Habilement géré par la banque
centrale et le gouvernement, le peso argentin ne cesse plus de plonger, chose
pour laquelle il est décidément très doué. Jeudi dernier, il a perdu 4,1% sur
le marché noir, pour atteindre 14 pesos pour un dollar. Pour la toute
première fois. Avec un taux officiel de 8,39 pesos pour un dollar, l’écart
entre les deux taux a atteint un record de 5,61 pesos. Un signe que la
confiance envers le peso s’évapore.
Il s’agit du plus gros
plongeon enregistré depuis le 24 janvier, alors que la banque centrale
dévaluait le peso de 15%.
« Attendez-vous à ce que
le gouvernement prenne les choses en main et tente de réduire ce taux – et très
vite », a écrit Bianca Fernet, économiste
américaine installée à Buenos Aires, et contributrice de Wolf Street. Cette « politique
monétaire argentine », comme elle l’a expliqué dans The Bubble, impliquerait
ceci :
- Forcer
les agences gouvernementales à vendre des obligations en dollars à l’échelle
locale
- Fermer
les bureaux de change pendant plusieurs jours
- Augmenter
les taux de prêts interbancaires et forcer les banques à vendre des
actifs à l’échelle locale
Dans la journée de vendredi,
le peso a enregistré une légère reprise, et son taux de change avec le dollar
est passé en-dessous de 14 pesos par dollar, après que la banque centrale se
soit débarrassée de 10 millions de dollars de ses réserves de devises
étrangères. Mais elle a désespérément besoin de ces réserves – qui sont
désormais de moins de 29 milliards de dollars – pour rembourser sa dette en
devises étrangères, qui a fait l’objet d’un nouveau défaut le 31 juillet
dernier.
« Les taux rendus publics
sont inférieurs aux taux réels. Un taux supérieur à 14 n’est bien évidemment
pas autorisé », m’a dit Bianca, peut-être de manière un peu ironique,
comme c’est de coutume en Argentine. Et puis elle a ajouté : « Les
courtiers négocient aujourd’hui à 14,35 ».
Lundi, les courtiers vendaient
des dollars à 14,1 pesos par
dollar, aussi illégal que ce puisse être.
En septembre 2012, il y a
moins de deux ans, lorsque le taux baissait jusqu’à atteindre 6,4 pesos par
dollar sur le marché noir (le taux officiel était alors de 4,66 pesos par
dollar), l’Argentine a imposé de nouveaux contrôles monétaires afin de limiter l’hémorragie. Ont-ils
été effectifs ? Avant la fin de l’année 2013, le peso avait perdu 36% de
plus sur le marché noir, pour passer à 10 pesos par dollar. Au cours des dix
mois qui se sont écoulés depuis, il a perdu 30% de plus.
En 2011, le peso était encore
convertible en dollars au taux d’un pour un. Ce système a commencé à faillir
en décembre de la même année, avant qu’un « jour férié » soit
annoncé, au cours duquel les comptes en banque en dollars ont été convertis
en pesos, et que ces pesos ont été dévalués. Les gens ont perdu 40% de leur
épargne.
C’est ainsi qu’a pris fin une
situation un peu particulière qui a duré un peu plus de dix ans : une
devise « stable », qui ne perdait de sa valeur que « graduellement »,
à la même vitesse que le dollar. Avant ce semblant très bref de stabilité, la
devise a perdu de sa valeur plus rapidement que n’importe qui aurait pu se l’imaginer
(graphique). Au cours des treize années qui se sont
écoulées depuis, elle a perdu 93% de sa valeur contre le dollar.
Alors que les Argentins
frappaient sur des casseroles dans les rues de tout le pays en 2002, ils
autorisent désormais la dévaluation continuelle de leur devise en haussant
les épaules, bien qu’ils puissent de temps à autres décider de se déchainer
sans raison (comme en décembre 2013… voir What the Hell
Just Happened in Córdoba?).
Ils se sont résignés à ne pas
conserver leur devise plus longtemps que nécessaire. Ils ont appris à
échapper aux contrôles monétaires de leur gouvernement. Et ils ont perdu
toute confiance en la capacité de leur gouvernement à gérer ses finances.
Avec un peso qui ne vaut
presque plus rien et une inflation qui atteint un taux annuel de plus de 20%,
le PIB, qui est mesuré en pesos et ajusté à l’inflation, ne peut plus être
déterminé. La croissance économique de ces dernières années pourrait tout
aussi bien n’avoir été qu’un fragment de l’imagination économique du
gouvernement.
Mais la dévaluation d’une
devise et l’inflation n’apparaissent pas accidentellement. Elles sont les
conséquences de politiques préméditées et des actions de gouvernements
démocratiquement élus et de banques centrales. Elles ne se terminent que par
un défaut volontaire.
La manière dont le
gouvernement gère sa dette en devises étrangères, qui ne peut être dévaluée,
est une autre forme de défaut. Le 31 juillet, l’Argentine faisait défaut sur
sa dette en devises étrangères pour la deuxième fois en treize ans, et la sixième fois depuis 1950 – un signe supplémentaire de sa
volonté de ne jamais gérer ses dettes de manière honnête. Et comme nous avons
pu le voir, l’identité du gouvernement au pouvoir ne fait aucune différence.
Mais la réalité de la dévaluation
du peso contre le dollar est pire encore : depuis 2001, le dollar a
perdu 26% de son pouvoir d’achat, grâce aux politiques de la Fed. Mais il y a
une différence entre le gouvernement argentin et la gestion financière du
gouvernement américain : le premier a dévalué son peso de 93% en treize
ans, l’autre a dévalué son dollar d’environ 93% en un siècle.
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