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Cours Or & Argent

Pour en finir avec la diabolisation de l'étalement urbain

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Publié le 21 octobre 2008
5031 mots - Temps de lecture : 12 - 20 minutes
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Rubrique : Editoriaux

 

 

 

 

Les lieux communs sont des expressions simplificatrices porteuses d'idées implicites tellement galvaudées que plus personne ne pense à s'interroger sur leur réelle pertinence.

 

En politique, les lieux communs sont d'usage fréquent, car ils permettent de tenir lieu d'ersatz d'intelligence aux politiciens les plus incultes. Malheureusement, leur acceptation sans examen critique par la population permet à ces mêmes politiciens, et surtout aux lobbys qui vivent des conseils qu'ils leur prodiguent, de justifier des mesures souvent coûteuses, attentatoires aux libertés individuelles, et aux résultats parfois catastrophiques.

 

Le lieu commun, tel que le réchauffement climatique, la folie des marchés financiers, le transport multimodal ou le développement durable, est rabâché aux populations par un matraquage politico-médiatique sans relâche. Nombre d'idiots utiles du lieu commun s'auto-intoxiquent des préjugés sous-jacents au point d'en devenir des zélotes quasi religieux. Dans les entreprises, des séminaires lieu-communards sont organisés pour lobotomiser, pardon, "sensibiliser" les troupes aux nouvelles valeurs lieu-communistes que l'entreprise adoptera dans son énième plan stratégique.

 

Le lieu commun est la plaie de la vie intellectuelle, sociale et politique. Or, le lieu commun y est omniprésent.

 

Il est donc essentiel, bien que la tâche soit souvent malaisée, de confronter les lieux communs aux faits. Pour commencer, je vais m'attaquer à un lieu commun peu connu du grand public: l'étalement urbain, dont certains voudraient nous faire croire qu'il constitue l'une des pires menaces contre la qualité de vie, l'environnement, la faim dans le monde, et la stabilité climatique.  Non, je n'exagère pas !

 

L'étalement Urbain, une fausse menace à démystifier d'urgence

L’étalement urbain (en Anglais, "sprawl") est un des grands lieux communs de l’urbanisme et de l'aménagement du territoire aujourd'hui. C'est un sujet dont le grand public se fiche éperdument, ce qui permet à des politiciens et des technocrates de se saisir de cette problématique pour tenter de planifier les utilisations futures de la terre.

 

Pourquoi s'en prendre à un lieu commun d'ordre apparemment aussi secondaire, me direz vous ? Parce qu'il n'est pas aussi secondaire que cela. Au nom de la lutte contre l'étalement urbain, ont été prises par le passé des décisions qui coûtent aux ménages Français plusieurs milliards d'Euros chaque année. 

La lutte contre l'étalement urbain est la justification principale des politiques de planification spatiale en vigueur en de nombreux endroits du monde (exemple: "smart growth policies" américaines) et qui aboutissent à rationner le foncier constructible des zones géographiques concernées, conduisant à la formation de bulles immobilières lorsque la demande de logement est très solvable. Ces bulles, non contentes d'organiser un vaste transfert de richesses des classes moyennes vers les catégories plus aisées, ont été sans aucun doute sinon les initiatrices, du moins les amplificatrices de la crise des subprimes. (pour mes nouveaux lecteurs qui ne voient pas le rapport entre lutte contre l'étalement urbain et crise des subprimes, en voici mon explication, et, si cela ne vous suffit pas, celle du récent prix Nobel d'économie Paul Krugman).

 

Manifestement, extrêmement rares sont ceux qui font la relation entre ces politiques et la crise actuelle, dont les causes sont si complexes et multiples que personne -- sans me vanter, peut être... moi ? -- ne semble avoir une vision intégrale de tous les mécanismes qui y ont contribué. Aussi les politiques de lutte contre l'étalement urbain, sous de multiples prétextes de nature le plus souvent environnementale, continuent d'être promues par nos gouvernements, sous des formes diverses. La Californie, pourtant touchée par la plus forte bulle immobilière jamais rencontrée de mémoire d'économiste, envisage de renforcer ses lois anti-étalement. Cela pourrait nous être indifférent, mais la situation de l'hexagone n'est guère meilleure, puisque le "Grenelle" de l'environnement a consacré la lutte contre l'étalement urbain comme une absolue nécessité, afin de réduire, soi disant, nos rejets de CO2, ce qui ne peut que .

