«
Il faut changer radicalement de mode de gouvernance de l’Europe »
et compléter un « modèle institutionnel incomplet
». Voilà résumé le nouveau credo des dirigeants
européens, appuyés par les responsables financiers, au
lendemain du 26ème sommet consacré à la crise. Les uns
et les autres réconciliés après une petite brouille, ils
y trouvent enfin une réponse créative à la crise
de la dette européenne et un moyen de calmer leurs frayeurs tout en
continuant d’avancer les mêmes pions, mais plus prudemment. Il
est toujours question de résoudre la crise de
compétitivité. Et comme la monnaie unique interdit par
construction les dévaluations internes, il ne reste plus selon nos
stratèges qu’à réajuster le coût du
travail. Toucher à la rente et au principal, cela ne leur vient
même pas à l’idée !
Les
dysfonctionnements de la construction européenne – et de la
monnaie unique – ne sont identifiés et combattus
qu’à une seule aune, la poursuite d’un
désendettement arrivé au fond de l’impasse. Car il est
vite apparu que la croissance économique était une fausse piste
dont on ne pouvait attendre la solution et qu’il fallait trouver un
autre mécanisme. Par la force des choses, une nécessité
a commencé à s’imposer : conçu de manière
trop précipité, le rythme du désendettement doit
être modifié pour être allongé. Le plan A’
commence à se dessiner, empruntant une nouvelle fausse piste.
L’endettement
a connu une croissance foudroyante depuis les années 80. Selon la
Banque des règlements internationaux, la dette publique et
privée serait pour les 30 pays membres de l’OCDE passée
de 172% du PIB en 1980 à 246% en 2000, et 306% en 2010. Suscitant
comme commentaire de Philippe d’Arvisenet,
directeur des études économiques de BNP Paribas, «
L’institution bâloise montre que la hausse de l’endettement
favorise la croissance mais jusqu’à un certain seuil
au-delà duquel la relation s’inverse ». Il a fallu trente
ans pour creuser le trou, combien de décennies seront nécessaires
pour le combler ? Cette question n’est prudemment pas posée.
Un
gigantesque pari sur l’avenir a donc été engagé
dans les pays développés afin de soutenir la croissance.
Appuyé sur la conviction que son rythme ne faiblirait jamais –
de même que le prix de l’immobilier ne pouvait que continuer de
progresser – et que cela permettrait de rembourser l’endettement
qui en était une anticipation. Il faut lire à ce propos les
justifications passe-partout que le docte directeur des études
économiques de BNP Paribas trouve à la constitution de la
mère des bulles financières : « Jusqu’à un
certain point [maintenant dépassé, NDLR], l’endettement
est un facteur d’amélioration de l’allocation des
ressources. Il permet aux ménages de lisser leur consommation face aux
aléas des revenus, aux entreprises leur investissement et leur
activité face aux fluctuations de la demande. L’endettement
public permet de répartir les prélèvements et la
consommation entre générations » (L’AGEFI Hebdo,
n°330). Mais voilà, la fête est finie ! Les progrès
de la productivité ont été confisqués et
l’endettement a permis de le masquer tout en générant une
immense rente. Telle était la stratégie gagnante-gagnante
de ceux qui ne veulent pas abdiquer.
Le
chemin qui est tracé en Europe est plein d’embuches. Le
renforcement de l’intégration européenne repose sur des
structures et des instruments qui ne sont que crayonnés, il faudra du
temps pour tout mettre au propre, puis les rendre opérationnels. Qu’importe,
les dirigeants politiques peuvent enfin se dire qu’ils ont gagné
cet allié qui leur est si cher : le temps. Celui qui permet de calmer
le jeu, de voir venir et de ne pas rendre de comptes à
l’occasion.
Sans
surprise, la BCE est à nouveau le sauveur. Il lui est confié
sans attendre la supervision du système bancaire, première
étape d’une « union bancaire » aux contours encore
flous et qui repose sur trois piliers : une supervision plus
intégrée, une garantie européenne des dépôts
destinées à éviter les retraits massifs de capitaux
enregistrés ces derniers temps en Espagne (alternative au
contrôle des capitaux), ainsi qu’un fonds européen de
résolution des accidents à venir, au financement en
pointillés.
Toutefois,
la logique de cette union est de faire appel au financement de la BCE, vu les
montants qui peuvent être en cause. Son accomplissement n’est
donc pas à ce stade garanti. Ce n’est qu’à ce prix,
si l’on veut bien y réfléchir, qu’il sera possible
de déconnecter les risques souverains et bancaires (la dette publique
de la dette privée), ce qui est désormais l’objectif
proclamé mais cela impliquera une création monétaire de
la banque centrale qui reste un tabou. L’Eurosystème
devenu une bad bank,
il ne restera plus qu’à financer le renflouement des banques via
celle-ci. Sinon, il faudra adosser ce nouveau fonds de sauvetage des banques
au FESF et au MES et accroitre en conséquence leurs moyens. On reparle
à ce sujet du système d’assurance qui pourrait être
monté à l’intention des investisseurs privés,
étudié puis abandonné, et qui pourrait procurer à
ces fonds un effet de levier évitant aux États de mettre la
main à la poche. Encore une construction hasardeuse.
Dans
le même ordre d’idée, il est affirmé que les
actionnaires et les créanciers des banques vont désormais devoir
assumer leur part du fardeau, quand celles-ci devront être
renflouées, afin de soulager les États qui n’ont plus les
moyens de le faire. La première décision qui a
été prise par le dernier sommet à
été cependant d’annuler le statut de dette senior accordé
aux futurs prêts du MES aux banques, ce qui revient à placer
l’État et les investisseurs privés sur le même
plan, car il ne faut pas effaroucher ces derniers. Une contradiction de plus.
Reconnaître fort tardivement que les banques rencontrent des problèmes
de solvabilité et pas seulement de liquidité ne règle
pas tout.
En
tirant plusieurs cartes à la fois pour regarnir leur jeu, les
autorités européennes ne font que le compliquer encore. Les
unions bancaire, budgétaire et politique qu’ils veulent construire
suscitent plus de questions qu’elles n’apportent de
réponses ; la conception et les calendriers respectifs de leur
réalisation vont avoir de quoi les occuper ! Mais pourront-ils
à l’arrivée éluder la question centrale du
financement du désendettement et choisir entre deux options : soit
faire régler l’ardoise par la BCE, soit restructurer en grand la
dette publique et reconfigurer à la suite le système financier.
On croit deviner quelle sera la solution de facilité…
En
attendant, laissons à ceux qui se raccrochent comme à une
planche de salut l’explication que nous avons affaire à une
crise de l’espace macro-économique européen. En
préconisant une intégration européenne très
orientée, ils ne s’attaquent qu’aux aspects
européens particuliers de la crise de la dette et négligent le
cas général : celle-ci est avant tout mondiale et ne sera pas
résolue à une autre échelle.
Billet
rédigé par François Leclerc
Son livre, Les
CHRONIQUES DE LA GRANDE PERDITION vient de
paraître
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