Nous sommes en train d’assister à la chute des deux plus grands blocs économiques du monde, les États-Unis et l’UE. Vu la détérioration des conditions économiques des deux côtés de l’Atlantique, qui se développe depuis de nombreuses années mais qui a été largement occultée par des émissions sans précédent de crédit, cette chute ne devrait pas surprendre.
Non seulement nos niveaux de dettes sont sans précédent, mais il y a peu encore ils auraient été inconcevables. Lorsque les conditions rendant possible cette orgie de dette ont été créées durant la seconde moitié du 20e siècle, les gens ont dû commencer à envisager les possibilités et les opportunités découlant de ce changement. Une fois le changement amorcé, le crédit s’est vite ancré dans les habitudes.
Les raisons derrière le ralentissement économique que nous vivons sont un sujet de discussion intéressant. La disponibilité de l’énergie joue très certainement un rôle, ou plutôt le coût énergétique de l’énergie, mais l’idée que nos sociétés fonctionnent grâce au crédit semble plus importante.
Crédit (bleu) VS PIB (rouge)
On pourrait même croire que le coût de l’énergie, ou tout autre paramètre, n’a plus aucune espèce d’importance à partir du moment où il est possible d’emprunter quasi n’importe quelle somme d’argent à des taux planchers. C’est à se demander pourquoi on n’y a pas pensé plus tôt… Imaginez à quel point les générations précédentes auraient pu s’enrichir, ou au moins avoir l’impression de le faire.
S’ils ne l’ont pas fait, c’est que le besoin ne s’en faisait pas ressentir. Les choses allaient mieux la plupart du temps, même si c’était loin d’être rose tous les jours, tandis que les envies de possession étaient moindres. Ce n’est pas que les gens n’avaient pas envie de posséder, c’est juste qu’ils ne savaient pas encore qu’il était possible de posséder autant. Les envies matérielles étaient tout aussi inimaginables que la dette qui aurait pu servir à les assouvir.
Ce n’est que lorsque les choses ont commencé à ne plus aller que l’idée de créer l’illusion de la bonne santé économique est apparue. Au début, les gens ne sont pas tombés dans le panneau, mais petit à petit, comme la grenouille qui finit par bouillir à petit feu, les choses se sont mises en place, sur plusieurs décennies.
Au début, les femmes ont dû se mettre à travailler pour payer les factures, les soins de santé et les soins de scolarité qui augmentaient alors que la fiscalité s’alourdissait également. On était bien trop occupé pour se rendre compte que la température de l’eau était désormais agréablement chaude. Un véhicule flambant neuf, voire deux ou trois, un beau petit pavillon de banlieue dont le jardin est délimité par une clôture en bois, le rêve américain, français ou britannique semblait pouvoir perdurer.
Personne ne se posait la question de savoir comment payer, car tout était à portée de main : la grenouille pouvait payer à crédit. Au début uniquement pour l’immobilier, ensuite pour les voitures, les biens de consommation comme les télévisions et l’électroménager, et ensuite pour quasiment tout.
Personne ne s’est également soucié des dommages collatéraux. Les dégâts environnementaux en raison de la multiplication des routes et des voitures, les petites villes de province qui se meurent comme les petits commerçants et les espaces verts… La disparition de tout ceci était considéré comme inévitable, et ironiquement presque « naturel ».
Sans parler des dégâts occasionnés à la planète bien au-delà de son environnement direct, par exemple l’exploitation des ressources naturelles à l’étranger ou les guerres visant à mettre la main sur les matières premières d’autres pays. Peu de gens s’en souciaient jusqu’à la guerre du Vietnam. (…)
À observer le monde aujourd’hui de façon superficielle, soit de la façon dont la plupart des gens le font, on pourrait croire que le crédit, suffisamment bon marché, occulte tous les autres facteurs, économiques ou autres, même la physique. Sauf qu’il ne s’agit pas de la panacée, c’est juste une illusion temporaire. En bout de course, les lois naturelles sont plus fortes que « l’innovation financière ». En fin de compte, la thermodynamique définit les limites, même de l’économie.
La croissance, pour quoi, pourquoi, au juste ?
