Le 20 février dernier,
le Premier ministre britannique, David Cameron, a annoncé que le référendum
sur la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne promis lors de sa campagne
aurait lieu le 23 juin prochain. L’issue de ce vote pourrait avoir de lourdes
conséquences, non seulement pour l’avenir de M. Cameron et de sa coalition,
mais aussi pour le devenir du Royaume-Uni et du reste du monde, dont de l’Union
européenne et des Etats-Unis. Il serait justifié de dire que ce référendum
est le vote le plus important qu’attende le monde avant les élections
présidentielles américaines du mois de novembre.
Bien évidemment, M.
Cameron tente désespérément de convaincre les Britanniques de voter pour que
son pays reste dans l’Union. Afin d’apaiser le très profond manque de
confiance de ses citoyens pour l’Union européenne, Cameron a récemment obtenu
lors de négociations à Bruxelles une liste de « concessions » qui
permettraient au Royaume-Uni de conserver un statut particulier au sein de l’Union
européenne. Malheureusement pour Cameron, le Président de la France, François
Hollande, a exprimé ses doutes quant à l’inclusion de ces concessions à un
traité mutuel. Les lignes de fractures sont évidentes, et les manœuvres
politiques n’en finissent plus. Mais comme c’est aussi le cas aujourd’hui aux
Etats-Unis, tout n’est pas que question de gauche ou de droite.
Une bonne compréhension
de l’Union européenne nécessite la reconnaissance des idées qui ont abouti à
sa formation. A la fin des années 1940, les chefs d’Etat européens, dont
Konrad Adenauer, dirigeant de l’Allemagne de l’Ouest, et le Français Jean
Monnet, rêvaient d’un super-Etat suffisamment puissant pour pouvoir négocier
en tant qu’égaux avec les Etats-Unis et la Russie. L’abandon conséquent de
leur souveraineté par des nations autrefois à la tête d’Empires n’a pas été
facile. Jean Monnet aurait écrit à un ami en avril 1952 que « les
nations européennes doivent être guidées vers un super-Etat sans que leurs
peuples comprennent ce qui se passe. Nous pourrions y parvenir par étapes
successives, établies sous divers prétextes économiques qui nous mèneraient inévitablement
vers une fédération ». (The End of the Nation States of Europe, Philip
Jones 9/12/09, rense.com)
Que Monnet ait ou non
écrit ces mots, l’évolution vers une union politique européenne a bel et bien
été constante, rigide et impitoyable. Le chemin a été pavé de financements
ciblés et d’activisme par la Banque centrale européenne, qui a arrosé de
largesses monétaires les nations européennes en difficulté. Bien que ces
politiques de redistribution de richesses soient devenues de moins en moins
populaires parmi les nations créditrices du nord de l’Europe, elles n’ont pas
été suffisantes pour faire dérailler le train de la confédération. Il a fallu
attendre la plus récente vague d’immigration en provenance de pays musulmans
pour que les citoyens européens réalisent la part de leur souveraineté que
leurs chefs d’Etat ont livré à l’Union européenne. Cette semaine, le parti
chrétien-démocrate d’Angela Merkel, qui a longtemps défendu une intégration
européenne accrue, a perdu énormément de voix suite aux élections locales en
conséquence du soutien apporté par la chancelière à l’ouverture des
frontières aux réfugiés venus du Proche-Orient. Les grands gagnants en ont
été les partis d’extrême droite, qui s’opposent à l’ouverture des frontières
et demandent un retour de la souveraineté nationale.
Mais tout cela n’a
encore eu aucun impact sur les politiques employées. Avec l’unique exception
du Groenland, un territoire danois, l’Union européenne n’a autorisé la sortie
ou la retraite matérielle d’aucune nation de sa course vers une union
politique. Et face aux commentaires du Président François Hollande, de
nombreux Britanniques doutent que le statut particulier promis à leur pays
soit réellement particulier.
Selon les anticipations de
vote publiées aujourd’hui dans le Financial Times, 45% des Britanniques
souhaiteraient rester dans l’Union, contre 40% qui souhaiteraient en sortir
et 15% d’indécis. Le résultat des votes est incertain, et tout n’est
désormais plus question que de campagnes de persuasion.
