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J'ai, comme tout le monde, entendu parler
de "l'affaire" qui secoue le landernau politico médiatique,
qui a déchaîné la presse bien pensante et mal entendante,
et provoqué un beau capharnaüm judiciaire, je parle évidemment
de l'annulation du mariage de deux époux pour cause, selon la presse,
de non virginité de la promise. Je dis bien "selon la
presse", car, une fois de plus, la présentation des faits par les
principaux médias et les associations qui ont cru bon de profiter de
l'événement pour se faire entendre a été
biaisée et trompeuse, comme si les commentateurs voulaient
"fabriquer" l'opinion sur cette affaire plutôt que de laisser
chacun se déterminer.
Bien qu'en école
d'ingénieur, le droit ne soit pas la priorité des
élèves, quelques réminiscences des cours d'introduction
aux principes du droit me sont revenues -- en fait, elles ne m'ont jamais
vraiment quittées... --, qui ont aussitôt allumé une
petite lumière rouge dans un coin de ma tête. En effet,
même au pays d'Outreau, qu'un juge puisse prononcer un jugement sur de
supposés attendus, tels que les radios les avaient
présentés, tellement en dehors des principes de notre droit, me
paraissait surréaliste. Je me suis dit qu'il fallait, pour se faire
une opinion précise, lire les attendus du jugement.
Fort heureusement, il y a dans la
blogosphère une île de sagesse juridique au milieu d'un
maëlstrom de brutes aboyeuses promptes à profiter de n'importe
quel événement mineur pour faire passer n'importe quel message.
Maître Eolas, c'est de lui qu'il s'agit, avait sûrement
déjà dégrossi l'affaire. je suis donc aller visiter son excellentissime blog,
que j'avais un peu déserté ces derniers mois, pardon,
maître.
J'avais raison de me méfier de la
façon dont la presse présentait l'affaire. Que n'avait-on
entendu ? Que les filles non vierges ne pourraient plus se marier sans
être menacées d'annulation du mariage, que la justice se pliait
aux diktats de l'islam radical, que le jugement rompait
l'égalité de l'homme et de la femme devant le mariage...
D'autres, plus sobrement, estimaient que les lois appliquées par le
juge étaient surannées et devaient être
révisées.
Foutaises. Maître
Eolas remet les faits en place:
Le tribunal a appliqué un article
du code civil (art.180), lequel traduit un vieux principe de droit disant que
l'acceptation d'un contrat -- et le mariage civil est, dans les faits, un
engagement réciproque, donc un contrat de vie commune entre personnes
-- doit être libre et fondée sur des bases sincères.
En l'occurence, la mariée
rejetée par l'époux a reconnu avoir menti sur son état
de virginité, et avoir eu conscience de l'importance de ce point pour
l'époux. Elle savait qu'une autre réponse de sa part n'aurait
pas conduit au mariage. Plus important, le couple, constatant que le mariage
partait sur des bases malsaines, le mari déclarant que l'amour
n'était plus possible du fait de ce mensonge préalable, s'est
dans les faits séparé le lendemain de la nuit de noces, le
mariage n'est donc pas entré dans une phase active. Lorsque le
mari a demandé l'annulation au motif "d'erreur sur des
qualités essentielles de la mariée", formulation exacte de
l'article 180, la mariée en a accepté les termes. le juge a
demandé l'avis du parquet, celui ci a estimé que la
décision relevait de l'appréciation du juge, et de rien d'autre.
Bref, "affaire ordinaire". La séparation de fait s'est
produite il y a plus d'un an, les deux futurs ex-époux ont
vaqué à d'autres occupations, et la justice, à un train
de sénateur, a fini par entériner l'accord entre les deux
parties.
Extrait de la plaidoirie, pardon, de
l'exposé de Maître Eolas (c'est un pseudo):
Le jugement ne dit
absolument pas que le mariage d'une femme non vierge est nul, ni que la
virginité est une qualité essentielle de la femme. Il dit ceci
et rien d'autre. Madame Y… a menti à Monsieur X… sur un
point qu'elle savait très important pour lui. Elle savait que si
Monsieur X… avait su la vérité, il ne l'aurait
probablement pas épousé. Et d'en tirer les conséquences
légales que lui demandent les deux époux dans ce qui après
tout est leur vie.
Leur vie. Leurs
épreuves. Leurs choix. Leur solution de sortie du
problème. Et non, il faut que des associations que cela ne regarde pas
critiquent des choix qui sortent de leur doxa, et poussent l'état
à empiéter un peu plus sur la sphère privée des
individus.
Là où les
indignés des micros se muent tous en Tartuffe, c'est quand on se
demande ce qu'il serait advenu en cas de rejet de la demande. Ces
époux seraient-ils restés mariés et auraient-ils
vécu heureux avec beaucoup d'enfants ? Non, ils auraient divorcé.
