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Cours Or & Argent

Leur politique du pire

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Publié le 22 mars 2011
1635 mots - Temps de lecture : 4 - 6 minutes
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Rubrique : Editoriaux

 

 

 

 

Régulièrement, un responsable de haut niveau abandonne pour un bref instant ses postures les plus convenues et se permet de lâcher publiquement une vérité. Au début du mois, Mervyn King, gouverneur de la Banque d’Angleterre, avait déjà défrayé la chronique de ce petit monde en s’étonnant que « le niveau de colère ne soit effectivement pas plus élevé qu’il ne l’est ».


Jean-Claude Junker, chef de file de l’Eurogroup, n’y a pas davantage été de main morte le 18 mars, en déclarant à l’occasion d’une conférence où il défendait l’instauration d’une taxe européenne sur les transactions financières : « Il faut que les responsables du marasme de ces dernières années passent à la caisse ». Expliquant sans fard qu’« il n’est pas possible que l’économie financière, elle, continue à distribuer des bonus comme s’il ne s’était rien passé. Les gens ne l’accepteront pas, tout cela ne peut que finir avec une remise en cause du système économique et politique ».


Mais les dirigeants européens ne leur accordent qu’une attention distraite, car ils sont avant tout préoccupés par l’échéance de leur sommet de la fin de la semaine. Afin de pouvoir porter beau, munis d’un accord en bonne et due forme, témoignage de leur incontestable mérite. Un paquet comprenant un « pacte pour l’euro » – avec comme principaux objectifs de renforcer la précarité du travail, restreindre les responsabilités de l’Etat et diminuer la protection sociale – des nouveaux outils et des dispositifs contraignants de discipline budgétaire, permettant aux gouvernements de confortablement s’abriter derrière eux, et un mécanisme permanent de stabilité financière, afin de tenir le nez hors de l’eau les pays les plus faibles tout en les enfonçant.


Avec sans doute, en prime, une taxe sur les transactions financières, calibrée a minima pour son assiette comme pour son taux, destinée à faire croire que tout le monde contribue à l’effort. Voilà ce qui est annoncé pour tout viatique, sans que les représentants des partis socialistes, au pouvoir ou dans l’opposition, formulent l’amorce d’une stratégie alternative crédible et mobilisatrice.


De son côté, la BCE a entamé un de ses grands classiques, sur le thème « j’y vais, j’y vais pas ! », à propos de l’éventualité d’une augmentation de son principal taux directeur, lors de sa prochaine réunion d’avril. Ce qui est faire beaucoup de bruit pour pas grand chose – une hausse de 0,25% – mais donne l’illusion d’avoir la situation bien en main. Mario Draghi, l’un des candidats à la présidence de la banque, fait ses classes en proposant « d’évaluer attentivement le calendrier et les modalités d’une normalisation des conditions monétaires », car c’est ainsi qu’un banquier central doit s’exprimer. Considérant sans surprise que le renforcement de la discipline budgétaire était « encourageant mais encore suffisant », il insiste sur la nécessité de faire des réformes, une hausse des impôts étant par contre et selon lui « hors de question ». On respire.


Sans opposition, le credo libéral reprend ses marques et ses aises, prêt à étendre son champ d’application. Les Britanniques ont tiré sans lésiner, précédés contraints et forcés par les Grecs, les Irlandais et les Espagnols qui y ont été à reculons. Les Portugais s’apprêtent à les suivre, si le PSD succède au gouvernement au parti socialiste comme très probable. Un même programme dans ses grandes lignes est appliqué dans toute l’Europe avec des décalages dans le temps et selon des déclinaisons nationales. Un programme qui n’oublie rien, sauf l’essentiel : la crise de la dette privée, c’est à dire en premier lieu des banques.


On a totalement oublié que, comme vient de le rappeler Moody’s dans une étude, « Si vous regardez les deux années précédant la crise, les finances publiques étaient à des niveaux acceptables, alors qu’elles se sont fortement dégradées dans les années 2008-2009, années de crise (…) Les décisions des gouvernements de pallier l’impact de la crise via des plans d’aide et davantage d’investissements publics pour stimuler la croissance ont eu un impact sur leurs comptes ».


La croissance, quand dorénavant elle existe, est sans emploi ; une nouveauté durable que les économistes toujours en cours parviendront peut être à justifier, navrés. Il leur suffira d’analyser la contribution au PIB des grandes entreprises, qui réalisent leurs profit en produisant à l’étranger et vendant à l’export et ne payent pas ou si peu d’impôt sur les sociétés. Ou bien celles des établissements financiers, qui offrent avec leurs résultats l’image d’une activité florissante, tout en dissimulant leurs grandes faiblesses que le nouveau round de test va s’employer à ne pas révéler.


Interrogé sur la prochaine tenue de ceux-ci, inflexible avec les banques, tout du moins quand elles sont européennes, le secrétaire d’Etat au Trésor US Tim Geithner a déclaré : « il est très important que ces choses là fonctionnent, qu’ils soient sévères, qu’ils soient transparents et publiés ». Autant de pierres dans le jardin.