 

Il est donc urgent de se demander si les problèmes imputés à l'étalement urbain constituent bel et bien les calamités que les publications d'urbanistes professionnels nous dépeignent, et si les risques environnementaux inhérents à l'étalement urbain valaient bien quelques dizaines de milliers de SDF de plus et l'effondrement du système financier international.

 

Avec l'aide de Christian Julienne, président du Think Tank Héritage et progrès, et ancien professionnel de l'immobilier, dont je m'inspire très largement (*), revisitons la mythologie que les professionnels de l'urbanisme bureaucratique propagent allègrement. 

 

Plus qu'un lieu commun : une mystification !

 

On trouve le terme à connotation péjorative "étalement urbain", préféré à "expansion urbaine" -- trop flatteur ! -- dans tous les discours sur le sujet, avec quelques synonymes qui se veulent tout aussi méprisants :

 

  • La "consommation d’espace" est un concept biaisé et intellectuellement déficient. L'espace est utilisé de mille et une façons, il est inepte d'affirmer que certains de ces usages constituent une "consommation", et pas d'autres. Ceux qui utilisent ce concept considèrent généralement que l’urbanisation consomme de l’espace, alors que l’agriculture ou la sylviculture ne le font pas. Cette distinction ne peut que résulter d’un préjugé négatif vis-à-vis de l’urbanisation, phénomène il est vrai parfaitement nuisible du point de vue d'un éco-planificateur, puisqu’il ne sert qu’à loger et à procurer des bassins d’emploi à de misérables êtres humains.
  • La "destruction des sols" du fait de l’urbanisation, à rapprocher de la "consommation d’espace", et tout aussi biaisée. Par définition, le sol n’est jamais "détruit" ! Par contre, bien sûr, les sols voient leurs usages se transformer avec le temps.
  • L’ "artificialisation des sols" est un concept tout aussi absurde car, en dehors des massifs montagneux, des glaciers et de quelques forêts primitives, tous les sols sont artificiels à des degrés divers. L'on peut toutefois le définir assez justement comme les sols qui ne peuvent être rendus à l'état de "pure nature" par simple abandon. C’est cette définition qui sera reprise par la suite.

 

Ces définitions induisent, dans l'esprit de ceux qui les utilisent, l'idée que certaines utilisations de l'espace disponible auraient moins de valeur que d'autres, la valeur n'étant ici pas jugée à l'aune d'un calcul économique ou d'une analyse scientifiquement rigoureuse, mais des préjugés environnementalistes ou naturalistes en vigueur.

 

Depuis que l’homme a créé les premiers villages, il y a eu "étalement urbain". L’habitat a été longtemps concentré dans des villages et des villes protégées contre les invasions puis contre le brigandage, qui ne cessèrent vraiment qu'au tournant de la restauration. Dès que les hommes ont pu se passer de murailles, ils ont sans cesse agrandi et élargi leur espace voué à l’habitat et la vie collective.

 

Selon les recherches historiques de Christian Julienne, déjà cité, voici comment ont évolué les utilisations non agricoles de l’espace au cours des temps :

 

"De 1600 à 1945, l’occupation (Nd. Oblib’ : comprendre « artificialisation », au sens des anti-étalement…) de l’espace par l’homme passe d’environ 1 % à 4 % du territoire national. Avec 26 millions d’habitants (sans la Savoie, Nice et l’Alsace-Lorraine) les Français, ruraux à 84 %, occupaient déjà environ 1 % de l’espace au XVII et au XVIIIème siècle, non pas en raison des villes, enfermées dans leurs remparts, mais par l’importance des villages, châteaux, églises, cours de fermes, bâtiments agricoles, basses-cours, aires de battage, chemins ruraux, industries et artisanats agricoles divers.

 

Cette proportion est restée assez stable jusque dans les années 1840/1850, la France ayant pris vingt ans de retard par rapport à l’Angleterre pour son urbanisation.

