Voilà, c’est fait : avec la pénible intervention d’Emmanuel Macron hier soir, les portes du Bricoland Républicain sont de nouveau ouvertes, et on va pouvoir assister au roulement incessant des petits bricolages institutionnels, fiscaux et législatifs pour faire croire au peuple qu’une importante réforme de fond se met en place pour plus de justice sociale, d’égalité, d’inclusivité, de citoyenneté, de festivité et de vivrensemble.
Comme prévu, la presse va aller chercher quelques politiciens chevronnés pour faire mousser les deux ou trois mesurettes qui ont le bonheur de cliver ici ou là la population en mal d’émotions ou les journalistes se forceront un peu à évoquer les astuces médiatiques comme la fermeture de l’ENA ou je ne sais quelle autre gadget politique afin d’occuper la galerie. Quelques jours s’écouleront, la poussière républicaine retombera et le pays reprendra sa marche cahotante vers le fossé.
Pourquoi cette assurance que rien ne changera encore ?
Outre l’exemple du passé, constellé de renoncements, d’effets d’annonces creux, de réformettes ridicules et de grands raouts médiatiques suivis par le petit bruit mou du soufflé qui se dégonfle, et qui donne une approximation satisfaisante du futur dans la plupart des cas, un élément supplémentaire permet d’affirmer avec confiance qu’à peu près rien de significatif ne changera dans le bon sens : l’état d’esprit du président.
En effet, si l’on pousse de côté tout le decorum, les paillettes et la fanfreluche médiatiques qui accompagnent immanquablement les envolées lyriques du Président et qu’on observe non ce qui est dit, mais bien ce qui est fait, on constate que ce sont toujours les mêmes mécanismes intellectuels qui sont à l’oeuvre.
De la même façon qu’il n’y a absolument aucune remise en question de la place de l’État en France dans les actions des ministres, des élus et des administrations, il n’y a pas plus l’ombre d’une prise de recul et d’une volonté de remise à plat de cette place, de l’action de l’État, des dépenses publiques et des services offerts en regard dans la tête du président lui-même.
J’en veux pour preuve la proposition, passée relativement inaperçue, d’Emmanuel Macron de créer « un mécanisme de coopération pour le patrimoine européen en péril » dont il a fait part il y a quelques jours en direction des instances européennes à une presse qui l’a mollement relayée.
Ici encore, il s’agit de créer une nouvelle usine à gaz méta-étatique, énième commission ou agence multilatérale à turboencabulateurs chromés et financements évidemment publics, pour favoriser la coopération des États membres de l’Union Européenne pour le patrimoine européen en péril, visant à se prêter assistance, à partager des compétences et des savoir-faire en matière de bureaucratie, de petits formulaires cerfas croquignolets, de tampons encreurs et de papeterie de combat administratif entourant un sujet d’actualité (ici, c’est le patrimoine, mais ça aurait pu être la recherche spatiale, la charcuterie ou le tricot).
Bref, on va donc ici mettre en place une nouvelle structure roulant sur l’argent des autres, exactement à l’instar d’absolument toutes les idées qui passent spontanément par la tête de nos élus, tous plus étatiques, interventionnistes et centralisateurs les uns que les autres, et en contradiction flagrante avec ce qu’on observe pourtant tous les jours où la société civile se débrouille très bien seule, et en particulier en matière de patrimoine où la coercition qui permet d’abonder plus de 7 milliards d’euros dans les caisses de la Culture ne permet même pas de sauvegarder le moindre monument d’importance, là où les fondations et associations privées s’occupent d’à peu près tout.
Cette proposition mi-prévisible, mi-loufoque de Macron démontre fort bien que l’esprit même de réformes salvatrices pour le pays n’habite absolument pas les têtes de nos dirigeants.
Pour eux, tout doit absolument passer par l’État qui va s’occuper de redéfinir, encadrer, limiter ou flécher les comportements, les habitudes, les capitaux, les biens et les services de la République du Bisounoursland, et hors de l’État, point de salut. Dans ce cadre, les réformichettes issues du Grand Débat sont du même bois d’allumette dont on taille les poutres qui soutiennent les politiques du pays et qui crament en quelques minutes.
Pourtant, ce n’est pas comme si des problèmes précis, chiffrés et connus n’existaient pas. Ce n’est pas comme si aucune statistique, aucune information pertinente ne détaillaient pas déjà les domaines où les vraies réformes et la vraie action d’un État régalien s’imposeraient d’évidence, à tous, et rapidement.
Le pays est à cran, la délinquance explose, les actes graves aussi, mais l’accent sera porté sur des ajustements de retraite, des petits bonus fiscaux par-ci, des micro-réduction de taxes par-là.
Le nombre de faillites d’entreprise augmente, mais on continuera à se pencher sur les moyens de les tabasser encore un peu plus afin de redistribuer toute la belle richesse qu’on crée ainsi.
Et puis, ce n’est pas parce que le chômage continue de flirter avec le mauvais côté des 9% de la population active (et ce, malgré les incessantes bidouilles statistiques pour camoufler la triste réalité) qu’il faudrait renoncer à faire encore grossir l’État, n’est-ce pas : non seulement, le nombre de sociétés détenues par l’État ne cesse d’augmenter (tout ce turbo-libéralisme fait mal aux yeux !), mais les chiffres de l’INSEE, même torturés pour leur faire avouer des choses plus politiquement correctes, ne parviennent pas à camoufler l’augmentation continue du nombre de fonctionnaires depuis 1981.
Non, décidément, malgré sa conférence de presse et quoi qu’il en dise, Macron n’a pas fixé un cap mais a bien conservé celui qui prévaut en France depuis plus de 40 ans : celui de l’augmentation de la place de l’État et des dépenses publiques, et donc des impôts et des taxations.
Ce pays est foutu.