Dans
mon article de la semaine dernière, j’ai expliqué que les taux
d’intérêt négatifs devraient nous mener à un renversement général des
préférences des consommateurs depuis la monnaie vers les produits de base.
Les banquiers centraux
pourraient espérer que cette conséquence, sous leur contrôle, puisse leur
permettre d’atteindre leurs objectifs d’inflation, et ce assez rapidement. Si
les gens risquent une taxe sur leurs dépôts, qui n’est que synonyme de taux
d’intérêt négatifs, ils réduiront le solde de leurs comptes pour stimuler
artificiellement la demande.
Il ne fait aucun doute
que les politiques de taux d’intérêt négatifs soient désormais une
possibilité, après le recul de la Fed devant une hausse des taux fédéraux en
septembre malgré qu’elle ait préparé les marchés à une telle éventualité. De
nombreux analystes grand public s’attendent encore à ce que la Fed fasse
grimper les taux ces prochains mois, mais des facteurs externes changent
rapidement la donne. L’économie chinoise s’écroule sous le crédit, et les
pays qui livrent des matières premières à la Chine font soudainement face à
un déclin de la demande. Les dettes toxiques sur les marchandises (dont
l’énergie) posent de plus en plus problème, comme le prouve l’effondrement du
prix des actions Glencore. Le commerce international se contracte aujourd’hui
pour la première fois depuis la crise de Lehman.
Les Etats-providence ont
passé ces sept dernières années à errer dans l’équivalent économique d’une
animation suspendue, dans un climat de réallocation du capital d’entreprises
non-productives et surendettées, handicapées par les politiques de taux
d’intérêt. Bien que les taux d’intérêt à zéro pourcent n’aient pas
fonctionné, les banques centrales n’hésiteront certainement pas à se tourner
vers des taux négatifs. Nous savons désormais que la Banque d’Angleterre se
penche sur la possible instauration de taux d’intérêt négatifs aux niveaux
les plus élevés, auquel cas c’est très certainement une possibilité
considérée par toutes les banques centrales majeures.
Ce serait une lourde
décision pour les Etats-Unis. Il ne s’agit pas là de la Suisse ou du
Danemark, dont les expériences dans cette direction n’ont aucune conséquence
pour la situation d’ensemble. Quelles sont les chances que la Fed opte pour
des taux d’intérêt négatifs sur le dollar ?
Deux évènements ont des
chances de faire des taux négatifs une possibilité : premièrement, la
conjoncture économique globale pourrait se détériorer au point de voir les
prévisions de la Fed pencher vers une déflation ; et deuxièmement, les
pertes des marchandises et des produits dérivés qui leurs sont associés
pourraient menacer la stabilité financière. Parce que le premier cas va
souvent main-dans-la-main avec le deuxième, nous devrions nous concentrer sur
la possibilité de voir apparaître une déflation. Et nous faisons face à deux
problèmes supplémentaires. En plus de la phobie de la Fed pour la déflation,
ses statistiques reposent sur des chiffres de l’inflation largement faussés
et sous-évalués, et sur un taux de participation à l’emploi exagéré.
Peu importe les craintes
des décideurs de la Fed, ils sont mandatés pour agir en fonction des
statistiques. Nous pouvons être raisonnablement certains que la Fed sait que
la qualité des emplois gagnés ces deux dernières années est relativement
faible, et que le pourcentage de la force de travail aujourd’hui en situation
d’emploi est proche de records historiques à la baisse. Ceci étant dit, nous
continuons de nous concentrer sur l’inflation des prix à la consommation, qui
est sapée à la fois par le niveau de la demande et par la baisse des prix des
marchandises et de l’énergie.
La baisse des prix des
marchandises forcera la Fed à considérer la conjoncture globale. Les
économies des marchés émergents représentent aujourd’hui une majorité de la
production mondiale en termes de parité de pouvoir d’achat, et elles
représentent 40% du commerce global. Si les Etats-Unis attrapaient froid
aujourd’hui, le monde n’en serait plus affecté. En revanche, si la Chine
éternuait, les Etats-Unis attraperaient son virus, comme le reste d’entre nous.
Et il serait une erreur de croire que la Chine s’en soucie réellement.
Le dégonflement de la
bulle sur le crédit de la Chine n’est pas son souci premier. Elle a un agenda
tout autre. Elle embrassera son ralentissement économique afin d’établir son
treizième plan quinquennal, qui sera lancé dans un an. Pour dire les choses
autrement, la Chine est un Etat mercantile, et se considère comme une
entreprise avec laquelle ses citoyens ont le devoir de coopérer. Voilà qui se
heurte à l’attitude des autres nations dont la priorité est le maintien des
aides sociales. Il est très commun de faire l’amalgame entre les politiques
économiques et ce que nous prenons pour acquis dans les Etats-providence, et
les objectifs de la Chine.
