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Ce texte est un « article presslib’ » (*)
Les
appels rituels à ne pas céder aux sirènes du
protectionnisme commercial - le dernier en date lancé par la Banque
des règlements internationaux - apparaissent à un double titre
très formels et surtout un peu dérisoires. En premier lieu,
à cause de l’importante contraction que connaît le
commerce international, mais plus encore en raison d’un repli sur soi
bien plus redoutable à terme, car chacun développe de plus en
plus dans son coin ses propres mesures de régulation financières.
Et qu’il est dans ce domaine comme dans celui de tout système:
la partie la moins performante détermine la performance de
l’ensemble.
Alors
que le Congrès américain s’est emparé du dossier,
ouvrant une période de tous les dangers, à l’issue et au
calendrier incertains, l’Allemagne a tiré sans attendre les
leçons des mésententes européennes, estimant acquis que,
la régulation financière mondiale made in US ayant peu de
chances de la satisfaire, celle qui était discutée à
l’échelle européenne serait tout autant limitée.
Il lui fallait donc définir et mettre en place sans attendre ses
propres règles, à l’abri de ses frontières. Un
exercice certes limité, dans le contexte d’une finance mondialisée,
mais permettant de se prémunir du mieux possible faute de mieux. Le
Bundestag a adopté aujourd’hui vendredi une loi
renforçant les pouvoirs du Bafin
(l’Autorité des marchés financiers), afin
d’accroître son contrôle bancaire sur le territoire. Il
faut dire que les banques allemandes ont beaucoup fauté et que leur
sauvetage attend que les prochaines élections d’octobre soient
passées avant d’être effectué, et que
l’épisode de la déconfiture d’Hypo Real Estate, nationalisée elle sans délai, a
marqué les esprits. Une disposition, parmi d’autres, attire
l’attention : la nouvelle loi prévoit que des
personnalités extérieures aux sociétés
financières pourront être nomméws
dans les conseils de surveillance des banques coopératives et des
caisses d’épargne. La confiance règne.
La France,
sombrant dans le pathétique, vient pour sa part de se lancer à
sa manière sur le terrain « porteur » de la
régulation, par la bouche de son ministre de l’agriculture,
Bruno Le Maire : « Nous avons vu avec le secteur financier ce qui se
passe lorsqu’on laisse les seules forces du marché agir
(…) nous devons mettre autant de régulations dans
l’agriculture que dans le secteur financier ». Avant de
détailler son plan de bataille destiné à protéger
l’agriculture, alors qu’à propos de la régulation
financière, comme de la situation réelle du système
bancaire, le plus épais brouillard continue d’envelopper le
monde où se trouvent réunis les financiers, la haute
administration et le pouvoir politique.
Il
est très difficile, à ce stade, de comprendre
jusqu’où va ou non aller la régulation dans les deux
grands centres financiers mondiaux, les Etats-Unis et la Grande-Bretagne,
alors que les discussions ne viennent que de s’y engager et que les
lobbies de « l’industrie financière » ferraillent
déjà. A remarquer cependant que la SEC étudie le retour
de mesures de régulation des ventes à découvert. Avec le
soutien appuyé de l’American Bankers Association, dont certains
des membres ont senti le vent du boulet (quand il ne leur a pas
emporté un bras). Angela Merkel, la
chancelière allemande, vient à nouveau de mettre les pieds dans
le plat, après avoir récemment critiqué publiquement la
politique inflationniste de création monétaire de la Fed et de
la BoE. « Il y a peut-être un certain
danger que des banques qui recommencent à aller plutôt bien ne
soutiennent pas les efforts de régulation mais les remettent en
question », a-t-elle déclaré au Wall Street Journal,
ajoutant pour la bonne forme : « Mais je ne crois pas qu’elles y
parviennent, ni avec le gouvernement américain, ni dans l’Union
européenne ». Assurant de sa profonde conviction et contre toute
évidence, que « tout le monde allait dans le même sens
».
Sans
surprise, la Grande-Bretagne a bataillé dur ces dernières
semaines pour sauvegarder l’indépendance de la City, avec
évidemment l’intention d’en faire le moins possible sur le
chapitre de la régulation. On y observe une véritable fuite en
avant, à la mesure de la situation économique britannique,
n’envisageant de salut possible que grâce à son activité
financière. Un article de la dernière livraison de « The Economist » résume bien la position
britannique. Il tire à boulets rouges, comme étant le
prétexte enfin trouvé par les Allemands et les Français
pour régler leurs vieux comptes et défendre leurs propres
places financières, contre les projets de réforme
européens, qu’ils concernent les hedge
funds, le secteur du private
equity ou les banques elles-mêmes. Se
réfugiant sans surprise sous le parapluie conceptuel
anti-systémique du « plan Obama
». Mais si l’hebdomadaire préféré de la City
épouse naturellement la cause de celle-ci, il ne perd pas pour autant
le Nord. Il constate que s’exercent désormais en Europe des
« forces centrifuges », pour conclure ainsi un autre article
intitulé, bien à sa façon, « Divisés par un
marché commun » : « Ceux qui sont les plus en faveur
d’une réforme financière européenne ont
pêché par lenteur. Le marché qu’ils veulent
réguler est en train de se fragmenter sous leurs yeux, alors
qu’ils en sont à en rédiger les règles. » Il
signe ainsi, toujours à sa façon, le bulletin de
décès d’une certaine conception de l’Europe, que
l’hebdomadaire a toujours combattu et qui avait de toute façon
déjà un plomb considérable dans l’aile. Le charbon
et l’acier auront été à l’origine, en 1951,
de la création de l’Europe, la finance la destine, en 2009,
à n’être désormais qu’une importante zone de
libre échange, ce que l’élargissement avait largement
entamé.