 

C’est entre 1850 et 1920 que les Français commencent à occuper un espace plus important avec l’extension du chemin de fer (le réseau passe de 5 000 à 49 000 kilomètres), la construction des usines hors les murs, souvent accompagnée de l’habitat ouvrier, la destruction des remparts (généralisée entre 1840 et 1870). La ville du Moyen-âge disparaît progressivement. Les remparts deviennent les grands boulevards, la banlieue se développe d’autant plus que l’habitat ouvrier est presque toujours un habitat horizontal. Les Corons du Nord en sont l’exemple le plus mauvais, les ensembles de maisons individuelles accolées deux par deux, construits par les compagnies de chemins de fer ou les industriels alsaciens, l’exemple le plus sympathique.

 

C’est ainsi qu’avant la guerre de 1914, on passe à environ 2,50 % du territoire occupé en permanence par l’activité et l’habitat humain alors que la population n’augmente que de 33 %, passant de 29 à 39 millions.

 

De 1918 à 1950 le besoin d’espace augmente en fonction de deux facteurs : l’essor de la construction de maisons individuelles favorisé par une législation favorable à la propriété sociale et à la maison individuelle (lois Ribot, Loucheur…), les débuts de l’automobile – le parc de véhicules atteint 2,5 millions en 1939 – et des deux roues motorisées ou non : la population ouvrière fait facilement 4 à 6 km de trajet domicile-travail pour conserver son habitat rural. Durant cette période, la population reste stable mais s’urbanise de façon importante. L’agriculture représente moins de 30 % de la population active au lendemain de la seconde guerre mondiale. L’espace occupé par les hommes atteint alors environ 4 % du territoire.

 

De 1945 à aujourd’hui, l’espace occupé par les hommes double.

 

Les soixante années d’après guerre ont provoqué une transformation radicale de la société française dont on peine à prendre la mesure. La France a beaucoup plus changé en soixante ans qu’en cinq siècles. Et d’abord sur le plan démographique : 62 millions aujourd’hui, un peu moins de 40 en 1939 mais déjà 20 millions sous Louis XIII.

 

Et ces 60 millions d’habitants vivent de façon totalement différente :

 

> ils ont fait la révolution automobile et possèdent aujourd’hui 36 millions de voitures, contre 2 millions avant guerre. Il a fallu construire garages et parkings, et surtout développer un considérable réseau routier et autoroutier. Les espaces réservés au transport sont deux fois plus importants aujourd’hui qu’hier, bien que la France ait été déjà connue pour la qualité de ses routes sous l’ancien régime.

 

> le parc de logements ne dépassait guère 12 millions avant guerre ; il est passé à environ 32 millions avec quelques 10 % de résidences secondaires et 6 % de logements vacants. Ces logements sont de plus en plus grands et chaque Français dispose en moyenne d'environ 37 m².

 

> les bâtiments d’activité se sont profondément transformés : la création d’hypermarchés et de grands centres commerciaux en périphérie a conduit à la réalisation de vastes parkings occupant de grandes surfaces. Usines et entrepôts mettent un point d’honneur à s’entourer de petits ensembles paysagers et/ou de pelouses. Les visiteurs doivent aussi pouvoir y parquer leurs voitures.

 

> les équipements de loisirs se sont multipliés : stades, terrains de foot, parcs et jardins publics, espaces de jeux pour les enfants, etc."

 

Il est à noter que de nombreuses recherches conduites à l’étranger (exemple: Ed Glaeser (pdf), le meilleur économiste des phénomènes urbains actuel) aboutissent aux mêmes conclusions. L’essor démographique des cités, conjugués avec l’avènement de moyens de mobilité d’abord collectifs, puis individuels, toujours plus performants et meilleur marché, ont provoqué au cours du XXème siècle une expansion des surfaces urbaines plus rapide qu’au cours des siècles précédents. Cette expansion a permis aux familles d'accéder à un confort, un accès aux loisirs et un espace de vie que les générations pré-automobile ne pouvaient guère espérer. En outre, l'auto-mobilité a été un puissant facteur d'amélioration de notre niveau de vie en permettant à une personne d'étendre considérablement sa "zone d'employabilité", et donc de faire jouer la concurrence avec un plus grand nombre d'employeurs. Les effets économiques très positifs de l'étalement urbain sont indiscutables.

