« Tout a
fonctionné comme prévu. Le marché des actions se désintégrait – certaines des
plus grosses actions perdaient plusieurs points entre deux
transactions ; Wyman et Hegan et les hommes du pétrole et de l’acier
martelaient le marché et se préparaient à l’assaut final. Au même moment, les
représentants de Waterman à Washington s’entretenaient avec le Président, et
lui présentaient la situation désespérée de la Mississippi Steel Company.
La structure
financière du pays commençait déjà à vaciller, et une autre fissure menaçait
d’apparaître. Réalisant l’ampleur du désastre à venir, le Steel Trust s’est
engagé à tout faire pour sauver le pays – il a racheté Mississippi Steel Company
- , et a demandé à ce que le gouvernement n’intervienne pas. Son souhait a
été respecté, et le dernier objectif de Waterman a été atteint.
Mais il y
avait un autre problème auquel très peu avaient pensé : le public, de
qui provenait l’argent qui finançait ce jeu – les gens pour qui les dollars
n’étaient pas seulement des jetons de casino, mais un moyen de satisfaire les
nécessités de la vie, les chefs d’entreprise qui avaient à payer leurs
employés les samedis après-midi, les travailleurs qui en avaient besoin pour
payer leur loyer et s’acheter de quoi manger, les veuves et orphelins que ces
dollars protégeaient de la famine.
Ces gens
insatisfaits n’avaient pas les moyens de savoir que les institutions
financières, qu’ils percevaient comme étant parfaitement saines et capables
de payer leurs déposants, puissent se retrouver délibérément détruites à
cause de paris et de jeux financiers. Quand ils ont entendu dire que les
banques titubaient, et qu’un début de panique bancaire se manifestait, ils
ont pensé que le danger était réel – que l’effondrement depuis longtemps
prédit était sur le point de se produire. Des hordes de citoyens sont
descendus à Wall Street – le quartier financier était plein de foules
terrifiées et d’armées de policiers à cheval qui tentaient de maintenir le
calme dans les rues.
« Quelqu’un
a demandé un dollar ». C’est ainsi qu’un banquier a présenté la
situation. Wall Street menait ses affaires avec des morceaux de papier, et
voilà que quelqu’un avait décidé de demander un dollar. Et puis il a été
découvert que l’on avait abusé du dollar.
C’était une
expérience à laquelle les capitaines de la finance n’étaient pas préparés.
Ils avaient oublié le public. En a découlé une véritable convulsion de la
nature, qui a tourné au ridicule tous les pouvoirs des hommes et laissé les
observateurs stupéfaits et terrifiés. A Wall Street, les hommes se tenaient
comme dans une vallée, et voyaient au-dessus de leurs têtes la promesse d’une
avalanche. Ils se tenaient là, fascinés par l’horreur, à regarder les nuages
gonfler et gronder, et ont réalisé qu’ils n’avaient plus qu’une seconde ou
deux avant que la catastrophe ne se produise et qu’ils se retrouvent
submergés.
Les files
d’attente devant le Gotham trust et Trust Company of the Republic s’allongeaient
sur plusieurs pâtés de maisons, et chaque heure, on entendait dire qu’une
nouvelle institution était prise d’assaut. Des femmes secouaient la tête et
pleuraient de nervosité. Il y avait des personnes âgées à peine capables de
se tenir debout, des gens qui s’étaient extirpés de leur lit de malade, qui
se sont tenus jour et nuit, tremblant dans le vent d’octobre.
Des paniques
bancaires ont aussi frappé les caisses d’épargne. A l’est, le signal d’alarme
a atteint les populations étrangères ignorantes. Il s’est propagé à la
vitesse de l’éclair dans tout le pays. On entendait déjà parler de paniques
qui se développaient dans d’autres villes, et des demandes de fonds émanaient
de milliers de banques de l’ouest, de l’est, du nord et du sud du pays. Et il
n’y avait d’argent nulle part.
Les maîtres du
cartel bancaire ont réalisé à leur plus grand dépit que le monstre qu'ils
avaient libéré devait être contrôlé. Des institutions qui les concernaient
directement commençaient à être la cible de paniques. Face à une telle folie,
même les 25% de réserves des banques nationales ne seraient pas suffisantes.
Le financement
des récoltes de coton et de céréales a coûté des centaines de millions de
sorties de Cash aux banques de New York, et il était impossible d’obtenir de
l’argent de l’étranger. Où que l’on décidait de se tourner, il y avait une
pénurie de monnaie. Rien ne pouvait être vendu, aucune somme d’argent ne
pouvait être empruntée. Le peu de personnes qui sont parvenues à obtenir leur
argent avaient loué des coffres et caché leurs pièces ».
Upton Sinclair, The Moneychangers, 1908