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Tout
étonnés de bénéficier d’une accalmie dans
la tourmente (tout est relatif), les dirigeants européens en profitent
pour avancer leurs pions, espérant que cela finira par tourner
à leur avantage. Afin de faire bonne figure, les discours avantageux
peuvent se multiplier dans les salons du forum de Davos, tandis que
l’austérité étend son ombre qui grandit.
La
baisse des taux italiens à court terme (ainsi que celle des taux
espagnols à dix ans sur le marché secondaire) alimente leur
optimisme, les banques du pays puisant dans les crédits de la BCE sans
prendre trop de risques, puisque les maturités sont inférieures
à la durée de ses prêts. Il est désormais
espéré la poursuite des bienfaits du LTRO –
l’opération de prêts à trois ans de la banque
centrale – puisqu’elle va elle-même être
renouvelée, ce qui procurerait aux gouvernements le répit
qu’ils n’ont jamais trouvé, pouvant même leur faire
trop vite croire que c’est gagné ! En oubliant qu’ils
créent eux-mêmes les conditions de nouveaux rebondissements.
Leur
durcissement va dans l’immédiat atteindre la Grèce,
où le coût de la restructuration de la dette que les banques
privées ont refusé de régler dans son
intégralité fait l’objet de conciliabules de la
dernière heure afin de le répartir. Celles-ci étant,
comme Josef Ackermann de la Deutsche Bank l’a fait suavement remarquer,
déjà bien bonnes d’accepter presque 70% de pertes sur
leurs créances, elles n’iront décidément pas
au-delà et il ne reste plus qu’à se partager ce qui a
été qualifié par Jean-Claude Juncker de “petit
ajustement”, soutenu par la Commission. Celui-ci pourrait quand
même représenter quelques 11 milliards d’euros – qui
viendront s’ajouter au prêt de 130 milliards d’euros
– une fois accepté l’accroissement du ratio dette/PIB du
pays à 125% en 2020 au lieu de 120%.
Les
gouvernements allemand et français accueillent fraîchement la
perspective de devoir augmenter leurs garanties financières au FESF,
non sans espérer pour certains que la BCE se résolve à
boucler le dossier à leur place, si les banques ne bougent pas. Dans
tous les cas de figure, cela impliquera d’imposer des sacrifices
supplémentaires aux Grecs, afin de rester dans l’épure du
second plan de sauvetage, pour ne pas y revenir une troisième
fois, est-il expliqué, ou pour gagner suffisamment de temps, est-il
intérieurement pensé.
Le
commissaire européen Olli Rehn a annoncé “un train de mesures qui
ouvrira la voie à une solution viable pour la Grèce”, que
les Grecs qui en ont pris connaissance par la presse ont immédiatement
qualifié de “dix commandements” : coupes dans les pensions
complémentaires, nouvelle hausse de 25% des impôts sur
l’immobilier, mesures de dérégulation du marché du
travail débouchant sur des baisses de salaires dans le secteur
privé, suppressions d’organismes et d’emplois publics
(150.000 d’ici 2015)… et réduction des crédits
militaires.
Afin
de respecter leurs objectifs 2012 de diminution du déficit public, en
dépit de la récession et du chômage qui ne cesse
d’augmenter, les Espagnols sont aussi sommés de monter en
première ligne. En visite à Berlin, Mariano Rajoy
semble avoir été convaincu de cette nécessité,
après avoir envisagé de renégocier l’objectif
établi à 4,4%, avec comme contrepartie significative
“l’extraordinaire respect” de la chancelière. Devant
la douleur des autres, on s’incline.
Fin
2011, l’Espagne comptait officiellement près de 5,3 millions de
chômeurs, soit un taux de 22,85%. Plus d’un jeune sur deux de
moins de 25 ans n’a pas d’emploi et le nombre de foyers dont tous
les membres actifs sont au chômage est de 1,5 millions. 3 à 4%
du PIB sont dépensés pour soutenir et encadrer les
chômeurs, qui se réfugient quand ils le peuvent dans
l’économie informelle pour survivre.
Très
endettées, les 17 régions espagnoles ont lancé ces
derniers mois de sévères plans de rigueur afin d’assainir
leurs finances, amputant notamment leur budget santé et
éducation. Mais au troisième trimestre, leur déficit
global était encore de 135 milliards d’euros et elles doivent
atteindre l’objectif du déficit zéro à
l’horizon de 2020, de même que l’État.
Les
fonctionnaires manifestent par dizaines de milliers dans les régions
les plus touchées, les pharmacies qui approvisionnent les
hôpitaux baissent leur rideau pour protester contre les impayés,
de nombreux établissements d’enseignement ne sont plus
chauffés.
Des
coupes budgétaires de 8,9 milliards d’euros ont par ailleurs
été annoncées à Madrid, ainsi que des hausses
d’impôt de 6,3 milliards d’euros. Mais, pour parvenir
à réduire comme promis le déficit à 4,4% du PIB
cette année, 40 milliards d’euros devront être
trouvés alors que la Banque d’Espagne prévoit une chute
de 1,5% du PIB.
La
situation n’est pas meilleure au Portugal, les deux économies
étant très interdépendantes et le transfert au budget de
l’État des fonds de pension des employés des banques
ayant permis de respecter les objectifs de réduction du déficit
de 2011. Mais cette opération ne pourra pas être
renouvelée en 2012, alors qu’une contraction de 3,2% du PIB est
officiellement envisagée pour cette année. Le retour sur le
marché étant prévu pour 2013, un second plan de
sauvetage pourrait se révéler vite nécessaire, afin
d’obtenir de nouveaux prêts en plus des 78 milliards
d’euros du premier. Car le rendement de la dette à dix ans, dont
la note est maintenant dans la catégorie
“spéculative”, est monté à 14% sur le
marché obligataire, et le niveau des CDS a atteint 1.305 points de
base (correspondant à une prime d’assurance contre le
défaut de 1,3 millions d’euros par an pour un emprunt de 10
millions d’euros sur 5 ans).
Enfin,
signe de l’ampleur des difficultés que rencontrent les
Portugais, l’Université de Porto vient d’estimer que
l’économie informelle représente désormais 25% du
PIB du pays et ne cesse de croître, aboutissant à une diminution
des recettes fiscales de l’État. Dans ce contexte, une
restructuration de la dette pourrait aussi s’imposer, qui toucherait
à nouveau les banques allemandes et françaises, les banques
espagnoles détenant surtout la dette privée, beaucoup plus
importante.
La
Grèce pouvait jusqu’à présent être
présentée comme le mouton noir de la famille, une exception.
Cela ne va plus être le cas.
Billet rédigé par
François Leclerc
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