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Cours Or & Argent

Ni Smith, ni Pareto.

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Publié le 03 juillet 2019
2042 mots - Temps de lecture : 5 - 8 minutes
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Rubrique : Editoriaux

A Paris,

le 3 juillet 2019.

1. La prétendue science naturelle.

Selon Vilfredo Pareto (1848-1923), dans son Cours d'économie politique de 1896-97:

"1. La science dont nous entreprenons l'étude est une science naturelle, comme la psychologie, la physiologie, la chimie, etc.

Comme telle, elle n'a pas à donner de préceptes;

- elle étudie d'abord les propriétés naturelles de certaines choses, et ensuite,

- elle résout des problèmes qui consistent à se demander:

étant données certaines prémisses, quelles en seront les conséquences." (Pareto, 1896-97, §1)

La science dont parlait Pareto était la science économique, l'économie politique.

Les prémisses et les méthodes y abondaient déjà.

Mais les résultats significatifs obtenus y étaient rarissimes.

Permettez moi de rappeler un extrait de mon billet d'août 2012 sur la raison du refus de l'analogie entre l'économie politique (les sciences sociales) et la science naturelle qui s'opposait au propos de Pareto et que donnait en 1939 Friedrich von Hayek (1899-1992) :

"Dans les sciences sociales, toutefois, la situation est exactement l'inverse. 

D'une part, l'expérimentation est impossible : nous ne pouvons donc connaître des règles définies dans le phénomène complexe comme dans les sciences naturelles.

D'autre part, la situation de l'homme à mi chemin entre les phénomènes naturels et les phénomènes sociaux - dont il est l'effet en ce qui concerne les premiers, et la cause, en ce qui concerne les seconds - prouve que les faits essentiels de base dont nous avons besoin pour l'explication du phénomène social participent de l'expérience commune et de la matière de nos pensées.

Dans les sciences sociales, ce sont les éléments des phénomènes complexes qui sont connus, sans aucune contestation possible [...]

Or l'existence de ces éléments est tellement plus certaine que l'existence des règles quelconques dans le phénomène complexe auquel ils donnent naissance, que ce sont eux qui constituent le vrai facteur empirique dans les sciences sociales. [...]

dans les sciences sociales, [le processus de déduction] part directement d'éléments empiriques connus et les utilise à la découverte des règles dans les phénomènes complexes que l'observation directe ne peut établir".

2. La praxéologie.

Vers1896-97, une nouvelle méthode voyait le jour ; c'était la praxéologie .

Selon Ludwig von Mises (1881-1973):

"Le point de départ de la praxéologie n'est pas

- un choix d'axiomes ni une décision sur des méthodes de procédure, 

- mais une réflexion sur l'essence de l'action." (Mises, 1962, cf. ce texte) ;

en anglais:

"The starting point of praxeology is

- not a choice of axioms and a decision about methods of procedure,

- but reflection about the essence of action";

après qu'il avait écrit, en 1949, dans le livre intitulé L'action humaine, que la science économique avait pour domaine les phénomènes de marché expliqués par les actes des êtres humains et était une:

[...] branche de la connaissance [...]

pour étudier les phénomènes de marché, c'est-à-dire

- la détermination des rapports d'échange mutuel entre les biens et services négociés dans les marchés,

- leur origine dans l'action humaine et

- leurs effets sur l'action ultérieure.

et qu'il l'avait complété par ce texte (cf. billet de février 2010).

L'essence de l'action humaine n'est jamais que l'action que vous et moi choisissons de mener en permanence.

Ce choix et tout ce qu'il cache sont le point de départ de la théorie économique dite "autrichienne" - dénommée ainsi ... par les auteurs essentiellement "marxistes" de l'histoire de la pensée économique qui se veulent les maîtres du domaine -.

. L'anti praxéologie.

S'opposait tacitement à cette nouvelle méthode de la praxéologie, Pareto.

Dans son Cours, il avait prévenu que

"3. Notre étude [...Cours d'économie politique] a pour objet les phénomènes qui résultent des actions que font les hommes pour se procurer les choses dont ils tirent la satisfaction de leurs besoins ou leurs désirs.

Il nous faut donc

- d'abord examiner la nature des rapports entre les choses et la satisfaction de ces besoins ou de ces désirs, et

- tâcher ensuite de découvrir les lois des phénomènes qui ont précisément ces rapports pour cause principale." (Pareto, op.cit, §3).