Le Président Xi Jinping
a pour objectif de reconcentrer l’économie chinoise depuis une source de
produits peu chers pour le reste du monde vers une économie de services
concentrée sur la technologie et le développement d’infrastructures au
travers de l’Asie. Elle a besoin de voir sa force de travail, dont le chômage
n’est que de 5%, continuellement instruite et redéployée à ces fins. Cela va
à l’encontre des objectifs des Etats-providence, qui ne peuvent pas se
permettre d’enregistrer un déclin de leurs recettes fiscales.
En raison de cette
différence, c’est l’économie des Etats-Unis qui fait face au plus gros du
problème. Dans les esprits des planificateurs centraux, le danger imminent
est la déflation. Ainsi, la probabilité de voir des taux négatifs introduits
augmentera certainement au cours de ces prochains mois, à mesure que les
récents déclins des prix des marchandises et la contraction des échanges
internationaux affecteront les prix à la consommation. Les marchés des
capitaux et les prix des marchandises devront accepter la possibilité de taux
d’intérêt négatifs.
Effets sur les
marchandises
Si les taux négatifs
devenaient une réalité, les marchés des marchandises devraient s’ajuster à un
état général de backwardation, reflétant ainsi le coût anticipé des dépôts
par rapport à la propriété de marchandises physiques. Les spéculateurs qui
ont ouvert des positions à découvert et sont vendeurs sur le dollar
s’attendront à voir le coût des taux d’intérêt négatifs remplacer les
intérêts positifs généralement reflétés par les prix à terme. En d’autres
termes, tous les participants aux marchés devraient être vendeurs plutôt qu’à
découvert. Les effets pourraient en être catastrophiques, comme nous l’a
récemment montré le prix du pétrole, qui l’année dernière a été divisé par
deux en seulement quelques mois, en raison notamment du renversement des
positions spéculatives. Le renversement du prix des marchandises pourrait
être tout aussi brutal et inattendu.
Si la hausse des prix
des marchandises venait écraser les marges d’opération, l’industrie ne s’en
réjouirait pas. Les entreprises sont condamnées à contrôler toujours plus
rigoureusement leurs coûts de production en limitant les salaires et leurs
niveaux d’inventaires. Parler de taux négatifs avant de les mettre en place
pourrait faire grimper en même temps les prix et le chômage. Son introduction
aurait des conséquences différentes, puisqu’à ce moment-là, le public se
trouverait directement affecté au travers des dépôts bancaires. L’accumulation
de produits de base, reflétant le déclin de la préférence du public pour la
monnaie en comparaison aux biens, deviendrait ensuite le facteur dominant sur
l’évolution des prix. La situation ne serait pas sans ressembler à la
stagflation des années 1970, sauf qu’en plus, les prix ne pourraient plus
être contrôlés.
Un problème très sérieux
pourrait naître sur le marché de l’or. Les prix des contrats à terme sont
déjà assez souvent en backwardation, et des taux négatifs ne feraient
qu’aggraver la situation. Le véritable problème deviendrait apparent sur les
bilans des banques commerciales, qui traditionnellement se positionnent pour
bénéficier des taux d’intérêt élevés sur le marché interbancaire par rapport
au taux de prêt de l’or. Les taux d’intérêt proches de zéro ont réduit cet
écart jusqu’à le rendre insignifiant, mais ce sont les comptes d’or
non-alloué qui ont offert ce bénéfice aux banques, et ils excèdent le capital
des banques d’au moins dix fois. Personne ne s’est encore éveillé à cette
crise naissante, mais si certains le faisaient, les taux négatifs, ou leur
simple menace, pourrait plonger le système monétaire sans une profonde crise
en exposant le manque d’or physique dans les coffres occidentaux.
Les effets qu’auraient
des taux d’intérêt négatifs sur le prix de l’or, et la crise qu’ils
génèreraient au cœur du marché financier, sont des réalités qui suffisent à
expliquer pourquoi ils ne devraient pas être adoptés. Un autre danger est
qu’ils pourraient également déclencher une série d’évènements susceptibles de
nous mener vers la destruction du dollar. Il s’agirait de l’expérience finale
de banquiers centraux au détriment d’un public qui ne se doute de rien.