Ce qui nous mène à une autre discussion. (…) Quel genre de croissance désirons-nous ? La croissance dans quel but, pour devenir quoi ? Il y a quatre ans, j’ai écrit « Que voulons-nous faire de la croissance ». Je n’ai toujours vu personne poser cette question, ou encore moins y répondre.
Nos sociétés modernes veulent de la croissance par défaut, elles veulent de la croissance pour faire de la croissance, sans réfléchir où cela nous mène. Peut-être qu’inconsciemment, nous pensons que tant que nous sommes en mesure de produire de la croissance, nous pourrons décider ce qu’il convient d’en faire plus tard.
Mais ce n’est pas ainsi que cela fonctionne. La croissance change constamment les règles du jeu, et si nous ne sommes pas à même de nous adapter aux changements qu’elle engendre, nous avons toujours un coup de retard. Tout simplement car nous refusons de nous interroger sur le but de cette croissance. (…)
Cette quête aveugle de la croissance nous a rendus obsessionnels. À un point tel que nous recourons aujourd’hui à la « comptabilité créative » afin de générer l’illusion de la croissance, même quand il n’y en a pas. Nous sommes tellement conditionnés par ce besoin de croissance, individuellement et collectivement, que nous sommes terrorisés à l’idée qu’il n’y en ait pas. La peur aveugle engendre des désirs aveugles.
Comme nous l’avons vu, nous nous sommes surendettés pour créer l’illusion de la croissance. Aujourd’hui, l’argent (la dette) n’est pas créé par les gouvernements, mais par les banques privées. Les banques doivent donc vendre du crédit aux gens pour qu’il y ait de la monnaie qui circule. C’est l’immobilier qui génère le plus gros des emprunts. Lorsqu’un futur propriétaire signe un crédit hypothécaire, la banque crée une grande quantité d’argent, créée à partir de rien.
Le crédit immobilier, moteur de nos économies
Si les banques sont en difficulté, par exemple parce qu’elles ont perdu de l’argent à cause de mauvais investissements ou parce que les gens ne savent plus rembourser un crédit hypothécaire déjà inabordable lorsqu’ils l’ont signé, la seule façon pour une banque de sauver les meubles, outre un plan de sauvetage du gouvernement, consiste à vendre encore plus de crédits.
Les taux planchers sont l’une des tactiques qui ont été créées pour maintenir à flots les grandes banques. Ils créent non seulement l’illusion de la croissance, mais aussi de la richesse. Ils font croire à la population que des biens immobiliers inabordables le sont subitement. Grâce aux taux planchers, on peut leur faire emprunter davantage d’argent, ce qui permet aux banques de survivre. (…)
Mais ce ne sont pas que les banques qui survivent, c’est toute l’économie. Sans les taux planchers, les crédits hypothécaires facilités par ceux-ci et les bulles immobilières qui en découlent, la quantité de monnaie en circulation dans nos économies tomberait tellement que tout s’effondrerait.
C’est la réalité : la survie de nos économies dépend de l’existence des bulles immobilières. Sans bulle, pas de création monétaire et pas d’économie. (…)
Avons-nous besoin de croissance ? Pouvons-nous seulement répondre à cette question si nous sommes incapables de déterminer ce que nous voulons en faire ? Y a-t-il peut-être un moment où, d’un point de vue énergétique ou financier, la croissance cesse d’être, peu importe ce que l’on fasse, tout comme notre corps cesse de grandir lorsqu’il a atteint sa taille adulte ?
Il est ironique de constater que les États-Unis ne semblent pas être le marché où l’immobilier représente le plus gros risque. Il existe des tas d’autres marchés dont les bulles semblent être bien plus gonflées, de Londres à la Chine en passant par Sydney et Stockholm. La bulle d’Auckland semble avoir déjà éclaté. Les conséquences potentielles de ces événements inévitables sont difficiles à surestimer vu l’importance des bulles dans nos économies.
Le résultat sera chaotique, même s’il est vain de vouloir le prédire avec précision. Il sera tout de même intéressant de voir ce qui se passera avec les banques de ces pays, dont les bulles ont été orchestrées, lorsque les prix commenceront à chuter. Il n’est pas économiquement sain de dépendre de bulles. »
Article de TheAutomaticEarth.com, publié le 30 mars 2017