Pour occuper votre dimanche, je vous propose de revenir sur un billet
paru quelques années en arrière et qui s’inscrit très bien dans l’actualité
du moment. Quelques années se sont écoulées depuis celui-ci, ce qui permet de
faire un état des lieux. Les choses ont-elles vraiment évolué ? À vous de
juger.
À l’approche des fêtes, le Français se réveille et constate que la société
dans laquelle il vit est un vaste cloaque de surconsommation méchante qui
nous fait acheter des Sapins du Diable, des Guirlandes Kapitalistes et des
Cadeaux Néolibéraux dont on n’a pas vraiment besoin pour survivre dans la
toundra, mais on ne le sait pas tout occupé qu’on est à être de mauvaises
personnes faibles et veules…
En général, le râlement anti-consommation s’établit rapidement autour de
l’importance prise par l’argent (« En ces temps de fêtes,
rappelons-nous mes biens chers frères athées et autres que le plus important
c’est la famille les amis tout ça et pas l’argent » ), qui est
partout ma bonne dame, sans plus de détails. Au passage, on se demande
exactement quand et où ceux qui râlent ainsi ont vécu pour pouvoir se passer
d’argent et ne jamais rien avoir à acheter (En URSS ? Allons. Même là-bas,
l’argent était nécessaire.)
Mais la question mérite donc d’être posée : en quoi la société de
consommation, en tout cas telle qu’elle est décriée au moment des fêtes,
est-elle Le Mal ? En quoi le consumérisme est-il vraiment très très méchant ?
(Note : j'emploie par la suite le
terme de consumérisme dans le sens associé à la société de consommation,
idéologie où la consommation de biens revêt une importance capitale - ce
n'est pas l’étymologie anglaise, mais je pense que vous comprenez de quoi on
parle.)
Eh bien en posant la question autour de vous, vous aurez parfois des
réponses, délicieusement teintées par la période des fêtes, et très vaguement
à côté de la plaque, qu’on peut résumer aux grandes catégories suivantes…
Il y a, tout d’abord, la comparaison avec le passé.
Ainsi, par le passé, qui était mieux avant, on ne recevait qu’une orange à
Noël et on était super content. On mettait de la paille dans ses sabots et
les bebes mouraient en bas-âge, ce qui était quasiment le summum de l’extase
sobre.
On ne déchargeait pas de musique gratuite sur youtube, on ne copiait pas
de cassettes vidéos, on n’allait pas se renseigner gratuitement sur
Wikipedia, ni trouver son chemin tout aussi gratuitement sur GoogleMaps,
toutes ces choses étaient réservées aux riches et c’était autant de gagné
pour la population qui se vautrait dans le bonheur vertueux de ne rien avoir
d’autre que les engueulades en famille pour s’occuper.
Le passé, joyeusement ni nucléaire ni radioactif, devient alors un modèle,
une référence qui permettait à la femme moderne de l’époque de faire tremper son
linge douze heures avant de le laver à la main pendant quatre heures, en
nettoyant les taches de vin rouge avec du vin blanc et en brossant pendant
deux heures le vieux tapis tout moche de la maison au lieu d’aller à Ikea en
acheter un nouveau tout beau, pour moitié moins cher.
Il y a ensuite la dénonciation du trop-plein d’inutile.
Que voulez-vous (ma brave dame), on achète à l’évidence plein de choses
dont on n’a pas besoin : chaussons, tapis de douche, rideaux de douche,
porte-manteaux et outils, slips bleus et iPods. Et tout ce qui n’est pas
composé de bonne chaleur humaine citoyenne et festive, de tissu social et de
relation humaine, c’est parfaitement inutile, tout le monde sait ça.
Dans ce chapitre, le choix et la quantité de yaourts en vente dans les
rayons de supermarchés sont apparemment de bons candidats pour la
dénonciation du consumérisme. Avoir le choix entre cinquante sortes de
fromages est quelque part immoral, puisqu’un seul suffit. On pourrait arguer
que cette offre est le résultat de la prospérité, mais un autre argument
déboule alors avec ses gros sabots : c’est mal d’être prospère quand les pays
du Sud sont pauvres et doivent se contenter d’un seul criquet grillé pour
dessert (et encore, un petit qui a réduit à la cuisson à cause des hormones).
