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Cours Or & Argent

Le protectionnisme financier à l’œuvre

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Publié le 08 juillet 2009
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Rubrique : Editoriaux





Ce texte est un « article presslib’ » (*)



Les appels rituels à ne pas céder aux sirènes du protectionnisme commercial - le dernier en date lancé par la Banque des règlements internationaux - apparaissent à un double titre très formels et surtout un peu dérisoires. En premier lieu, à cause de l’importante contraction que connaît le commerce international, mais plus encore en raison d’un repli sur soi bien plus redoutable à terme, car chacun développe de plus en plus dans son coin ses propres mesures de régulation financières. Et qu’il est dans ce domaine comme dans celui de tout système: la partie la moins performante détermine la performance de l’ensemble.

Alors que le Congrès américain s’est emparé du dossier, ouvrant une période de tous les dangers, à l’issue et au calendrier incertains, l’Allemagne a tiré sans attendre les leçons des mésententes européennes, estimant acquis que, la régulation financière mondiale made in US ayant peu de chances de la satisfaire, celle qui était discutée à l’échelle européenne serait tout autant limitée. Il lui fallait donc définir et mettre en place sans attendre ses propres règles, à l’abri de ses frontières. Un exercice certes limité, dans le contexte d’une finance mondialisée, mais permettant de se prémunir du mieux possible faute de mieux. Le Bundestag a adopté aujourd’hui vendredi une loi renforçant les pouvoirs du Bafin (l’Autorité des marchés financiers), afin d’accroître son contrôle bancaire sur le territoire. Il faut dire que les banques allemandes ont beaucoup fauté et que leur sauvetage attend que les prochaines élections d’octobre soient passées avant d’être effectué, et que l’épisode de la déconfiture d’Hypo Real Estate, nationalisée elle sans délai, a marqué les esprits. Une disposition, parmi d’autres, attire l’attention : la nouvelle loi prévoit que des personnalités extérieures aux sociétés financières pourront être nomméws dans les conseils de surveillance des banques coopératives et des caisses d’épargne. La confiance règne.

La France, sombrant dans le pathétique, vient pour sa part de se lancer à sa manière sur le terrain « porteur » de la régulation, par la bouche de son ministre de l’agriculture, Bruno Le Maire : « Nous avons vu avec le secteur financier ce qui se passe lorsqu’on laisse les seules forces du marché agir (…) nous devons mettre autant de régulations dans l’agriculture que dans le secteur financier ». Avant de détailler son plan de bataille destiné à protéger l’agriculture, alors qu’à propos de la régulation financière, comme de la situation réelle du système bancaire, le plus épais brouillard continue d’envelopper le monde où se trouvent réunis les financiers, la haute administration et le pouvoir politique.

Il est très difficile, à ce stade, de comprendre jusqu’où va ou non aller la régulation dans les deux grands centres financiers mondiaux, les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, alors que les discussions ne viennent que de s’y engager et que les lobbies de « l’industrie financière » ferraillent déjà. A remarquer cependant que la SEC étudie le retour de mesures de régulation des ventes à découvert. Avec le soutien appuyé de l’American Bankers Association, dont certains des membres ont senti le vent du boulet (quand il ne leur a pas emporté un bras). Angela Merkel, la chancelière allemande, vient à nouveau de mettre les pieds dans le plat, après avoir récemment critiqué publiquement la politique inflationniste de création monétaire de la Fed et de la BoE. « Il y a peut-être un certain danger que des banques qui recommencent à aller plutôt bien ne soutiennent pas les efforts de régulation mais les remettent en question », a-t-elle déclaré au Wall Street Journal, ajoutant pour la bonne forme : « Mais je ne crois pas qu’elles y parviennent, ni avec le gouvernement américain, ni dans l’Union européenne ». Assurant de sa profonde conviction et contre toute évidence, que « tout le monde allait dans le même sens ».

Sans surprise, la Grande-Bretagne a bataillé dur ces dernières semaines pour sauvegarder l’indépendance de la City, avec évidemment l’intention d’en faire le moins possible sur le chapitre de la régulation. On y observe une véritable fuite en avant, à la mesure de la situation économique britannique, n’envisageant de salut possible que grâce à son activité financière. Un article de la dernière livraison de « The Economist » résume bien la position britannique. Il tire à boulets rouges, comme étant le prétexte enfin trouvé par les Allemands et les Français pour régler leurs vieux comptes et défendre leurs propres places financières, contre les projets de réforme européens, qu’ils concernent les hedge funds, le secteur du private equity ou les banques elles-mêmes. Se réfugiant sans surprise sous le parapluie conceptuel anti-systémique du « plan Obama ». Mais si l’hebdomadaire préféré de la City épouse naturellement la cause de celle-ci, il ne perd pas pour autant le Nord. Il constate que s’exercent désormais en Europe des « forces centrifuges », pour conclure ainsi un autre article intitulé, bien à sa façon, « Divisés par un marché commun » : « Ceux qui sont les plus en faveur d’une réforme financière européenne ont pêché par lenteur. Le marché qu’ils veulent réguler est en train de se fragmenter sous leurs yeux, alors qu’ils en sont à en rédiger les règles. » Il signe ainsi, toujours à sa façon, le bulletin de décès d’une certaine conception de l’Europe, que l’hebdomadaire a toujours combattu et qui avait de toute façon déjà un plomb considérable dans l’aile. Le charbon et l’acier auront été à l’origine, en 1951, de la création de l’Europe, la finance la destine, en 2009, à n’être désormais qu’une importante zone de libre échange, ce que l’élargissement avait largement entamé.