 

Cette expansion n'a en aucun cas fait disparaître la terre agricole ou forestière. En Grande Bretagne, le territoire urbanisé (pas exactement la même définition qu’en France, données non comparables) n’atteint que 8%, et 3% aux USA. Même des pays à densité plus élevée que la notre (Allemagne, Belgique, Pays Bas…)  conservent encore une large majorité de terres non "artificialisées".

 

L'étalement urbain s'opère-t-il au détriment des activités agricoles ?

 

Résultat de ce développement ? selon diverses sources statistiques (INSEE, DATAR), les surfaces occupées par les hommes se situent aujourd’hui entre 8 et 9 % du territoire, soit au maximum 50 000 km2, contre environ 14 000 Km2 lors de l'immédiat après première guerre.

 

Ces évolutions se sont produites sans que la moindre pénurie d’espace physique ne soit observée. En effet, dans le même temps, la productivité agricole a augmenté de façon extraordinaire. La production agricole a été multipliée par 4 entre 1920 et 2000. Pendant le même temps, la surface agricole utile, y compris les prairies, diminuait de 25 % passant de 38 à 29 millions d’hectares (de 69% à 53% du territoire), soit une diminution de 9 millions (16% du territoire), dont ont principalement bénéficié les espaces forestiers.

 

Par conséquent, l'espace "artificialisé" a augmenté en 90 ans de 3,6 millions d'hectares, mais l'espace dédié à l'agriculture a diminué presque trois fois plus rapidement, ce qui signifie que la perte d'espace agricole n'est absolument pas due à un grignotage de l'espace disponible par la ville mais a tout simplement résulté d'un moindre besoin de terre pour produire ce dont les marchés ont besoin.

 

L'argument selon lequel l'étalement urbain "mangerait", "consommerait", ou "détruirait" l'espace agricole disponible est donc une billevesée qu'il faut combattre avec force.

 

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Le ralentissement démographique va réduire la propension à l’expansion urbaine

 

Si l’urbanisation touchait les dernières années entre 55 et 60 000 hectares par an (0,1 % de la surface du territoire), le rythme tend plutôt à décroitre, et tout porte à croire que cette expansion urbaine ne sera pas un problème à l’avenir.

 

En effet, 60 000 hectares annuels peuvent paraître effrayants en première lecture, et les publications officielles des bureaucraties en charge de lutter contre ce faux problème (il faut bien vivre...) ne se privent pas d'agiter ce chiffre comme un épouvantail. Mais cela ne représente guère que 600 kilomètres carrés, soit 1.1 pour mille de la surface de la France métropolitaine. Cette augmentation du besoin d'usage des sols provient essentiellement de l'augmentation de la population, et plus encore du nombre de ménages, car un ménage engendre un besoin de résidence principale.

 

En 2000, la part "artificialisée" du territoire représentait 43 000 km2 sur 550 000, soit 7,8% environ. Si l'on augmentait de 600km2 annuels la surface occupée pendant 50 ans, la surface artificialisée en 2050 représenterait 13,3% du territoire. Pas de quoi menacer la survie des forêts ou de l'agriculture, nous l'avons vu ! Mais en outre, toutes les tendances démographiques indiquent que l'augmentation de consommation spontanée de surface devrait se réduire dans les années à venir.

 

En effet, le chiffre de 60 000 hectares annuels a été calculé sur la base des années 90, décennie pendant laquelle la population de France métropolitaine a augmenté de 1,8 millions de personnes, et surtout, le nombre de ménages a augmenté de 2,5 Millions d'unités, du fait de l'abaissement  rapide du nombre de personnes par ménage, résultant à la fois du vieillissement accéléré de la population (les personnes âgées vivent à 1 ou à 2, faisant baisser la moyenne) et de l'augmentation de 50% du nombre annuel de divorces depuis 15 ans. (Source : Insee, catégorie "population" ).

