Charles II fut roi d’Angleterre de 1660 à
1685. Tout au long de son règne, des baguettes de bois étaient,
entre autres, utilisées comme monnaie. Cette histoire possède
un certain parallèle avec le monde moderne.
Tandis que les Pères Pèlerins
étaient occupés à fonder l’Amérique, leurs
frères puritains anglais se libéraient de l’oppression
religieuse. En 1650, Olivier Cromwell renversa le roi, décapita ce
dernier et, sur un modèle familier, prit le contrôle du
parlement en menaçant de le dissoudre s’il s’opposait
à lui. Il mourut en transmettant directement le pouvoir à son
fils, apparemment sans aucune opposition.
Cromwell disparut, et l’Angleterre
décida que s’il elle devait avoir un roi, celui-ci se devrait
d’être légitime. Ainsi, Charles II fut couronné en
1660, onze ans après l’exécution de son père.
Les pouvoirs du nouveau roi étaient moins
larges que ceux que possédait son père. La plupart de ses
réalisations dépendaient d’une coopération avec le
parlement. En particulier, le privilège royal de lever des
impôts était perdu, réduisant Charles II à
quémander à tout jamais les taxes à son nouveau partenaire
gouvernemental. Le parlement se réunissait rarement et la logistique
de la collecte des impôts retardait les rentrées d’argent.
La liquidité était donc toujours rare. Le roi avait du mal
à payer les factures à temps.
A peu près à ce moment-là,
Londres commença à se développer financièrement.
Les joailliers -dont le rôle traditionnel était la fabrication
de bijoux et de plats- formèrent une corporation qui devint plus tard
le groupe des banquiers moderne.
Les joaillers se trouvèrent bientôt
dans la position de pouvoir prêter de l’argent et ce faisant,
devinrent les intermédiaires clé du marché naissant du
financement de la dette gouvernementale.
Cela fonctionnait ainsi : armé de la
permission parlementaire d’augmenter les impôts, Charles II
encaissait tout de suite les liquidités de certaines recettes fiscales
auprès des joaillers, moyennant un taux d’escompte par rapport
à leur valeur faciale. Les joaillers, de moins en moins en mesure
d’honorer leurs comptes privés et incapables de monnayer la
dette royale, furent rapidement dans l’impossibilité de
prêter davantage au roi. Alors il fut arrangé que le
remboursement de la dette ne serait plus dû au joailler originellement
détenteur du bon mais à n’importe quel détenteur,
de sorte que le prêteur original puisse vendre la dette et retrouver sa
liquidité initiale.
Le problème était alors de savoir
comment s’assurer que le nouveau détenteur de la dette
–n’étant plus le débiteur d’origine- puisse
identifier de manière certaine l’authenticité du bon au
porteur. C’est alors que mère Nature apporta sa solution au
problème.
Un morceau de bois fendu par le milieu ne
coïncidera parfaitement qu’avec son autre moitié. Et
c’est ainsi que les baguettes de bois devinrent un composant de la
monnaie anglaise. Le bureau de la dette du gouvernement prit de belles baguettes
de noisetier et grava autour divers symboles qui dénotaient les
montants monétaires empruntés et prêtés. La
baguette était ensuite fendue en son milieu et chaque moitié
présentait une partie des entailles. Un côté
–qui avait une
poignée en bois était appelé la
« souche »- était détenu par le
Trésor du roi, tandis que l’autre partie était
donnée au joaillier, qui recevait également un morceau de
papier détaillant la date et les circonstances du remboursement.
Le système était simple et
efficace. Les joaillers-banquiers étaient dignes de confiance et
échangeaient entre eux la majeure partie de ce qui était alors
connu sous le nom de « baguettes » pour se procurer des
liquidités. Ils avaient de bonnes raisons de demeurer honnêtes
car ils étaient des intermédiaires clef dans un marché
profitable et rapidement croissant. Les baguettes de bois étaient
impossibles à contrefaire et le roi garantissait le remboursement de
l’ensemble des dettes.
C’est une tentative de perfectionnement de
ce système qui mènera finalement à son effondrement,
après l’avoir étendu bien trop largement pour qu’il
demeure viable. Au départ, l’offre de liquidités
provenait directement des joaillers. Avec précaution, ils
commencèrent à sortir l’argent qu’ils
possédaient dans leurs dépôts privés, sachant que
leur crédit personnel leur procurerait suffisamment d’argent
liquide s’ils devaient rembourser leurs déposants. Par la suite,
ils réalisèrent qu’ils pouvaient faire encore mieux en
offrant un intérêt sur les dépôts privés
à terme, car cela éliminerait le risque que
représenterait le rappel des fonds à vue. En payant un
intérêt, ils accumulaient encore plus de liquidités
publiques et ces fonds étaient prêtés au roi à un
rythme grandissant.
Charles II n’eut bientôt plus besoin
de se soucier de l’approbation du parlement quant à
l’augmentation des taxes avant d’émettre des baguettes
puisqu’il était en mesure de les vendre. A partir de 1668, il
devint communément accepté que les emprunts d’Etat soient
garantis par de futures taxes sur la nation, hypothèse qui est toujours
valable de nos jours.
Le frein parlementaire à
l’émission de ce nouvel instrument monétaire était
alors contourné, et rapidement, la ville de Londres florissait
grâce au crédit garanti par ces baguettes en bois fendues. C’est alors que les choses
devinrent plus difficiles.
A mesure que les dépositaires volontaires
privés se raréfiaient, il fallait ajouter un petit quelque
chose au taux d’intérêt pour pouvoir extraire un peu plus
de liquidité du public. Les joailliers ne pouvaient offrir au roi des
escomptes finançables qu’en fonction de dépôts
qu’ils pouvaient eux-mêmes obtenir. En 1670, le roi devait
accepter un escompte de 10% par an pour faire face à ses dettes
« baguettes ». Les déposants recevaient
maintenant 7% d’intérêts et les intermédiaires le
reste.
En 1671, le système ne profitait plus du
tout au roi, puisque les remboursements nécessitaient toute la
liquidité que les émissions suivantes avaient pu lever. Il
avait obtenu tout l’argent privé qu’il pouvait obtenir et
ainsi, lorsqu’à la fin de l’année, il demanda
encore plus de cette liquidité vitale, les banquiers ne purent la lui
fournir, quel qu’en soit le prix.
Bien ennuyé, Charles II se souvint que la
plus grande part de ces crédits contractés récemment
l’avaient été à des taux supérieurs
à 6%, limite imposée par ses propres lois contre l’usure.
Il déclara ces dettes illégales et ses propres paiements
stoppèrent. Cette action temporaire fut décrétée
le 2 Janvier 1672 et fut prolongée après un an pour deux
années supplémentaires (sujettes à quelques exceptions)
après lesquelles elle fut valable indéfiniment.
L’effet en fut que ceux qui prêtaient
à l’Etat avaient accidentellement fourni, grâce à
leurs richesses accumulées avec précaution, des impôts
volontaires. On blâma les joaillers. Ils furent caricaturés
comme étant des opportunistes avares, et damnés par leurs
déposants précédemment enthousiastes. Onze des quatorze
plus gros joaillers firent faillite, laissant leurs chefs ruinés, en
banqueroute, en fuite, en prison, ou encore morts.
L’humble baguette de bois ne retrouva plus
jamais sa crédibilité. Elle fut vouée à perdre la
bataille contre son proche cousin – le papier.
Paul Tustain
Président
Bullionvault.com
|