ne maitrisent en rien, acharné en ce qui le concerne plus
particulièrement à défendre les banques comme un dernier
rempart.
La
BCE vient de magistralement délivrer deux leçons. La
première est que le système bancaire dont elle a la charge est garanti
une fois pour toute de toute faillite. Le spectre de Lehman
Brothers s’est à nouveau
manifesté et la banque centrale a répondu “plus jamais
cela !”. Sans s’interroger outre mesure sur les
conséquences de sa protection, ou bien sur les conclusions que vont en
tirer les banques, désormais certaines de ne pas être
abandonnées à leur triste sort, toutes indistinctement pourvues
d’un label “Too big
to fail” (trop importantes pour faire
banqueroute) que l’on croyait réservé aux plus
importantes, en vertu du risque systémique.
Nous
entrons décidément dans un nouveau stade d’assistanat du
capitalisme financier, où se révèle un étrange
paradoxe : le rôle attribué à l’État est
d’une main restreint, afin d’étendre le terrain de jeu de
la finance, mais son apport est sollicité de l’autre main afin
de conforter le système financier, via les garanties qu’il
accorde et les facilités de la BCE. Il en découle que le
rôle parasitaire de la finance s’accroît, si l’on
considère son prélèvement accru sur des budgets publics
diminués.
Deuxième
leçon, la BCE est placée dans une étrange situation,
nous jouant un rôle de composition. Drapée dans son refus
intransigeant de financer les États, réfugiée
derrière la défense de sa vertu et de son acte de
baptême, la BCE pratique en réalité déjà
une création monétaire déguisée. Jean-Claude
Trichet avait pour la faire passer inventé la fiction d’achats
sur le marché secondaire destinés à permettre le
fonctionnement de sa politique monétaire, en les assortissant
d’opérations d’assèchement de liquidités
pour des montants correspondants dont le détail n’est pas connu
; que va bien pouvoir trouver Mario Draghi, qui
sort de son coffre près d’un demi millier
de milliards de dollars comme si de rien n’était ? Si ce
n’est pas de la création monétaire, cela n’en est
pas loin, car rien n’interdira de renouveler dans trois ans cette
opération, pour permettre le roulement de cette nouvelle dette
destinée à refinancer les précédentes…
Nous
en sommes là !
Billet rédigé par
François Leclerc
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