 

Or, les prévisions de l'INSEE tablent sur un ralentissement de ces tendances. La population, qui a cru de 0,43% par an dans les années 90, ne devrait plus croître que de 0,3 à 0,35%, et la hausse du nombre de ménages, qui a explosé de 1,1% en rythme annuel, devrait revenir en moyenne à 0,7% dans les 50 prochaines années, avec un aplanissement progressif de la courbe. De surcroît, les personnes âgées tendent à privilégier des surfaces d'agrément (jardins, etc...) moindres, car leur entretien est difficile.

 

La "consommation" d'espace par l'urbanisation devrait donc voir son accroissement naturel ralentir. Si les prévisions démographiques de l'INSEE se révèlent exactes (l'INSEE ne peut prévoir tous les phénomènes de façon fiable, notamment les phénomènes de rupture: variations de flux migratoires, conflits, etc...), la part du territoire "non naturel – non sylvicole - non agricole" ne devrait guère excéder 10 à 12% en 2050.
Voilà qui devrait relativiser les discours alarmistes des pseudo-experts qui ne jurent que par l'accroissement de la densité de peuplement des villes pour empêcher les humains, en nombre croissant, "d'annexer la nature". D'un point de vue quantitatif, compte tenu des évolutions démographiques prévisibles, l'étalement urbain n'est pas une menace significative.

 

Cela est encore plus évident si l’on observe dans le détail les usages de la terre "artificialisée" (Source C.Julienne) :

Autoroutes, routes, parkings, chemins ruraux

38,2%

Pelouses, c’est-à-dire zones vertes entretenues non agricoles, bordures d’autoroutes, terrains de sports,
aérodromes, jardins publics

 
24,5 %

Logements et bâtiments de tous types

20,3 %

sols artificiels non bâtis :
chemins de fer, mines, carrières, terrains militaires, industries

17,0 %

L’on voit qu’une part non négligeable des terrains "artificialisés" ne sont pas "dénaturalisés".

 

D’autre part, la couverture routière et ferroviaire du pays est à peu près acquise, les mises en chantier de nouveaux tronçons ferroviaires ou  routiers étant assez peu importantes et correspondant à des logiques d’améliorations ponctuelles, contrairement à ce qui s’est produit lors de la création de ces grands réseaux. Aussi le développement de nouveaux logements tendra-t-il à moins augmenter les surfaces nécessaires aux voies de communication que ce qui fut par le passé. Le même raisonnement paraît applicable sans trop de crainte aux équipements publics, dont la sous-utilisation actuelle est patente.

 

Craindre une explosion urbaine relève de la peur irrationnelle, pas d'une préoccupation fondée sur des faits scientifiques.

 

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La lutte contre l'étalement urbain est une lutte contre les aspirations humaines

 

Il est vain de vouloir s'opposer par la contrainte bureaucratique aux souhaits et aspirations des familles et des individus. Certes les règlements contrariant le libre usage de la propriété individuelle sont innombrables et sont alourdis dans d'importantes proportions chaque année. Plans Locaux d’Urbanisme, Schémas directeurs, Schémas de cohérence territoriale, Plans Locaux de l’Habitat, Plans de Déplacements Urbains, Directives Territoriales d’Aménagement... Sans oublier d’autres nombreuses lois relatives à l’urbanisme, à l’environnement et à la protection de l’agriculture qu'il serait trop long d'énumérer. Mais la règle générale reste, pour l'instant encore, le droit de propriété, et le libre choix du mode de vie en fonction de ses aspirations et de ses moyens. N’en déplaise aux admirateurs du logement administré à la soviétique, Il en résulte que les développements urbains sont encore, pour une grande partie influencés par les lois du marché, même s’il s’agit d’un marché fortement contrarié dans son fonctionnement.

 

Or, toutes les études d’opinion menées depuis la fin de la guerre montrent que les Français marquent une forte préférence  à la fois envers l’accession à la propriété, et l'habitat individuel. Les statistiques des constructions réellement sorties de terre corroborent cette préférence exprimée : ces dernières années, 2/3 de la construction neuve et les 3/4 de l’accession à la propriété ont concerné des maisons individuelles.

