Ce texte est un « article presslib’ » (*)
En
Europe, la crise a élargi son terrain. Elle était celle
d’un Etat devant faire face au refinancement de sa dette alors que ses
taux obligataires grimpaient (ils sont toujours très
élevés, même s’ils se sont détendus), elle est
aussi devenue celle du système bancaire dans son ensemble.
Certes,
certaines banques sont plus exposées que d’autres au risque grec
– ou bien demain portugais ou espagnol – mais toutes sont en
réalité menacées. Car quand elles ne le sont pas en
raison de leurs filiales – toutes les banques du pays étant
désormais tenues hors de l’eau par la BCE – elles le sont
en raison de la dette souveraine qu’elles ont en portefeuille, toujours
susceptible d’une décote en dépit de l’activation
probable du plan de sauvetage, qui n’en prévoit pas. Enfin,
elles ont subi des baisses en bourse, touchant indifféremment les
valeurs financières, sans faire le détail. Aujourd’hui
vendredi, le marché présenté comme serein est dans
l’attentisme, suivant l’expression consacrée, les
financières souvent encore à la baisse.
La
crise des banques européennes va-t-elle être stoppée par
le sauvetage de la Grèce ? Rien n’est moins sûr, car elles
vont être désormais sous une triple menace : celle
qu’un nouveau point faible de la zone euro soit pris dans une tourmente
identique, celle d’une décote des obligations grecques, qui
pourra ultérieurement s’imposer, celle d’une décote
d’autres obligations à la faveur d’une extension de la crise
à un autre pays et d’un plan de sauvetage l’impliquant.
La prochaine
réunion de la BCE, prévue jeudi prochain à Lisbonne, est
donc attendue avec beaucoup d’attention. L’un des enjeux est que
celle-ci continue d’accepter en pension la dette souveraine de pays
dont la notation continuerait à baisser, l’obligeant à
revoir à nouveau le plancher qu’elle a fixé dans ce
domaine. Pouvant aboutir à une situation où la BCE en viendrait
à accepter systématiquement en pension la dette souveraine de
la zone euro, ce qui reviendrait à totalement détourner –
sinon dans la lettre tout au moins dans l’esprit – ses propres
statuts et l’interdiction qui lui est faite de financer directement la
dette des Etats.
Les
chefs d’Etat et de gouvernement, qui devront encore entériner le
7 ou 8 mai prochains le plan de sauvetage de la Grèce à
l’unanimité, ne s’en tireront pas à si bon compte.
Non sans de grandes difficultés, ils ont fait de mauvais choix
auxquels ils vont être confrontés. D’abord en
plaçant la barre beaucoup trop haut pour le
gouvernement grec. Combien de temps sera-t-il possible de ne pas le
reconnaître ? Ensuite, en choisissant de protéger leurs banques
sans se soucier du montant exorbitant de l’addition qu’ils
veulent faire payer aux grecs. Les Allemands faisant preuve de plus
d’intelligence politique en associant tout de même leurs banques
au sauvetage.
Si
l’on considère la Grèce, la tâche du gouvernement
serait facilitée s’il pouvait laisser entrevoir aux Grecs une
lumière au bout du tunnel. Des financements européens auraient
pu lui permettre de lancer un programme d’investissement dans des
activités génératrices d’une future croissance. Ce
n’est pas le cas. Le plus probable est que le pays va s’enfoncer
dans la récession, vu ce qui est exigé de lui.
Si
l’on envisage la zone euro, une réflexion devrait être au
plus vite engagée sur un mécanisme de sauvetage global afin
d’éviter d’aborder par étapes une crise concernant
toute la zone car mettant en cause l’euro, ce qui est le meilleur moyen
d’augmenter son coût final. Le montant minimum qui circule
à ce propos est de 500 à 600 milliards d’euros, une
enveloppe dont la couverture ne peut pas être le résultat
d’une nouvelle improvisation, ni la reconduction élargie du
dispositif actuel.
La
mutualisation de la dette européenne, sous une forme ou sous une
autre, est la seule solution si les gouvernements veulent éviter ce
qui sera sinon, au mieux, un long dérapage non contrôlé.
Poser le préalable d’une politique économique commune,
d’une Europe fiscale ainsi que sociale est un luxe qui n’est
même pas envisageable, faute de temps et d’accord politique.
Faute, également, d’un leadership européen qui fait
totalement défaut, au vu de ce que la génération
actuelle des femmes et des hommes politiques européens est capable de
produire.
Sortir
de la tendance déflationniste dans laquelle l’Europe se trouve,
et va continuer de s’enfoncer en application du vide stratégique
actuel, ne se réglera pas par l’opération du Saint
Esprit. Cela suppose de prendre en compte la dimension sociale de la crise,
et non pas de s’en tenir à des paramètres
économiques et financiers désincarnés, qui masqueront
l’accroissement des inégalités sociales et de la
précarité ainsi que le déclassement d’une partie
des classes moyennes.
Les
dernières statistiques d’Eurostat viennent de sortir, qui font
état pour mars d’un chômage au dessus de la barre des 10%
au sein de la zone euro. Il s’agit évidemment d’une
moyenne, calculée sur la base des chiffres officiels fournis par les
gouvernements. L’augmentation du nombre de chômeurs, qui se
poursuit, pourrait simplement croître moins vite, est-il
pronostiqué. Mais la publication de cette statistique est
éclipsée par les nouvelles se voulant apaisantes de la
détente des taux obligataires, de la baisse du coût des CDS sur
la dette. Comme pour la brasse papillon, on sort la tête de l’eau
avant de la replonger.
Le
syndrome grec va désormais hanter l’Europe.
Billet
rédigé par François Leclerc
Paul Jorion
pauljorion.com
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le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’
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Paul Jorion,
sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix
dernières années dans le milieu bancaire américain en
tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié
récemment L’implosion. La finance contre l’économie
(Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ?
(La Découverte : 2007).
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