En
adoptant le principe d’une révision du traité de Lisbonne
afin de pérenniser un dispositif collectif de sauvetage financier
d’un Etat en difficulté, les 27 de l’Union
européenne se sont engagés dans un tournant dont il ne voient pas la fin.
Ce
premier coup de canif dans le contrat de mariage pourrait en effet être
suivi d’autres. Reconnaître l’hypothèse que certains
pays ne seraient pas en mesure de respecter le contrat
d’austérité qu’il leur est exigé de suivre
pourrait impliquer que, pour d’autres, du mou devrait être
donné à la laisse. Mais n’anticipons pas…
Dans
l’immédiat, à peine engagé, ce tournant a
suscité une passe d’arme entre Jean-Claude Trichet et Nicolas
Sarkozy, rapportée de plusieurs sources. « J’ai
l’impression que certains ne se rendent pas compte de la gravité
de la situation » a tonné le premier, en pure perte.
Non
seulement le président de la BCE n’a pas obtenu gain de cause
sur un sujet à propos duquel il s’était exprimé
sans ambages – l’automaticité des sanctions pour les pays
allant hors des clous – mais il n’a pu empêcher que soit
adopté un mécanisme anti-crise
qui pourrait selon lui susciter sans tarder une réaction des marchés,
furieux devant la perspective de devoir participer demain à
d’éventuelles restructurations de dette. Ou, pour le dire sans
détours, craignant que les banques européennes ne causent une
nouvelle hausse des taux obligataires de pays comme la Grèce et
l’Irlande. Pour commencer.
La
BCE a été en effet prise à contre-pied par les
décisions du dernier sommet de Bruxelles et craint de devoir en
assurer les conséquences. Pour la seconde fois, alors qu’elle
tentait de très progressivement réduire la voilure de ses
programmes de soutien financiers, elle se retrouve devant la perspective de
devoir au contraire se préparer à les étendre. Renvoyant
dans leurs dix-huit mètres Alex Weber et ses compagnons du camp des faucons,
pour reprendre la terminologie utilisée aux Etats-Unis pour
désigner ceux qui voudraient voir la Fed également lever le
pied.
Précisément.
cette dernière se prépare à agir, suivie par ses consœurs britanniques et japonaise. Mettant la
BCE dans une autre situation d’isolement délicate. Toutes les
banques centrales se réunissent cette semaine, la BCE le faisant jeudi
prochain, en dernier, avec un conseil des gouverneurs qui risque
d’être aussi animé que l’est depuis quelque temps le
comité de politique monétaire de la Fed.
Les
banques centrales sont désormais au cœur des contradictions,
écartelées entre le respect de leurs traditions et de leurs
dogmes et la nécessité d’agir. Plus que jamais expression
d’un fragile dernier recours qui ne permet que de temporiser, mais ne
règle rien. Progressivement, elles en viennent à garantir la
dette des Etats, certains de ces derniers et non des moindres n’y
parvenant plus. La confiance des marchés reposant de plus en
plus sur leurs épaules, qu’elles risquent d’avoir trop
étroites.
Mais
de nouvelles émissions monétaires – pour les banques
centrales libres de les effectuer – seront-elles une solution ? La
BCE ne sera-t-elle pas à son tour entraînée, à son
corps défendant et à celui de ses mandants allemands, dans la
même nécessité ? Céder d’un pas,
c’est devoir se préparer à reculer en en faisant
d’autres, doivent se dire non sans raison les tenants de la ligne intransigeante.
La
restructuration de dettes désormais admise dans son principe par les
Européens, d’autres ne vont-ils pas être tentés
d’évaluer la possibilité d’emprunter ce même
chemin ? Après tout, ne s’oriente-t-on pas,
irrévocablement mais lentement, vers la remise à zéro
des compteurs monétaires que représenterait une réforme
du système monétaire internationale ? Une autre mise
à plat ne va-t-elle pas être nécessaire ?
Des
gouffres s’ouvrent sous les pieds de ceux qui tentent de conserver leur
équilibre et de préserver leurs fondamentaux.
Qu’ils veuillent bien excuser cet emprunt à leur langage
ampoulé, ils ne sont plus à cela près !
Jean-Claude
Trichet vient de s’écrier «Ma cassette ! ma
cassette ! » à la seule évocation d’une
éventuelle restructuration des dettes d’un petit pays
européen qui ne devrait dans le pire des cas – selon lui –
intervenir qu’après la mi-2013, lorsque la révision light
du traité de Lisbonne sera intervenue. Qu’en sera-t-il demain,
si l’hérésie suprême qui consisterait à
aller chercher l’argent là où il se trouve pour renflouer
les Etats déséquilibrés par leur soutien au
système financier privé gagnait du terrain et finissait par
s’imposer ? Au lieu de produire à grands frais de nouvelles
dettes pour en financer d’anciennes ?
Etouffée
à l’époque par les Américains, une étude
interne au FMI avait abouti il y a quelques années à une
nouvelle approche de la restructuration de la dette souveraine. Elle reposait
sur une transposition de la loi sur les faillites américaines et
impliquait la création d’un tribunal international. Le
mécanisme n’a jamais été lancé, mais il
pourrait susciter des vocations, sauf qu’il ne s’agirait pas
cette fois-ci de traiter des dettes d’un seul pays…
Cela
serait une excellente manière de procéder, à la faveur
d’une telle remise de peine, à la réduction de la gigantesque
et dévastatrice bulle financière qui s’est
constituée. Pour commencer.
Car,
publique ou privée, il n’y a en réalité
qu’une seule bulle. Ses débiteurs sont différents mais
ses créanciers sont les mêmes. La machine à faire de la
dette se confond avec celle à faire de l’argent et la bulle,
à force, ne cesse d’enfler en dépit des accidents de
parcours. Le gros accident qui est en cours est trop important et a
donné un signal qu’il va falloir se résigner à
entendre : cela ne peut plus repartir comme avant.
Billet
invité : François Leclerc
Paul Jorion
pauljorion.com
(*) Un « article presslib’ » est libre de reproduction en tout
ou en partie à condition que le présent alinéa soit
reproduit à sa suite. Paul Jorion est un
« journaliste presslib’ » qui vit
exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il
pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui
tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.
Paul Jorion,
sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix
dernières années dans le milieu bancaire américain en
tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié
récemment L’implosion. La finance contre l’économie (Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ? (La
Découverte : 2007).
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