Présentés comme basés sur des hypothèses « très sévères », ces tests s’annoncent comme une réédition de la caricature que les précédents ont été. Qu’importe, puisque selon l’agence Standard & Poor’s, « Nous ne sommes pas convaincus qu’un gouvernement confronté à l’avenir à une banque en crise prendra forcément le risque de conséquences économiques potentiellement négatives qu’il y a à permettre à une grande institution financière de déposer le bilan ». Continuant ainsi : « Nous pensons que la banque est un secteur qui est enclin aux crises et que des crises ont de fortes chances de se produire de nouveau. Nous pensons que les Etats pourraient continuer à soutenir des banques très importantes pour la stabilité des systèmes financiers dans certaines situations ».


La Fed a d’ailleurs organisé des stress tests des grands établissements américains. Un exercice resté totalement confidentiel et dont on ne connaît que les résultats, prévisibles à l’avance : les principales d’entre elles sont désormais autorisées à puiser dans leurs résultats pour distribuer des dividendes, au lieu de continuer à reconstituer leurs fonds propres. Une opération qui vise à rassurer et motiver les investisseurs pour drainer des fonds vers des banques qui en ont en réalité toujours besoin pour beaucoup d’entre elles.


Le monde n’étant pas parfait, Adair Turner, président de l’Autorité britannique des services financiers (FSA), a par contre appelé les banques britanniques à limiter le versement de dividendes, afin de préserver leurs fonds propres : « Les dividendes sont importants, parce que personne n’investira dans une banque s’il ne reçoit pas de dividendes. Mais dans les années qui viennent, les banques devront modérer leurs versements de dividendes, au fur et à mesure qu’elles augmenteront leurs niveaux de capitaux, et c’est ce qu’elles font en ce moment ». Offrant une carotte, il a souligné qu’une importante augmentation des exigences de capitaux, à laquelle il faut se préparer, pourrait être une alternative à une éventuelle séparation des activités des banques, qu’étudie actuellement une commission nommée par le gouvernement.


Adair Turner a précisé que, « dans un monde absolument idéal », les banques devraient maintenir un niveau de fonds propres autour de 15%, c’est-à-dire plus du double que celui prévu par les règles dites de Bâle III, fixé à 7%. Pour être raisonnable, il a préconisé un niveau de 10 à 11%.


On n’a toujours pas fini d’entendre parler des banques, non seulement en Irlande, en Grèce et en Espagne, où elles sont en pleine restructuration mais restent d’une immense fragilité. Mais aussi en Allemagne, où le gouvernement tente d’obtenir des assouplissements des tests afin de masquer celle-ci, un secret de polichinelle. Conduisant le gouverneur de la Banque de France, Christian Noyer, à dévoiler le pot aux roses en regrettant que les exigences de Bâle III ne soient pas prises en compte, un accommodement obtenu par les Allemands.


Tout en défendant que des décotes des obligations souveraines ne sont pas envisagées, avec une merveilleuse formule – « Nous n’organisons pas des tests pour les spéculateurs ! » – car cela serait accepter une éventualité que les gouvernements européens refusent d’envisager… qui ne risque donc pas d’intervenir, la rendant inutile à tester. Une logique de fer.


Laissons à la Banque des règlements internationaux (BRI) le dernier mot. L’exposition des banques européennes aux pays de la zone euro en difficulté a de nouveau augmenté au troisième trimestre 2010, vient-elle de révéler. Si l’on prend en considération l’exposition globale à la Grèce (secteur public, banques et secteur non bancaire privé) l’exposition des banques françaises a progressé pour atteindre 66,5 milliards d’euros, en augmentation de 10,7% par rapport au trimestre précédent. L’augmentation est de 6,1% pour les banques allemandes et donne 48,8 milliards d’euros. Le tout est à l’avenant, si l’on considère l’Irlande, l’Espagne ou le Portugal.


Mercredi prochain, veille de l’ouverture du sommet européen, le Parlement portugais devrait voter sur les nouvelles mesures d’austérité négociées à Bruxelles par José Socrates, le premier ministre socialiste. On s’attend à ce que celui-ci démissionne avec son gouvernement, faute d’en obtenir l’adoption. Cela ouvrira la porte à des élections et la victoire probable de l’opposition, qui sera amenée à demander à bénéficier du fonds de stabilité européen, pouvant en faire porter la responsabilité à son prédécesseur. Le Portugal s’engagera alors résolument dans une voie qui l’enfoncera avec détermination dans la récession et la crise sociale, le PSD prétendant avec son allié le CDS appliquer une politique libérale à la Cameron, le premier ministre britannique.


Un magnifique symbole, sous les auspices duquel les 27 pourront commencer leurs travaux.




Billet rédigé par François Leclerc



 


Paul Jorion

 

(*) Un « article presslib’ » est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’ » qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.   

 

 

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Paul Jorion, sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix dernières années dans le milieu bancaire américain en tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié récemment L’implosion. La finance contre l’économie (Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ? (La Découverte : 2007).
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