Peut-être le plus
important développement politique de ces dernières semaines a-t-il été la
défection de Boris Johnson, le charismatique et très populaire maire
conservateur de Londres, en faveur du camp de la « sortie ». En se
séparant des autres chefs de son propre parti, Boris Johnson menace de diviser
les conservateurs (de la même manière que Donald Trump fissure actuellement
le parti républicain). Mais, comme pour Trump, il y a peut-être plus que des motifs
idéologiques derrière la décision de Johnson.
Même s’il était victorieux,
David Cameron pourrait être perçu par la moitié de son peuple, et parmi les éléments
conservateurs, comme ayant vendu les intérêts de son pays. Il se pourrait qu’il
se trouve forcé de démissionner après le vote du 23 juin pour offrir son
poste à son vieil ami, le Chancelier de l’Echiquier, George Osborne. Ce plan
de succession est certainement ce qu’il manquait à Johnson pour joindre le
camp de la sortie. Ses talents d’orateur, combinés à ceux du chef du parti de
l’indépendance, Nigel Farage, pourraient jouer un rôle majeur pour les
électeurs indécis.
Le camp de la sortie
aura besoin de tout le soutien possible. Les forces pro-Union devraient
bientôt déployer de très coûteuses campagnes publicitaires pour démontrer que
la vitalité commerciale et économique du Royaume-Uni se trouverait réduite
par une sortie de la zone euro. Même le Président Obama, qui demeure un
personnage politique populaire au Royaume-Uni, prévoit de se rendre sur place
en avril pour se prononcer en faveur de l’Union européenne. En réponse à sa
décision, le maire de Londres a condamné le Président Obama pour se mêler
des affaires internes de son pays et soutenir un abandon de souveraineté que
les Américains eux-mêmes n’accepteraient pas.
Le Royaume-Uni, qui est
entré tardivement dans l’Union, a toujours été « à part » parmi les
nations membres. Sa langue, sa culture, son système légal et des marchés
financiers sont alignés de très près avec ceux des Etats-Unis.
Mais même en tant que
membre culturellement « inadapté », le Royaume-Uni demeure d’une
grande importance politique et économique pour l’Union européenne. Selon les chiffres
publiés par le FMI en 2014, le Royaume-Uni est la deuxième plus grosse
économie d’Europe. Il verse la deuxième plus grosse contribution à l’Union,
et est un élément clé de sa viabilité. Ceux qui ont tenté de répandre la peur
en parlant d’accords commerciaux perdus ont oublié de mentionner que l’Union
européenne a toujours profité d’un surplus commercial avec le Royaume-Uni,
qui s’élevait à plus de 6 milliards de dollars par mois en 2014 (Office for
National Statistics).
Politiquement, le Royaume-Uni
est une puissance nucléaire indépendante et un membre permanent du Conseil de
sécurité des Nations-Unies. Il opère depuis des années en collaboration avec
les Etats-Unis. Envieuse de cette relation discrète mais puissante, l’Union
européenne pourrait la souhaiter brisée.
Les implications d’un
vote en faveur d’une sortie de l’Union par les électeurs britanniques ne
devraient pas être sous-estimées. Il pourrait même avoir des conséquences sur
les élections américaines. Une sortie du Royaume-Uni pourrait représenter une
précédence pour d’autres nations telles que la Grèce, le Portugal voire même
l’Italie, qui souhaite peut-être déjà aujourd’hui abandonner la structure
germanique de la zone euro.
Tout risque encouru par
l’euro, la deuxième devise fiduciaire du monde, pourrait avoir des conséquences
sur l’ordre monétaire international, établi sur des montagnes sans précédent
de dette basée sur le crédit. Le caractère incertain de l’avenir politique de
l’Union européenne, combiné aux coûts des taux négatifs, pourrait faire
grimper l’intérêt des réserves de valeur alternatives.
Le 23 juin prochain
pourrait sceller la destinée du Royaume-Uni comme celle du reste du monde.
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