 

Limiter l’étalement urbain, c’est limiter la part de la maison individuelle dans la construction. C’est également limiter le développement des bassins d’emplois en  périphérie des agglomérations, alors que ce développement serait salutaire pour décongestionner les centres urbains au réseau viaire parfois saturé. Bref, c’est s’opposer résolument à l’évolution de l’urbanisation telle qu’elle s’est produite non pas depuis 50 ans, mais depuis toujours. Pourquoi vouloir le faire ?

 

L’étalement urbain ne pose plus aujourd’hui de problème (quand bien même il en aurait posé par le passé)

 

C’est dans les cinquante dernières années que les agglomérations urbaines ont couvert leurs aires de développement actuelles. Toujours selon les données de la fondation H&P, les aires couvertes par les grandes agglomérations françaises se situent dans les limites approximatives suivantes :

 

  • 35 km de Rayon pour la région parisienne,
  • 15/25 km pour les agglomérations de plus de 600 000 habitants (9),
  • 10/20 km pour la très grande majorité de l’espace urbain français qui se situe autour des villes de 100 à 400 000 habitants.

 

Le suivi des statistiques du Ministère de l’Equipement montre que 50 % de la construction neuve récente s'est faite en France dans des agglomérations de  moins de 10 000 habitants. Surtout, même en prenant en compte les  plus grandes agglomérations, 80% de la construction neuve a été érigée dans des communes de moins de 10 000 habitants, c'est-à-dire que dans les grandes métropoles, ce sont les couronnes extérieures qui ont absorbé l'essentiel des nouvelles constructions.

 

Or, l’étude des photos satellite de ces aires urbaines montre l'existence d'espaces vierges de constructions très importants, parfois considérables. En région parisienne par exemple, entre 25 et 35km, il y a beaucoup plus de taches vertes que de zones construites. Cela s’explique simplement : l’étalement urbain se produit en priorité le long d'axes le long desquels le législateur local autorise encore quelques constructions. En deuxième phase, il tend à combler les dents creuses. Le fait d’avoir élargi les périmètres urbains par le passé a déjà délimité de très grandes surfaces disponibles pour construire à l’intérieur des limites actuelles des aires urbaines. L’impression de grignotage des zones rurales par l’urbanisation linéaire le long des voies de communication est donc une illusion visuelle non confirmée par un changement de l’axe d’observation.

 

Ajoutons que les pourfendeurs de l’étalement urbain feignent souvent d'oublier que la surface d’un cercle est égale à PI*R^2. Cela signifie qu’une agglomération ayant un rayon de 15 km passera d’une surface d’environ 706 km² à 902 si elle augmente ce rayon de 2 km. La surface augmente ainsi de 28 %, alors que le rayon n’augmente que de 13 %.

 

Par conséquent, non seulement il reste beaucoup de place à l’intérieur des aires urbaines existantes, mais en plus, les besoins d’accroissement périphérique de ces aires ne peuvent que diminuer avec le temps. Prétendre, comme le font certains, qu'au train actuel, les villes absorberont les campagnes dans 50 ou 100 ans relève soit de la bêtise, soit, plus vraisemblablement, de la malhonnêteté intellectuelle.
Le marché comme meilleur capteur des souhaits des ménages

 

Plutôt que de lutter contre la volonté manifeste de toute la population en prônant le collectif à outrance, des densités moyennes supérieures à 50 logements à l’hectare, il est beaucoup plus souhaitable de construire ce que le marché encore un peu libre, c'est à dire l'expression des préférences individuelles, demande.

 

Cela requerra des densités élevées uniquement dans les grands centres urbains, lesquels, selon les préférences actuelles des ménages, n’absorberont qu’une part minoritaire des besoins, et des densités bien plus raisonnables dans les zones périphériques ou les villages extra-urbains.

 

Naturellement, les chiffres qui précèdent peuvent évoluer si les goûts de la population changent.  Mais ce sont les mécanismes du marché qui seront les mieux à même de capter ces évolutions, pas les lubies de bureaucrates planificateurs dont les ancêtres sont ceux qui ont bâti plus de 700 "ZUP", aujourd'hui autant de ghettos qui posent d'énormes problèmes à la société française.  Voilà qui devrait inciter leurs héritiers spirituels qui ne rêvent que de densification, d'éco-polis et de ceintures vertes infranchissables à plus de modestie.

