Il va
être plus difficile que prévu de présenter le prochain
sommet comme un véritable sacre, comme José Manuel Barroso,
président de la Commission de Bruxelles, s’est imprudemment
aventuré à l’espérer, en déclarant :
« L’Union européenne fait actuellement un
énorme pas en avant, qui aurait été inimaginable il y a
un an ».
Non seulement
le Portugal, désormais au centre de la zone des tempêtes, va
devoir se résoudre à rejoindre la Grèce et
l’Irlande dans le camp des condamnés – même si pour
éviter une fâcheuse simultanéité avec le sommet,
un petit répit va lui être accordé – mais parce que
l’accord acquis lors de la réunion des ministres
européens des finances ne tient plus, remis en cause par Angela Merkel
sous la pression des parlementaires de sa majorité. Le financement de
l’actuel fonds de stabilisation financière (EFSF) et de son
successeur, le MES, est en question.
Il en
résulte une double conséquence : l’Espagne est
désormais en première ligne, et les moyens de financement pour
l’aider, si nécessaire, ne répondent pas à
l’appel dans l’immédiat. La fin du mois de juin prochain a
été fixée comme date butoir pour parvenir à un
accord financier, mais la partie s’annonce délicate en raison de
l’évolution de la situation politique allemande, d’autant
que de nouvelles défaites aux élections régionales
menacent la majorité au Bundesrat, la seconde chambre.
La volte-face
d’Angela Merkel – prenant à contre-pied son ministre des
finances, Wolfgang Schaüble – a d’autres raisons. En premier
lieu toujours électorales, puisqu’en demandant un
étalement des contributions allemandes, elle tente de
préserver l’application de son programme qui prévoit des
diminutions d’impôts. Mais aussi plus fondamentales, car il lui
est impératif de donner l’exemple en matière de
réduction des déficits, si elle veut pouvoir imposer le
même régime à ses partenaires européens. Alors
qu’elle risque de se trouver devant d’autres besoins de
financement, afin de recapitaliser son système bancaire, si le tour de
passe-passe que les futurs tests représentent n’en escamote pas
totalement la nécessité.
Toujours
sous-estimés au départ, les besoins de financement des uns et
des autres s’accroissent. Soit parce que la situation des banques est
encore pire que prévu ou annoncé – c’est le cas en
Irlande ou en Espagne – soit parce que les rentrées fiscales
sont moindres que les prévisions optimistes le prévoyaient,
situation que rencontrent les Grecs. Ces derniers ont entamé le
processus de privatisation d’actifs, tandis que les Irlandais se
préparent à demander une aide financière
supplémentaire aux Européens. La situation des Espagnols est
suspendue en l’air, mais il est peu probable que l’appel aux
investisseurs privés permette à l’Etat
d’éviter à terme de mettre la main à la poche,
contrariant ses objectifs de réduction du déficit public.
Depuis sa
citadelle inexpugnable de Francfort, Jean-Claude Trichet continue au nom de
la BCE de tonner, annonçant que « nous sommes à
mi-chemin des réformes complètes appelées par la
crise », faisant ainsi référence au compromis
insatisfaisant que représente le « pacte pour
l’euro » que les dirigeants européens devraient
adopter cette fin de semaine. Ou bien au système financier, dont il
estime qu’il nécessite « davantage de
réflexion et une surveillance du bon fonctionnement des marchés
financiers, pour éviter une volatilité excessive »
et « l’influence excessive d’acteurs
dominants ». Un programme justifié a minima, car la finance
doit selon lui n’être jugée qu’à l’aune
d’un seul critère : la fourniture ou non du
« financement approprié à l’économie
réelle d’une façon stable ». Pour, le reste,
qu’elle s’amuse donc comme elle l’entend !
L’idéologie
néo-libérale a d’autres bastions, à commencer par
la Commission européenne. Celle-ci vient d’annoncer
qu’elle voulait réviser les règles concernant les
subventions accordées à des services publics, selon
l’échelle de ceux-ci. On ne peut avoir plus le sens de
l’opportunité !