Par consentement mutuel, puisqu'ils étaient d'accord pour se
séparer. Consentement mutuel qui exclut que soient abordés les
raisons du divorce. Donc dissolution du mariage, mais l'honneur est sauf : on
ne saurait pas pourquoi.
Bref, prenez ce mouchoir et
cachez-moi cette virginité que je ne saurais voir. Tartuffe est
toujours face à Dorine.
Le juge n'a clairement pas statué
sur la virginité de la demoiselle, mais sur le fait que le
consentement de l'un des époux avait été obtenu par un
biais induisant la non sincérité des bases du contrat
moral que constitue le mariage. Constatant que le mariage ne pouvait
être viable, au vu de la situation, il a pris ce qu'il estimait
être la meilleure décision: accepter l'annulation du mariage,
sur laquelle les deux parties s'étaient mises d'accord. Jamais il n'a
été question de la religion des époux.
Un point non évoqué par le
meilleur avocat de la blogosphère: une annulation de mariage, bien que
rare, est une procédure encore usitée (par exemple, lorsque
le mari s'aperçoit que l'épouse est un travesti, ou
l'épouse que le mari est un délinquant en cavale, ...), qui
présente une différence majeure avec un divorce. Le mariage
étant considéré comme n'ayant pas eu lieu, les
patrimoines des deux époux sont d'office remis, autant que faire se
peut, à l'état initial. En cas de divorce, et si aucun contrat
n'a été signé, la situation peut être
différente. J'ignore quelle était la situation patrimoniale des
époux, mais il est possible que l'annulation ait aussi été
préférable au divorce pour cette raison. Mais ce n'est qu'une
hypothèse.
Bref, l'annulation du mariage est,
çà l'évidence, une décision conforme et au droit,
et à l'intérêt des parties. Le juge s'est
appuyé sur la notion de "qualité essentielle"
figurant dans l'article 180 pour motiver son jugement, en bon magistrat,
selon une figure rhétorique assez habile décrite en
détail par Me Eolas.
J'entends d'ici bruisser la rumeur
indignée des bien pensants : "comment donc le juge a-t-il pu
estimer, au XXIème siècle, que la virginité était
une qualité essentielle d'une mariée ?"
Parce que dans l'ancien temps, le
législateur (il s'agit d'une vieille loi), encore intelligent,
évitait parfois judicieusement de se mêler de ce qui ne le
regarde pas, et a bien pris soin de ne pas stipuler ce
qu'étaient les qualités essentielles d'un ou d'une
mariée. En clair, il a estimé que la définition de ces
qualités essentielles relevait de l'appréciation des
mariés eux mêmes, puis de celle du juge, pleinement investi du
pouvoir d'apprécier la situation, chaque affaire judiciaire
étant unique.
Sans doute certains jugeront-ils excessif
ou ringard d'exiger d'une future épouse qu'elle soit encore vierge
à la noce, à notre époque. Mais si nous avons le droit
de porter un jugement moral sur l'affaire, le juge du droit, lui, ne peut se
placer sur ce plan. A partir du moment où les termes du consentement
étaient clairs, et la mariée a confirmé qu'ils
l'étaient, et que le fiancé avait bel et bien exprimé le
caractère essentiel que représentait celle ci le
caractère de la virginité de sa promise, alors "l'erreur
sur des qualités essentielles de la personne" était
constituée. Il appartenait au juge d'estimer si l'erreur
justifiait l'annulation du mariage. Pour les raisons évoquées
plus haut : caractère illusoire du maintien dans l'état
de mariés d'un couple séparé depuis la nuit de noces,
accord des deux époux, sans oublier l'absence d'opposition de la
hiérarchie judiciaire à l'époque, celui ci a
estimé que oui. Où est le scandale ?
Parce qu'une association, dont par
ailleurs le combat pour l'émancipation des femmes au sein d'un
système religieux et culturel tout à fait patriarcal et
oppressif est parfaitement respectable, a décidé de se saisir
de ce jugement pour partir en croisade contre l'exigence de virginité
des femmes hors mariage exprimée par certaines communautés
religieuses intégristes et rétrogrades, le ministère
public, va se mêler d'une affaire privée qui devrait être
classée, va remettre les deux ex-époux en position de devoir
revivre un moment difficile... Alors même que Rachida Dati avait dans
un premier temps soutenu la décision de son magistrat.
Déplorable flip-flop sous la pression de l'opinion, nos politiciens
n'ont décidément aucune constance.
Pire encore, certains évoquent
déjà une loi, encore une, votée sous le coup de
l'émotion, pour rendre impossible l'annulation du mariage en de telles
conditions. Imaginons qu'une telle loi existe, qu'est-ce que cela changerait
pour la jeune fille, ou pour toutes les jeunes filles qui subissent la
pression de leur milieu pour se présenter vierge au mariage, voire
pour aller chez un chirurgien se refaire l'hymen ? Rien. Rien du tout. La
culture de la soumission de la femme aux interdits sexuels d'un patriarcat
arriéré ne disparaîtra pas du jour au lendemain parce que
le législateur aura amendé les clauses d'annulation d'un
mariage civil.