Corollaire: les super-pauvres, les vrais pauvres donc, ne se plaignent pas
de devoir se torcher avec la main gauche sans papier (ni triple, ni double
épaisseur : sans papier tout court – d’ailleurs Cazeneuve pourra le
confirmer, un pauvre est toujours un sans-papier). Ils sont donc dans le pur,
le vrai, la non-consommation salvatrice qui respecte les vraies valeurs du
partage humain (attention, avec la main droite seulement, hein, pas de
gaffe).
Conclusion: la misère est une vertu.
(Ça tombe bien, avec ce qui arrive sur le plan économique, je pense que
les Français vont devenir super-vertueux, youpi.)
Les pauvres savent être heureux avec trois fois rien.
Eh oui. Prenez donc les gens qui vivent à Cuba. Ils n’ont rien et sont
très heureux. N’est-ce-pas.
…
Ici, histoire de ne pas faire partir le repas de famille en essais
balistiques avec la bûche de la grand-mère, je propose de garder pour vous
l’idée même que l’apothéose logique en matière de bonheur, après la saillie
« Cuba », s’est rencontrée au goulag ou à Dachau, où le dénuement
était vraiment total ; ceci constituerait un affreux point Godwin et ce n’est
pas le genre de la maison, hein.
Et puis en outre, comme vous ne connaissez rien des réalités vraies de
Cuba (en bon capitaliste logique, vous n’y avez pas passé vos vacances pour y
soutenir le régime castriste), vous ne ramènerez pas votre fraise. C’est
tout. Et vous oublierez que les gens n’y ont apparemment pas la possibilité
d’acquérir une voiture de moins de 60 ans ou de repeindre leur façade (chacun
sait qu’il y a un blocus
embargo américain sur les Twingos Diesel et la peinture-bâtiment — mais si,
mais si). Du reste, s’il faisait moins cinquante à chaque hiver par là-bas
comme dans le Wisconsin, le bonheur serait vraiment total. Au lieu
de ça, ces cons se vautrent dans le luxe consumériste immoral du soleil et de
la plage à touristes. J’ai bon ?
Le pire, c’est qu’on force les gens à consommer !
Les gens (généralement, les autres) — qui sont bien entendu des idiots —
ont la fâcheuse tendance à s’endetter et à consommer au delà de leurs moyens.
Le coupable est alors l’offre disponible dans les grandes surfaces qui leur
tourne la tête et leur fait acheter tout et n’importe quoi. Paf, compulsion.
Certes, il existe bel et bien une consommation d’objets « de
statut » : une grosse télé, une grosse voiture, un téléphone portable
aussi petit que dernier cri, le tout acheté pour être normal et ne pas avoir
l’air d’un pauvre, ou pour se faire plaisir quand on n’a pas vraiment les
moyens. Et il est vrai que certaines personnes font ça, d’autant plus
facilement qu’on distribue (distribuait, disons) du crédit facile.
Avec la crise, ce sera franchement moins vrai.
À la racine, cependant, il s’agit d’un problème d’irresponsabilité : en
ayant consciencieusement rendu le consommateur lambda aussi irresponsable que
possible de ses achats, de son budget, de ses revenus et de ses dépenses
(habilement camouflées dans des petites lignes cryptiques d’une feuille de
salaire fleuve), on a pavé la route à ce genre de comportements. Et il est
finalement relativement cocasse de noter que les biens qui nous inondent sont
produits dans des pays qui perdent progressivement leur statut communiste,
pendant que l’irresponsabilité, produit parfaitement local, inonde rapidement
nos pays qui perdent graduellement leurs derniers oripeaux du capitalisme.
…
Au final, après ce petit tour d’horizon des principaux arguments contre la
méchante société de consommation (en période de fêtes de fin d’année), on ne
peut que se réjouir : la vilaine prospérité est partie pour ne pas rester.
Joie ! Exultancéxabération ! La récession sera notre sauveuse. Je veux dire
sauveurE. Je veux dire, LE récession sera notre sauveure.
(Voilà qui est mieux.)
Et le pire, dans tout ça, ce n’est même pas de consommer, mais c’est de
montrer ostensiblement qu’on le fait, sans honte.
Voilà : le consumérisme en période de fêtes, c’est mal. Et l’ostentation,
c’est l’übermal, c’est se la raconter avec un sapin de Noël décoré avec des
loupiotes qui clignotent bêtement.
C’est vrai quoi zut à la fin : salaud de sapin qui affame les Chinois et
fait réduire à fond les criquets lors de leur friture !
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