Entre temps,
l’inflation grimpe à 4,4 % sur un an en Grande-Bretagne, tandis
que le chômage officiel se hisse à 8 %, et que le déficit
public croît. Plus que jamais, la banque d’Angleterre est
écartelée, prise entre la lutte contre l’inflation et
l’aide à la relance de l’économie. Dans la
perspective d’une hausse de ses taux, la livre anglaise remonte contre
le dollar, compliquant la tâche des exportateurs.
Présenté
au parlement, le budget 2011-2012 confirme le plan
d’austérité, à l’exception de quelques
mesures ciblées en faveur des classes moyennes. Il ne peut
qu’enregistrer des perspectives de croissance en baisse, diminuant les
marges de manœuvre du gouvernement. La principale mesure en faveur de la
croissance est la création de « zones
franches », rappelant l’ère Thatcher, et la diminution
de l’impôt sur les sociétés, le seuil de l’imposition
sur les revenus étant par contre relevé.
Cette question
de l’impôt sur les sociétés continue de faire
obstacle à un accord entre Européens et Irlandais, la
Banque Mondiale venant de remettre en perspective le débat sur la
baisse du taux irlandais d’imposition des bénéfices des
entreprises : elle a établit qu’il était plus bas en
France, en Belgique et au Luxembourg…
Les
discussions ne seront de toute façon pas terminées pour autant,
quand bien même un compromis serait trouvé, une nouvelle
évaluation des besoins de financement liés à la
restructuration des banques irlandaises étant en cours. 10 milliards
d’euros étaient prévus à ce titre dans le plan de
sauvetage, on en serait déjà à une fourchette de besoins
entre 19,5 et 24,3 milliards d’euros, selon la maison de courtage Davy.
En Espagne,
les additions continuent de même à s’alourdir
également, les prix de l’immobilier ayant chuté de 40 %
à 45 % selon les estimations, augmentant les
dépréciations et les besoins de recapitalisation des banques.
Faisant bonne figure, Elena Salgado, ministre des finances, explique que
l’Espagne tiendra le coup si la BCE augmente son principal taux,
fragilisant la restructuration en cours des cajas (caisses
d’épargne espagnoles).
Quand ce ne
sont pas les dépenses qui augmentent, ce sont les recettes qui font
défaut. Les Grecs doivent constater la chute de leurs rentrées
fiscales, qui n’est que partiellement compensée par les mesures
de rigueur adoptées et appliquées. Le déficit augmente
par voie de conséquence, ce qui a amené le gouvernement
à accroître son programme de privatisations. Initialement de 7
milliards d’euros, il est passé à 50 milliards
d’ici 2015.
De tous
côtés, sans même attendre que des défauts sur la
dette n’interviennent, il se confirme que le grand plan
stratégique impulsé par les Allemands ne tient pas la route.
Les Portugais en feront demain simultanément les frais et la
démonstration. Faut-il en conclure que l’éclatement et le
redimensionnement de la zone euro est inévitable ? Il est de moins en
moins possible de l’exclure à ce train-là.
Présentée
la veille de l’ouverture du sommet européen, une étude de
Standard & Poor’s tente opportunément de décrire un
« scénario du pire » pour la période 2011-2015.
Il combine une augmentation des taux du marché obligataire de la
Grèce, de l’Irlande, de l’Espagne et du Portugal,
associée à une explosion de leur dette publique lié
à la chute du PIB et l’accroissement du chômage.
Aboutissant à un assèchement du système financier au
détriment du secteur privé, qui alimentera à son tour
leur récession.
La dynamique
qui est engagée suivra-t-elle ce scénario ou sera-t-elle
enrayée et comment ? Les calculs politiques et électoraux
proches de la désinvolture que l’on continue d’observer
n’y suffiront pas.
Les uns ont
peur d’être sauvés, certains de ce qui les attend,
les autres refusent de jouer les sauveurs. Les tenailles continuent de
se refermer.
Billet
rédigé par François Leclerc
Paul Jorion
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