 

Analyse Hayekienne : le marché, un instrument de… planification plus efficace que la planification !

 

Les planificateurs affirment que la liberté de choix individuelle est incompatible avec la préservation de "l’intérêt général". Or l’intérêt général tel qu’ils le définissent s’appuie grandement sur les notions de "consommation d’espace" ou assimilées, dont nous avons amplement analysé les faiblesses. L’argument perd donc de sa force.

 

Il existe toutefois d’autres familles d’arguments relevant de la notion "d’intérêt général" utilisés par les planificateurs pour justifier leurs interventions : congestion, consommation de CO2, biodiversité, et que sais-je encore.

 

Loin de moi l’idée d’aborder toutes ces questions dans cet article déjà fort long. Mais analysons la rhétorique des tenants de la planification spatiale. Selon eux, l’individu ne peut connaître toutes les tensions nées de son choix sur son environnement, et donc seuls les "experts" peuvent prendre en compte la très grande diversité des paramètres  influant sur "la qualité de vie" générale pour définir ce que doit être un développement urbain harmonieux.

 

Ces experts ont la même chance d’y parvenir que  les commissaires du GOSPLAN devant chaque année fixer les prix de plusieurs dizaines de milliers d’articles depuis Moscou n’avaient la capacité de créer un substitut harmonieux au marché.

 

Dans "Individualism and economic order", Hayek démontre qu’aucun expert ne peut connaître l’ensemble des paramètres fondant les choix de chaque individu. Pis même, il ne peut en aucun cas connaître la pondération que chaque individu donne à chaque paramètre. En appliquant ce  constat à l’organisation urbaine, il apparaît clairement qu’aucun expert ne peut modéliser les conséquences de milliers de préférences individuelles parfois diamétralement opposées : certains ménages valorisent très cher la proximité de services de haut de gamme présents en centre ville, et détestent les embouteillages, alors que d’autres sont moins gênés par des durées plus importantes au volant, mais estiment que quelques embouteillages ne sont rien par rapport à la joie de posséder un beau jardin. La situation des "experts" s’aggrave encore si l’on considère que ces valeurs relatives données par les individus aux différents éléments fondant leurs choix de vie varient avec le temps : aucun expert n’est évidemment capable d’en ternir compte.

 

Les soi disant "souhaits" des ménages auxquels se réfèrent politiciens et experts tendent d’une part à nier la diversité de ces souhaits, et d’autre part à projeter leurs propres visions (pour les autres) d’une vie harmonieuse.

 

Bien sûr, aucun individu ne sait précisément ce que veut un autre individu. Même ses propres incertitudes rendent parfois sa décision difficile. Mais il existe un système vieux comme le commerce permettant aux individus de valoriser les coûts et avantages des différentes options qui s’offrent à eux à un instant donné. C’est le système de prix. Dans un système ou les prix ne sont pas artificiellement poussés à la hausse par des règles malthusiennes de développement foncier, et où les coûts de transaction (droits de mutation, etc…) sont réduits au minimum, les agents économiques peuvent, moins difficilement que dans un marché contraint, adapter leurs choix de lieu de résidence et de type d'habitat à leurs propres critères de valorisation de choix de vie.

 

Au contraire, dans les environnements institutionnels où le foncier constructible est rare, et où les options de mobilité se limitent à la vacance dans l'ancien,  il est à craindre que de nombreux ménages ne puissent, lorsque la vie leur impose un changement de champ de contraintes (emploi, école des enfants, maladie, divorce, mais aussi surcharge progressive d'une route souvent empruntée allongeant démesurément les temps de trajet...), trouver l'adaptation qui satisfasse le mieux leurs exigences nouvelles. Autrement dit, la planification centralisée réduit la satisfaction perçue d'un grand nombre de ménages quant à la perception de l'adéquation entre leur logement et leur champ d'aspirations.

 

Réduire la satisfaction du plus grand nombre au nom de l'intérêt général : beau résultat de la planification !

