Le paradis des vendeurs
de dette
La situation devient si absurde
en zone euro que la BCE achète désormais des placements privés de dette sans
se soucier de questions de sécurité. A leur tour, les sociétés privées
émettent de la dette simplement parce qu’elles savent d’avance que la BCE la
leur achètera.
C’est un exemple édifiant de la
manière dont s’adapte le marché aux politiques monétaires extrêmes, et qui
nous indique que cette expérience ne pourra que mal finir.
Mais pour l’heure, nous vivons
dans un paradis des vendeurs de dette, et les entreprises
émettent de la dette pour qu’elle puisse être rachetée par la BCE :
Le programme d’achat d’obligations
de la Banque centrale européenne a tant fait parler de lui sur les marchés du
crédit que certaines banques d’investissement et entreprises créent aujourd’hui
de la dette simplement pour la voir achetée par la BCE.
A deux reprises, la BCE a acheté
des obligations directement auprès de sociétés européennes, au travers de ce
que l’on appelle des placements privés, qui permettent à de la dette d’être
vendue à un petit cercle d’acheteurs sans la formalité d’enchères
traditionnelles.
Les achats de la banque centrale
ont beaucoup soulagé les entreprises et gouvernements, qui peuvent désormais
emprunter à taux très faibles. Mais beaucoup pensent que ces politiques
extrêmes étouffent les rendements disponibles aux autres investisseurs tels
que les fonds de pension, et chargent l’économie et le système financier de
dette potentiellement surévaluée.
La BCE est arrivée un peu en
retard à la grande fête des banques centrales – elle n’a entamé ses
politiques de QE qu’en 2015, après les Etats-Unis, le Royaume-Uni et le Japon
– mais a depuis embrassé ses achats d’obligations avec ferveur. En mars, elle
a élargi son programme pour le faire passer de 60 à 80 milliards d’euros par
mois, et a surpris les investisseurs en déclarant l’ajout imminent d’obligations
d’entreprise à sa liste de courses.
Elle avait alors déjà acheté
tant d’obligations gouvernementales que les produits disponibles à l’achat
commençaient à se faire rares.
Les placements privés sont des
ventes de dette privées qui ne sont pas ouvertes au marché, et reposent
typiquement sur une poignée d’investisseurs qui cherchent à acheter les
obligations d’une entreprise. « Il n’y a généralement pas de prospectus,
il n’y a pas de transparence, il n’y a pas de communiqué de presse. Tout est
fait dans la plus grande confidentialité, » a expliqué Apostolos
Gkoutzinis, directeur du département des marchés des capitaux européens chez Shearman
& Sterling LLP.
La BCE effectue des achats d’obligations
au travers des banques centrales nationales de la zone euro, qui fonctionnent
à la manière de succursales.
La Banque d’Espagne détient
quelques 500 millions de placements privés émis par la société pétrolière
espagnole Repsol SA le 1er juillet, et une partie d’un accord de
200 millions d’euros avec la société énergétique espagnole Iberdrola SA, qui
a été vendue le 10 juin, deux jours après le lancement du programme de la
BCE.
Ces deux accords ont
certainement été arrangés par Morgan Stanley, et sont les seuls placements
privés à avoir été achetés par une banque centrale nationale depuis le
lancement du programme d’achat d’obligations d’entreprise de la BCE. Morgan
Stanley a refusé de commenter.
« Nous nous penchons actuellement
sur les chiffres, a expliqué le directeur du crédit d’une grosse banque
européenne. Il n’y a qu’un nouveau client. Mais c’est un très gros client. »
Et les banques s’empressent de le
servir. Crédit Suisse AG a réorganisé ses ventes ces dernières semaines,
après que son comptoir de négociations a réalisé qu’il n’en faisait pas
suffisamment pour faire affaires avec le plus gros acheteur du moment, selon
une source proche du dossier.
Les effets de la BCE
La BCE nous a simplement dit qu’elle
achèterait. Elle ne nous a pas indiqué dans quelles quantités. Et pourtant, sa
déclaration a donné lieu à un jeu de paris qui porte les rendements toujours
plus bas.
Dès que la BCE achète une dette,
les taux d’intérêt de cette obligation s’effondrent. Et nous voyons
maintenant apparaître de nouveaux placements privés de dette spécifiquement
conçus pour la BCE.
Le QE est supposé stimuler l’investissement
et le prêt. En réalité, il étouffe les pensions tout en maintenant les bulles
sur les obligations.
Tant que ces entreprises ne font
pas défaut, la BCE sera en mesure de conserver leur dette jusqu’à maturité,
comme elle le fait aujourd’hui. Et pendant ce temps-là, les bulles continuent
de gonfler.