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Régulièrement,
un responsable de haut niveau abandonne pour un bref instant ses postures les
plus convenues et se permet de lâcher publiquement une
vérité. Au début du mois, Mervyn King, gouverneur de la
Banque d’Angleterre, avait déjà défrayé la
chronique de ce petit monde en s’étonnant que « le niveau
de colère ne soit effectivement pas plus élevé
qu’il ne l’est ».
Jean-Claude
Junker, chef de file de l’Eurogroup,
n’y a pas davantage été de main morte le 18 mars, en
déclarant à l’occasion d’une conférence où
il défendait l’instauration d’une taxe européenne
sur les transactions financières : « Il faut que les
responsables du marasme de ces dernières années passent
à la caisse ». Expliquant sans fard qu’« il
n’est pas possible que l’économie financière, elle,
continue à distribuer des bonus comme s’il ne
s’était rien passé. Les gens ne l’accepteront pas,
tout cela ne peut que finir avec une remise en cause du système
économique et politique ».
Mais
les dirigeants européens ne leur accordent qu’une attention distraite,
car ils sont avant tout préoccupés par
l’échéance de leur sommet de la fin de la semaine. Afin
de pouvoir porter beau, munis d’un accord en bonne et due forme,
témoignage de leur incontestable mérite. Un paquet comprenant
un « pacte pour l’euro » – avec comme principaux
objectifs de renforcer la précarité du travail, restreindre les
responsabilités de l’Etat et diminuer la protection sociale
– des nouveaux outils et des dispositifs contraignants de discipline
budgétaire, permettant aux gouvernements de confortablement
s’abriter derrière eux, et un mécanisme permanent de
stabilité financière, afin de tenir le nez hors de l’eau
les pays les plus faibles tout en les enfonçant.
Avec
sans doute, en prime, une taxe sur les transactions financières, calibrée
a minima pour son assiette comme pour son taux, destinée à
faire croire que tout le monde contribue à l’effort.
Voilà ce qui est annoncé pour tout viatique, sans que les
représentants des partis socialistes, au pouvoir ou dans
l’opposition, formulent l’amorce d’une stratégie
alternative crédible et mobilisatrice.
De
son côté, la BCE a entamé un de ses grands classiques,
sur le thème « j’y vais, j’y vais pas ! »,
à propos de l’éventualité d’une augmentation
de son principal taux directeur, lors de sa prochaine réunion
d’avril. Ce qui est faire beaucoup de bruit pour pas grand chose
– une hausse de 0,25% – mais donne l’illusion d’avoir
la situation bien en main. Mario Draghi, l’un
des candidats à la présidence de la banque, fait ses classes en
proposant « d’évaluer attentivement le calendrier et les
modalités d’une normalisation des conditions monétaires
», car c’est ainsi qu’un banquier central doit
s’exprimer. Considérant sans surprise que le renforcement de la
discipline budgétaire était « encourageant mais encore
suffisant », il insiste sur la nécessité de faire des
réformes, une hausse des impôts étant par contre et selon
lui « hors de question ». On respire.
Sans
opposition, le credo libéral reprend ses marques et ses aises,
prêt à étendre son champ d’application. Les
Britanniques ont tiré sans lésiner,
précédés contraints et forcés par les Grecs, les
Irlandais et les Espagnols qui y ont été à reculons. Les
Portugais s’apprêtent à les suivre, si le PSD
succède au gouvernement au parti socialiste comme très
probable. Un même programme dans ses grandes lignes est appliqué
dans toute l’Europe avec des décalages dans le temps et selon
des déclinaisons nationales. Un programme qui n’oublie rien,
sauf l’essentiel : la crise de la dette privée, c’est
à dire en premier lieu des banques.
On
a totalement oublié que, comme vient de le rappeler Moody’s dans
une étude, « Si vous regardez les deux années
précédant la crise, les finances publiques étaient
à des niveaux acceptables, alors qu’elles se sont fortement
dégradées dans les années 2008-2009, années de
crise (…) Les décisions des gouvernements de pallier
l’impact de la crise via des plans d’aide et davantage
d’investissements publics pour stimuler la croissance ont eu un impact
sur leurs comptes ».
La
croissance, quand dorénavant elle existe, est sans emploi ; une
nouveauté durable que les économistes toujours en cours
parviendront peut être à justifier, navrés. Il leur
suffira d’analyser la contribution au PIB des grandes entreprises, qui
réalisent leurs profit en produisant à l’étranger
et vendant à l’export et ne payent pas ou si peu
d’impôt sur les sociétés. Ou bien celles des
établissements financiers, qui offrent avec leurs résultats l’image
d’une activité florissante, tout en dissimulant leurs grandes
faiblesses que le nouveau round de test va s’employer à ne pas
révéler.
Interrogé
sur la prochaine tenue de ceux-ci, inflexible avec les banques, tout du moins
quand elles sont européennes, le secrétaire d’Etat au
Trésor US Tim Geithner a
déclaré : « il est très important que ces choses
là fonctionnent, qu’ils soient sévères,
qu’ils soient transparents et publiés ». Autant de pierres
dans le jardin.