On
aurait pu espérer que la situation potentiellement alarmante du
système financier allait donner du cœur à l’ouvrage
aux diverses autorités nationales et européennes. Ce
n’est donc pas vraiment le cas, et ce n’est pas étonnant
s’agissant particulièrement de Bruxelles, dont les chefs
d’Etat européens ont décidé d’un commun
accord, avec l’élection des derniers présidents de la
Commission, qu’il fallait lui couper les ailes. Aboutissement
d’une longue concertation avec les acteurs du marché des
produits dérivés, la Commission vient néanmoins de
lancer une consultation, ouverte jusqu’au 31 août prochain, sur
la base d’une proposition sans surprise. Celle-ci, dans la
foulée des Américains, prévoit la création
d’une chambre de compensation européenne (encore un bras de fer
avec les Britanniques en perspective), ainsi que des mesures de
standardisation de ces produits, afin de réduire les risques majeurs
de ce marché de gré à gré, sans en prendre de
toute évidence la pleine mesure. Alors qu’il continue de
manière assez imprévisible de produire des dégâts
financiers. Une nouvelle dégringolade de l’assureur
américain AIG, tenu hors de l’eau par le Trésor
américain, serait dans les tuyaux, c’est tout du moins la rumeur
qui circule dans les milieux boursiers. L’urgence d’assainir ce
secteur est reconnue par tous, mais le laborieux débouclage en cours
du gigantesque écheveau de ces produits hautement toxiques est un
secret mieux gardé que les clefs de Fort Knox.
Dans
un article du 2 juillet, daté de Paris, le New York Times
décrit comment les Européens sont emberlificotés dans le
processus de leurs stress tests, dont il relève qu’il est
« très politique », avant même d’aborder
sérieusement le plat principal, les mesures de régulation
elles-mêmes. Citant la ministre française de l’économie,
Christine Lagarde, qui n’a rien trouvé de mieux à
déclarer, avec un accent de sincérité peu
crédible, que « nous ne cherchons pas à cacher des choses
sous le tapis ». Le New York Times fait état dans son article,
détails à l’appui, de la situation des systèmes
bancaires allemands et espagnols, dont on comprend que des gouvernements tardent
le plus possible à les reconnaître. Un second article du
journal, décrivant à titre d’exemple les coûteuses
dérives aventureuses sur le marché des CDO de la banque belge
KBC, cite un analyste de Standard & Poor’s,
Scott Bugie, expliquant que les banques
européennes étaient entrées dans un processus, qui
allait prendre plusieurs années, afin d’améliorer leur
capitalisation et de retrouver leur santé. Prédisant que les
défauts sur les mauvais crédits allaient doubler
l’année prochaine dans les bilans des 50 plus grandes banques
européennes.
Le
prochain G8 de juillet va être l’occasion, à ces sujets
notamment, de faire un « point d’étape », pour
utiliser cette expression qu’affectionnent les chefs d’Etat quand
ils sont incapables de conclure. Le monde est devenu multipolaire, mais en
même temps centrifuge. Il y a plus de trois mois que le G20 de Londres
décidait de donner au FMI tous les moyens ou presque afin
d’intervenir sur toute la planète. Et son conseil
d’administration vient juste de l’autoriser à émettre
des obligations, une nouveauté, solution qui a été
trouvée pour que les pays « émergents » acceptent
d’apporter à leur tour leur obole au pot commun. Tout est
très lent, à mettre en place et pendant ce temps-là la
récession mondiale s’installe, ne faisant
qu’accroître les problèmes. C’est sans doute parce
qu’il en a conscience que le président chinois Hu Jintao a donné, en avant-première du
sommet, une interview au Corriere della Sera.
Appelant ses participants « à mettre en œuvre les
décisions prises lors des G20 de Washington et de Londres » en
faveur du « renforcement des contrôles sur les marchés
financiers » et de la « réforme du système
financier international ». Une manière de signifier qu’il
faudrait enfin s’y mettre.
Pouvons-nous
attendre des Chinois, à défaut de compter sur eux pour la
relance économique, qu’ils contribuent à
développer la régulation financière ? On peut craindre
que, tout en défendant leurs intérêts avec
opiniâtreté, ils ne rêvent en fait que de prendre toute
leur place, avec leur monnaie, dans le grand concert de la finance, dont ils
ont déjà appris une partie du répertoire. Le
modèle de développement, dans lequel ils sont pour
l’instant coincés, est à l’image de cette
intégration qu’ils ont entamée et qu’ils veulent
poursuivre. Pour l’instant, c’est un bon début, ils ont
créé une première bulle financière et la
situation de leurs banques suscite en conséquence quelques
interrogations.
Dernière
nouvelle sans commentaire : une secousse de magnitude 4,1 sur
l’échelle de Richter vient d’être enregistrée
à l’Aquila, lieu du prochain G8 de la semaine prochaine et
d’un tremblement de terre meurtrier le 6 avril dernier (magnitude 5,8).
*Billet
rédigé par François Leclerc
Paul Jorion
pauljorion.com
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» est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que
le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’
» qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos
contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait
aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut
s’exprimer ici.
Paul Jorion,
sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix
dernières années dans le milieu bancaire américain en
tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié
récemment L’implosion. La finance contre l’économie
(Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ?
(La Découverte : 2007).
Les vues
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siennes et peuvent évoluer sans qu’il soit nécessaire de
faire une mise à jour.
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invitation à réaliser un quelconque investissement. . Tous droits réservés.
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