En d'autres termes, bon point pour Pareto, il avait évoqué l’alternative nouvelle en économie politique, entre notion de « résultat d’action humaine » et notion d’ « action humaine ».

Et il affichait sa préférence pour le "résultat".

Mauvais point, il laissait de côté la notion d’"action humaine" pour ne s'intéresser qu'aux "résultats" observés de celle-ci et, en particulier, à l’un d'eux, à savoir l'« équilibre économique ».

Et Pareto est passé à côté de la notion d’"action humaine" dans la suite de ses raisonnements.

Soit dit en passant, grande différence entre les notions d’"action humaine" et d’« équilibre économique » :

- l' « action humaine », l’« action de vous et moi », est une action concrète évidente étant donné le but poursuivi inconnu , une réalité incontournable qu'on ne saurait imaginer être un résultat, élément ou non de l'"équilibre économique" alors que

- l' « équilibre économique », général ou autre, est un résultat hypothétique de la théorie économique imaginée par des savants - qui ne vaut que la valeur qu'on peut lui donner - et qui repose sur les résultats des actions des gens.

Il aurait fallu que les économistes s'en inquiétassent.

Il n'en a rien été et l'économie politique ou la science économique a perduré, gravement écornée.

. Henri Guitton.

En 1979, comme pour fêter les trente ans de L'action humaine, le livre de Mises (ce qu'il n'a pas évoqué), Henri Guitton, professeur de sciences économiques à l'université de Paris I Sorbonne, concluait son livre intitulé De l'imperfection en économie avec, en particulier, ses mots:

"Il s'agissait de savoir ce qu'était l'objet de l'économie politique.

La question reste actuelle, toujours la même, bien qu'elle s'exprime en termes nouveaux.

Je me demande aujourd'hui si l'opposition que j'avais proposée entre

- 'l'économie politique à l'image des sciences physiques' et

- 'l'économie politique science de l'action humaine'

ne garde pas sa valeur, mais dans l'atmosphère renouvelée par l'épistémologie contemporaine qui nous a permis de lever certaines ambiguïtés." (Guitton, 1979, p.225)

Il était un des rares économistes de l'époque à ne pas mettre de côté l'école de pensée économique autrichienne.

Mais avec les mots ci-dessus, il montrait qu'il se trompait de cible et éconduisait ses lecteurs dans de fausses pistes.

3. Le scientisme.

Certes le scientisme qu'il évoquait tacitement était condamnable.

Le scientisme est une vision de la réalité, apparue au XIXe siècle, aux termes de quoi la science expérimentale a priorité sur les autres formes existantes pour interpréter le monde.

Selon la formule d'Ernest Renan (1823-1892), le scientisme veut,

« organiser scientifiquement l'humanité »:

« Organiser scientifiquement l'humanité,

tel est donc le dernier mot de la science moderne,

telle est son audacieuse mais légitime prétention. »  (E. Renan, L'Avenir de la science - pensées de 1848, Calmann-Levy, 1890, p. 37).

Il s'agit donc d'une confiance dans l'application des principes et méthodes de la science moderne dans tous les domaines aux termes de quoi :

« La science décrit la réalité telle qu'elle est. ».

Le scientisme correspond aussi à l'idéologie selon quoi tous les problèmes qui concernent l'humanité et la réalité pourraient être réglés au mieux suivant le paradigme de la méthode scientifique.

Le scientiste croit que

« l'esprit et les méthodes scientifiques doivent être étendues à tous les domaines de la vie intellectuelle et morale sans exception » (A. Lalande, Vocabulaire technique et critique de la philosophie, PUF, coll. « Quadrige », 2010, p. 960).

 

En tant que doctrine idéologique, le scientisme est lié à divers degrés

- à celle de la modernité, du rationalisme,

-  à la « loi des trois états » d'Auguste Comte,

- à des formes de réductionnisme,

- au matérialisme ou

- au dualisme cartésien.

4. L'économie politique.

Mais était plus dommageable encore la priorité donnée par les scientistes aux résultats de l'action humaine sur l'action elle-même... ce que Guitton n'a pas évoqué étant entendu son accord avec Antoine Augustin Cournot (1801-77) qui considérait que :

« La science à laquelle on donne le nom d'Économie politique, et, qui a si fort occupé les esprits depuis un siècle, est aujourd'hui plus répandue que jamais. »

N’oublions pas que (cf. ce billet de janvier 2017):

… «C'est en 1615 que l'Économie politique a reçu pour la première fois le nom sous lequel elle est aujourd'hui connue, dans un livre français, le Traicté de l'OEconomie Politique, par Antoine de Montchrétien. (Gide, 1931, p.15) ;

et que Jean-Baptiste Say (1767-1832) considérait dans son Catéchisme de l'économie politique (1815) que :

"Qu’est-ce que nous enseigne l’économie politique ?