Au contraire. Dans le cas présent,
l'époux estimant le pacte amoureux brisé a fait appel à
la loi et à la justice pour régler son cas d'une façon
prévue par les textes : comportement normal et louable. On est
très loin d'un excité intégriste décrit sur
certains forums, même si sa conception du mariage est
rétrograde. Si la loi officielle l'en avait empêché, ne
lui serait restée comme possibilité légale que le
divorce, dont j'ignore s'il aurait induit un traitement différent de
l'affaire, notamment au plan patrimonial. Ajoutons que, dans certains
systèmes de pensée culturels et religieux, l'annulation est
peut être préférable au divorce, notamment... Pour la
jeune fille. Nombre de religions ne permettent pas le remariage religieux des
divorcés. Certes, en l'occurence, la justice ne s'est
intéressée qu'au mariage civil, mais les deux sont en France
souvent assez liés.
On peut craindre que dans des
conditions identiques, l'absence de possibilité d'annulation du
mariage puisse conduire les époux à des solutions plus
extrêmes: jugements d'immams au nom de la Sharia dans des tribunaux
spontanés. Les jeunes filles que les bien pensants prétendent
protéger de l'arbitraire des mâles confinés de leur
morale moyennâgeuse y gagneraient elles quelque chose ?
L'histoire ne dit pas quel aurait
été le jugement si l'épouse éconduite avait
refusé l'annulation. De même, certains évoquent la porte
ouverte à d'autres motifs de demande d'annulation tels que le
défaut d'excision: le jugement eut sans doute été
totalement différent , un juge normalement constitué ne peut
considérer qu'une mutilation est une qualité essentielle,
fussé-ce l'avis des époux. Il est donc essentiel que la
nullité d'un contrat tel que le mariage reste examinée par un
juge. Mais le problème s'est sûrement posé et se posera
encore. La résolution de ces situations très difficiles exige que
la justice, d'une part, puisse en être saisie (c'est
préférable à la Sharia des caves...), et que, d'autre
part, elle puisse les juger sereinement sur des bases solides. Ce n'est
pas en exposant les couples soumis à ce type de difficulté au
risque d'être jetés en pâture aux médias et
à l'hystérie de certains, ajoutant la honte de la
publicité à une épreuve difficile, que l'on incitera les
familles à choisir la voie judiciaire pour trancher ce type de litige.
Il reste néanmoins permis de se
demander si le problème de fond ne vient pas de l'existence d'une
procédure de mariage civil, si le mariage proprement dit ne devrait
pas être laissé à la sphère religieuse, et si les
aspects hors mariage de la vie commune, relatifs aux enfants, au patrimoine,
et aussi aux clauses de rupture du contrat, si ça tourne mal, ne
devraient pas relever exclusivement de contrats de droit civil, et leur
rupture d'un jugement de type civil. Une telle approche parait
radicale, mais au moins obligerait-elle les futurs mariés
à bien s'entendre sur ce qu'ils attendent l'un de l'autre, de la vie
commune, du couple... Aujourd'hui, nombre de mariages mal conclus
finissent en divorce, sans parler des unions libres. Une réflexion
préalable sur le sens donné au couple, autour d'un contrat
privé de vie commune, ne serait-elle pas préférable
à un catalogue standard d'obligations devenues sans valeur
juridique rappelées par le maire le jour du mariage ?
Vincent
Bénard
Objectif Liberte.fr
Egalement par Vincent Bénard
Vincent Bénard, ingénieur
et auteur, est Président de l’institut Hayek (Bruxelles, www.fahayek.org) et Senior Fellow de Turgot (Paris, www.turgot.org), deux thinks tanks francophones
dédiés à la diffusion de la pensée
libérale. Spécialiste d'aménagement du territoire, Il
est l'auteur d'une analyse iconoclaste des politiques du logement en France, "Logement,
crise publique, remèdes privés", ouvrage publié
fin 2007 et qui conserve toute son acuité (amazon), où il
montre que non seulement l'état déverse des milliards sur le
logement en pure perte, mais que de mauvais choix publics sont directement
à l'origine de la crise. Au pays de l'état tout puissant, il
ose proposer des remèdes fondés sur les mécanismes de
marché pour y remédier.
Il est l'auteur du blog "Objectif
Liberté" www.objectifliberte.fr
Publications :
"Logement: crise publique,
remèdes privés", dec 2007, Editions Romillat
Avec Pierre de la Coste : "Hyper-république,
bâtir l'administration en réseau autour du citoyen", 2003, La
doc française, avec Pierre de la Coste
Publié avec
l’aimable autorisation de Vincent Bénard – Tous droits
réservés par Vincent Bénard.
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