 

Le développement confié à des lotisseurs privés, dans un tel contexte de liberté foncière, ne serait en rien anarchique. Sur de tels marchés, les lotisseurs vendent avec des marges brutes faibles: la concurrence n'est jamais très loin. Ils doivent donc bien identifier leurs clientèles, cibler les souhaits des groupes socioculturels en question, tenir compte de la présence ou de l'absence de certains équipements de proximité... En ce sens, le marché effectue en quelque sorte un travail de... planification, mais de planification décentralisée, basée sur l'étude du besoin de clients réels, et avec le risque qu'une mauvaise évaluation de ce besoin ne vous pousse hors du marché.

 

Les développeurs sont tenus de construire un environnement aussi agréable que leur budget-cible leur permet, afin de vendre: les "neighborhood communities" américaines bâties dans les états à forte liberté foncière, véritables villes dans les villes gérées par des associations de propriétaires, sont généralement considérées comme des lieux de vie très agréables. Et dans ces états, point de bulles immobilières !

 

Urbanisme et libertés individuelles

 

En matière d'urbanisme, dans un pays supposé défendre la liberté, si l'on en croit la devise inscrite aux frontons des mairies, laissez-nous choisir ! Au nom de quoi, au nom de qui, peut-on vouloir contraindre les hommes à habiter dans un type d’immeuble ou un type de maison déterminé par une technocratie de politiques et de fonctionnaires, quelles que soient leurs (in)compétences ?

 

Il n'existe aucun autre domaine où, à ce point, des technocrates – politiques, hauts fonctionnaires, bureaucrates, urbanistes, architectes – entendent dicter aux autres ce que devrait être leur mode de vie. On observe d’ailleurs chez le bureaucrate ou politicien planificateur, adepte de la densification urbaine pour le bas-peuple, une tendance marquée à la préférence pour la villa individuelle, si possible de standing, voire pour la résidence secondaire. Les villes nouvelles sont assez peu goûtées de ces "experts" ès cadre de vie. Allez comprendre…

 

Les élus politiques doivent se poser la question: sont-ils élus pour empêcher les familles de réaliser leurs aspirations ? Peuvent-ils prétendre favoriser l'intérêt général quand les politiques qu'ils promeuvent vont à l'encontre des désirs individuels largement majoritaires exprimés par la voie du marché ? L'élection leur confère-t-elle le droit de substituer leurs choix à ceux des électeurs ? Peuvent-ils oser évoquer à ce point l'intérêt général quand la "science" sur laquelle ils s'appuient pour le définir est à ce point biaisée ? Sont ils au service des aspirations du peuple, ou le peuple est il asservi à leurs aspirations ?

 

"En urbanisme comme ailleurs, la liberté de choix doit être la règle.
Il y va tout simplement de notre liberté"

 

Vincent Bénard

Objectif Liberte.fr

Egalement par Vincent Bénard

 

Vincent Bénard, ingénieur et auteur, est Président de l’institut Hayek (Bruxelles, www.fahayek.org) et Senior Fellow de Turgot (Paris, www.turgot.org), deux thinks tanks francophones dédiés à la diffusion de la pensée libérale. Spécialiste d'aménagement du territoire, Il est l'auteur d'une analyse iconoclaste des politiques du logement en France, "Logement, crise publique, remèdes privés", ouvrage publié fin 2007 et qui conserve toute son acuité (amazon), où il montre que non seulement l'état déverse des milliards sur le logement en pure perte, mais que de mauvais choix publics sont directement à l'origine de la crise. Au pays de l'état tout puissant, il ose proposer des remèdes fondés sur les mécanismes de marché pour y remédier.

 

Il est l'auteur du blog "Objectif Liberté" www.objectifliberte.fr

 

Publications :

"Logement: crise publique, remèdes privés", dec 2007, Editions Romillat

Avec Pierre de la Coste : "Hyper-république, bâtir l'administration en réseau autour du citoyen", 2003, La doc française, avec Pierre de la Coste

 

 

Publié avec l’aimable autorisation de Vincent Bénard – Tous droits réservés par Vincent Bénard.

 

 

 

 

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Vincent Bénard, ingénieur et auteur, est Président de l’institut Hayek (Bruxelles, www.fahayek.org) et Senior Fellow de Turgot (Paris, www.turgot.org).
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