Elle nous enseigne comment les richesses sont produites, distribuées et consommées dans la société.»

Tout est dit sur l'économie politique, science comparable aux autres sciences existantes, à la critique près de la mauvaise expression "biens et services" (cf. ce billet de février 2014) à propos de quoi Mises a expliqué que:

… "La science économique ne porte pas sur les biens et services, elle porte sur les actions des hommes en vie.

Son but n'est pas de s'attarder sur des constructions imaginaires telles que l'équilibre.

Ces constructions ne sont que des outils de raisonnement.

La seule tâche de la science économique est l'analyse des actions des hommes, c'est l'analyse des processus." (Mises, 1962, cf. ce texte).

Soyons gré à Murray Rothbard d'avoir tenté de remettre en ordre le travers.

Comme il y a insisté dans The Logic of Action, 1997:

"Le bien n'est pas défini par

- ses propriétés technologiques mais par

- son homogénéité aux exigences et aux souhaits des consommateurs".

En anglais:

"Good is not defined by

- its technological properties but by

- its homogeneity in relation to the demands and wishes of the consumers" (Rothbard, 1997, p. 302).

5. Quid d'Adam Smith.

Oublions en conséquence Adam Smith (1723-90) et son ouvrage intitulé La Richesse des nations, 1776, livre 4, introduction http://classiques.uqac.ca/classiques/Smith_ad...s_nations_1.pdf ).

où il y précisait les deux objets de sa science:

« L'Économie politique, considérée comme une branche des connaissances du législateur et de l'homme d'État, se propose deux objets distincts :

- le premier, de procurer au peuple un revenu ou une subsistance abondante, ou, pour mieux dire, de le mettre en état de se procurer lui-même ce revenu et cette subsistance abondante ;

- le second, de fournir à l'État ou à la communauté un revenu suffisant pour le service public;

elle se propose d'enrichir à la fois le peuple et le souverain

En anglais :

"Political economy, considered as a branch of the science of a statesman or legislator, proposes two distinct objects:

- first, to provide a plentiful revenue or subsistence for the people, or more properly to enable them to provide such a revenue or subsistence for themselves; and

- secondly, to supply the state or commonwealth with a revenue sufficient for the public services.

It proposes to enrich both the people and the sovereign."

On remarquera en passant que, déjà, le "législateur" n'existe pas. 

C'est une façon de parler de gens particuliers qui sont censés pratiquer la science du droit.

Existent des êtres humains qui ont choisi, comme actions, de s'intéresser au droit, à la science juridique et de faire aboutir ce à quoi ils songent ou croient.

L'"homme d'état" existe certes mais ses capacités ou facultés de comprendre la réalité économique lui posent en général des problèmes, pour ne pas parler de tout ce qu'il veut voir se réaliser, par la force violente.

6. Un dernier mot.

Un siècle après Smith, Pareto précisera sa conception de l'économie politique de la façon suivante :

"2. Le lecteur ne doit donc pas s'attendre à trouver dans ce livre la solution d'aucune question pratique;

il n'y trouvera que des éléments qui, combinés avec ceux que lui fourniront les autres sciences sociales, le mettront sur la voie qui conduit à de telles solutions (34 à 37).

Ainsi, par exemple, nous n'avons pas ici à décider si, pour un pays donné, il convient que l'Etat se charge, ou non, de certaines branches de la production.

Mais nous devons apprendre à bien connaître quels sont les effets économiques des différents modes de production." (Pareto, op. cit. §2)

Très éloignées de la praxéologie, les conceptions de Smith et de Pareto sur l'économie politique seront malheureusement mises au premier plan du XXème siècle par certains économistes ...

 

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Georges Lane enseigne l’économie à l’Université de Paris-Dauphine. Il a collaboré avec Jacques Rueff, est un membre du séminaire J. B. Say que dirige Pascal Salin, et figure parmi les très rares intellectuels libéraux authentiques en France. Publié avec l’aimable autorisation de Georges Lane. Tous droits réservés par l’auteur
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