Présentés
comme basés sur des hypothèses « très
sévères », ces tests s’annoncent comme une
réédition de la caricature que les précédents ont
été. Qu’importe, puisque selon l’agence Standard
& Poor’s, « Nous ne sommes pas
convaincus qu’un gouvernement confronté à l’avenir
à une banque en crise prendra forcément le risque de
conséquences économiques potentiellement négatives
qu’il y a à permettre à une grande institution
financière de déposer le bilan ». Continuant ainsi :
« Nous pensons que la banque est un secteur qui est enclin aux crises
et que des crises ont de fortes chances de se produire de nouveau. Nous
pensons que les Etats pourraient continuer à soutenir des banques
très importantes pour la stabilité des systèmes
financiers dans certaines situations ».
La
Fed a d’ailleurs organisé des stress tests des grands
établissements américains. Un exercice resté totalement
confidentiel et dont on ne connaît que les résultats,
prévisibles à l’avance : les principales d’entre
elles sont désormais autorisées à puiser dans leurs
résultats pour distribuer des dividendes, au lieu de continuer
à reconstituer leurs fonds propres. Une opération qui vise
à rassurer et motiver les investisseurs pour drainer des fonds vers
des banques qui en ont en réalité toujours besoin pour beaucoup
d’entre elles.
Le
monde n’étant pas parfait, Adair Turner, président de
l’Autorité britannique des services financiers (FSA), a par
contre appelé les banques britanniques à limiter le versement
de dividendes, afin de préserver leurs fonds propres : « Les
dividendes sont importants, parce que personne n’investira dans une
banque s’il ne reçoit pas de dividendes. Mais dans les
années qui viennent, les banques devront modérer leurs
versements de dividendes, au fur et à mesure qu’elles
augmenteront leurs niveaux de capitaux, et c’est ce qu’elles font
en ce moment ». Offrant une carotte, il a souligné qu’une
importante augmentation des exigences de capitaux, à laquelle il faut
se préparer, pourrait être une alternative à une
éventuelle séparation des activités des banques,
qu’étudie actuellement une commission nommée par le
gouvernement.
Adair
Turner a précisé que, « dans un monde absolument
idéal », les banques devraient maintenir un niveau de fonds
propres autour de 15%, c’est-à-dire plus du double que celui
prévu par les règles dites de Bâle III, fixé
à 7%. Pour être raisonnable, il a préconisé un
niveau de 10 à 11%.
On
n’a toujours pas fini d’entendre parler des banques, non
seulement en Irlande, en Grèce et en Espagne, où elles sont en
pleine restructuration mais restent d’une immense fragilité.
Mais aussi en Allemagne, où le gouvernement tente d’obtenir des assouplissements
des tests afin de masquer celle-ci, un secret de polichinelle. Conduisant le
gouverneur de la Banque de France, Christian Noyer, à dévoiler
le pot aux roses en regrettant que les exigences de Bâle III ne soient
pas prises en compte, un accommodement obtenu par les Allemands.
Tout
en défendant que des décotes des obligations souveraines ne
sont pas envisagées, avec une merveilleuse formule – «
Nous n’organisons pas des tests pour les spéculateurs ! »
– car cela serait accepter une éventualité que les
gouvernements européens refusent d’envisager… qui ne
risque donc pas d’intervenir, la rendant inutile à tester. Une
logique de fer.
Laissons
à la Banque des règlements internationaux (BRI) le dernier mot.
L’exposition des banques européennes aux pays de la zone euro en
difficulté a de nouveau augmenté au troisième trimestre
2010, vient-elle de révéler. Si l’on prend en
considération l’exposition globale à la Grèce
(secteur public, banques et secteur non bancaire privé)
l’exposition des banques françaises a progressé pour
atteindre 66,5 milliards d’euros, en augmentation de 10,7% par rapport
au trimestre précédent. L’augmentation est de 6,1% pour
les banques allemandes et donne 48,8 milliards d’euros. Le tout est
à l’avenant, si l’on considère l’Irlande,
l’Espagne ou le Portugal.
Mercredi
prochain, veille de l’ouverture du sommet européen, le Parlement
portugais devrait voter sur les nouvelles mesures
d’austérité négociées à Bruxelles
par José Socrates, le premier ministre
socialiste. On s’attend à ce que celui-ci démissionne
avec son gouvernement, faute d’en obtenir l’adoption. Cela
ouvrira la porte à des élections et la victoire probable de
l’opposition, qui sera amenée à demander à bénéficier
du fonds de stabilité européen, pouvant en faire porter la
responsabilité à son prédécesseur. Le Portugal
s’engagera alors résolument dans une voie qui l’enfoncera
avec détermination dans la récession et la crise sociale, le
PSD prétendant avec son allié le CDS appliquer une politique
libérale à la Cameron, le premier ministre britannique.
Un
magnifique symbole, sous les auspices duquel les 27 pourront commencer leurs
travaux.
Billet rédigé par
François Leclerc
Paul Jorion
(*)
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» qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos
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