On aurait pu espérer que la situation potentiellement alarmante du système financier allait donner du cœur à l’ouvrage aux diverses autorités nationales et européennes. Ce n’est donc pas vraiment le cas, et ce n’est pas étonnant s’agissant particulièrement de Bruxelles, dont les chefs d’Etat européens ont décidé d’un commun accord, avec l’élection des derniers présidents de la Commission, qu’il fallait lui couper les ailes. Aboutissement d’une longue concertation avec les acteurs du marché des produits dérivés, la Commission vient néanmoins de lancer une consultation, ouverte jusqu’au 31 août prochain, sur la base d’une proposition sans surprise. Celle-ci, dans la foulée des Américains, prévoit la création d’une chambre de compensation européenne (encore un bras de fer avec les Britanniques en perspective), ainsi que des mesures de standardisation de ces produits, afin de réduire les risques majeurs de ce marché de gré à gré, sans en prendre de toute évidence la pleine mesure. Alors qu’il continue de manière assez imprévisible de produire des dégâts financiers. Une nouvelle dégringolade de l’assureur américain AIG, tenu hors de l’eau par le Trésor américain, serait dans les tuyaux, c’est tout du moins la rumeur qui circule dans les milieux boursiers. L’urgence d’assainir ce secteur est reconnue par tous, mais le laborieux débouclage en cours du gigantesque écheveau de ces produits hautement toxiques est un secret mieux gardé que les clefs de Fort Knox.

Dans un article du 2 juillet, daté de Paris, le New York Times décrit comment les Européens sont emberlificotés dans le processus de leurs stress tests, dont il relève qu’il est « très politique », avant même d’aborder sérieusement le plat principal, les mesures de régulation elles-mêmes. Citant la ministre française de l’économie, Christine Lagarde, qui n’a rien trouvé de mieux à déclarer, avec un accent de sincérité peu crédible, que « nous ne cherchons pas à cacher des choses sous le tapis ». Le New York Times fait état dans son article, détails à l’appui, de la situation des systèmes bancaires allemands et espagnols, dont on comprend que des gouvernements tardent le plus possible à les reconnaître. Un second article du journal, décrivant à titre d’exemple les coûteuses dérives aventureuses sur le marché des CDO de la banque belge KBC, cite un analyste de Standard & Poor’s, Scott Bugie, expliquant que les banques européennes étaient entrées dans un processus, qui allait prendre plusieurs années, afin d’améliorer leur capitalisation et de retrouver leur santé. Prédisant que les défauts sur les mauvais crédits allaient doubler l’année prochaine dans les bilans des 50 plus grandes banques européennes.

Le prochain G8 de juillet va être l’occasion, à ces sujets notamment, de faire un « point d’étape », pour utiliser cette expression qu’affectionnent les chefs d’Etat quand ils sont incapables de conclure. Le monde est devenu multipolaire, mais en même temps centrifuge. Il y a plus de trois mois que le G20 de Londres décidait de donner au FMI tous les moyens ou presque afin d’intervenir sur toute la planète. Et son conseil d’administration vient juste de l’autoriser à émettre des obligations, une nouveauté, solution qui a été trouvée pour que les pays « émergents » acceptent d’apporter à leur tour leur obole au pot commun. Tout est très lent, à mettre en place et pendant ce temps-là la récession mondiale s’installe, ne faisant qu’accroître les problèmes. C’est sans doute parce qu’il en a conscience que le président chinois Hu Jintao a donné, en avant-première du sommet, une interview au Corriere della Sera. Appelant ses participants « à mettre en œuvre les décisions prises lors des G20 de Washington et de Londres » en faveur du « renforcement des contrôles sur les marchés financiers » et de la « réforme du système financier international ». Une manière de signifier qu’il faudrait enfin s’y mettre.

Pouvons-nous attendre des Chinois, à défaut de compter sur eux pour la relance économique, qu’ils contribuent à développer la régulation financière ? On peut craindre que, tout en défendant leurs intérêts avec opiniâtreté, ils ne rêvent en fait que de prendre toute leur place, avec leur monnaie, dans le grand concert de la finance, dont ils ont déjà appris une partie du répertoire. Le modèle de développement, dans lequel ils sont pour l’instant coincés, est à l’image de cette intégration qu’ils ont entamée et qu’ils veulent poursuivre. Pour l’instant, c’est un bon début, ils ont créé une première bulle financière et la situation de leurs banques suscite en conséquence quelques interrogations.


Dernière nouvelle sans commentaire : une secousse de magnitude 4,1 sur l’échelle de Richter vient d’être enregistrée à l’Aquila, lieu du prochain G8 de la semaine prochaine et d’un tremblement de terre meurtrier le 6 avril dernier (magnitude 5,8).


*Billet rédigé par François Leclerc


               

Paul Jorion

pauljorion.com


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(*) Un « article presslib’ » est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’ » qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.


Paul Jorion, sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix dernières années dans le milieu bancaire américain en tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié récemment L’implosion. La finance contre l’économie (Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ? (La Découverte : 2007).



Les vues présentées par Paul Jorion sont les siennes et peuvent évoluer sans qu’il soit nécessaire de faire une mise à jour.   Les articles présentés ne constituent en rien une invitation à réaliser un quelconque investissement.  . Tous droits réservés.




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