Chroniques du
pessimisme ordinaire
J'ai
déjà évoqué ce que je pensais de l'avenir à moyen terme de l'économie
américaine, et des éventuelles
retombées que cela pourrait avoir en Europe. Mais chez nous ?
Dans
l’océan de chiffres contradictoires censés nous annoncer
soit une reprise durable, soit un nouveau repli des économies
occidentales dans les mois à venir, il est bien difficile de s’y
retrouver. Au-delà des fluctuations de court terme autour des
tendances longues, qui se traduisent aujourd’hui par une
volatilité assez importante des marchés boursiers, (+43%,
environ 1100 points, en moins de deux trimestres après une chute libre
de 2000 points sur les 7 mois précédents ! ), y a-t-il des
raisons de croire à une reprise réelle de
l’économie à moyen et long terme ? Une reprise suffisante
pour commencer à résorber le chômage ?
Pour ce qui est
de la France, voici quelques éléments qui retiennent mon
attention :
1) investissement en berne :
entendu sur BFM lundi 31/8 : Investissements
des entreprises en baisse de 23% sur 2009
(prévision).
C’était
prévisible, puisque le krach financier de fin 2008 annonçait
clairement une tension sur le marché du crédit bancaire aux
entreprises, et ce malgré les bons offices du père fouettard du
Crédit Facile du gouvernement, René
Ricol.
Toute la question
est de savoir si l’investissement peut repartir en 2010, et ce dans des
proportions suffisantes pour résorber la destruction de postes
de travail rencontrée depuis 2008. Or, tout porte à croire que
la réponse est négative.
2) Fonds propres en berne
: en effet, le niveau de fonds propres des entreprises françaises de
plus de 10M de chiffre d’affaire est
tombé à 40% (c’est en moyenne 10% de
moins que leurs homologues allemandes, par exemple). Cela veut dire que les
résultats des entreprises sont mauvais et que leurs fonds propres
tendent à se dégrader, alors que la France est
déjà réputée pour la sous-capitalisation
générale de ses entreprises.
Ceci ne laisse
rien augurer de bon quant à leur capacité d’augmenter
significativement leurs investissements dans les années à
venir.
Or, une grande
partie de la sortie de crise dépend de la capacité des
entreprises, existantes ou nouvelles, à investir, pour proposer des
offres supérieurement attrayantes pour les consommateurs dans un
contexte ou ceux-ci doivent s’adapter à un contexte plus
incertain et à une réduction globale de la monnaie en
circulation du fait de la restriction du crédit (sauf à ce que
les interventions intempestives des banques centrales n’en arrivent à renverser cette tendance
déflationniste). Les entreprises doivent donc
arriver à proposer des produits soit beaucoup plus innovants, soit
nettement moins chers que la génération
précédente, voire les deux, pour que « l’envie
» soit plus forte que l’attentisme et la peur.
A ce sujet, la
réaction des marchés automobiles aux fins des opérations
ruineuses de primes à la casse gouvernementales lancées un peu
partout dans le monde sera intéressante à suivre :
l’automobile traditionnelle (moteur à explosion) paraît
engagée dans une fin de cycle que seules des innovations majeures
(véhicules très low cost, hybrides meilleur marché,
électriques ayant résolu ses problèmes d’autonomie
ou de prix de revient, etc...) pourraient renverser.
Un niveau de
fonds propres faibles, couplé à une propension légitime
des banques à resserrer leur offre de crédits aux entreprises
présentant de mauvais ratio dettes/FP, rend difficile pour nos
entreprises de réaliser le niveau d’investissements
nécessaire pour créer suffisamment de ces nouveaux produits.
3) Capitaux
"étouffés" par l'état : Or, la
politique de l’état va à l’encontre d’un
renforcement des fonds propres des entreprises existantes, ou de la
vitalité du marché des capitaux pour les entreprises
naissantes, qui n’a jamais été notre point fort :
- d’ une part, la dette publique,
en 5 ans, va passer, selon les projections en cours, qui me paraissent
déjà indûment "optimistes", de 65 à 95%
du PIB, et tous les pays de la zone Euro (et les autres) suivent ce
mouvement. Cela signifie qu’une masse considérable
d’épargne qui aurait pu se décaler vers des
investissements plus risqués faute de choix, va pouvoir se
réfugier dans les produits obligataires étatiques
supposément sûrs (ce qui restera à prouver à
terme). Dans un contexte de deleveraging généralisé,
voilà qui pourrait assécher durablement le marché des
capitaux et crédits accessibles aux entreprises dites « de
croissance »
- Notre gouvernement semble poursuivre
à marche forcée un
"agenda carbone" économiquement tout à fait
délirant, et ce de façon
unilatérale, quand bien même aucun accord international ne
serait conclu. Un certain nombre d’entreprises particulièrement
touchées par la taxe Carbone devraient délocaliser, et les
perspectives d’augmentation de cette taxe dans le futur seront un
facteur supplémentaire de localisation des investissements "ailleurs".
- Les annonces tonitruantes concernant le
renforcement de la répression fiscale des hauts revenus, qu’il
s’agisse des menaces sur 3 000 détenteurs de comptes en Suisse
ou de la rémunération des Traders, des Bonus, et autres revenus
élevés susceptibles de créer un vivier
d’investisseurs potentiels, ne favoriseront pas la prise de risque en
France. Les annonces du PS à La Rochelle montrent que l'opposition n'a
toujours pas plus compris les ressorts de l'économie que la
majorité. Pitoyable paysage politique que le nôtre, en
vérité...
- Il faudra bien réduire les
déficits abyssaux créés à la fois par la crise et
les plans de relance. Le secteur public dans son ensemble ne pourra pas
indéfiniment dépenser 6 euros pour 5 encaissés en
impôts. Une hausse des taux d'imposition impôts est hélas
absolument inévitable, sauf à ce que le gouvernement ait le
courage politique d’annoncer environ 100 milliards de coupes
budgétaires, ce qui ne pourra pas se faire sans licenciements secs
dans la fonction publique. Or, le courage politique n’est pas
précisément la qualité la plus visible du gouvernement
actuel, pas plus que des gouvernements passés d’ailleurs,
même si parfois notre président essaie
de faire semblant d’être un grand réformateur.
Inutile de dire qu’une telle hausse de la fiscalité, qui portera
sûrement en grande partie sur la fiscalité marginale (taxer les
"riches" rapporte peu mais est politiquement plus porteur
qu’élargir les assiettes fiscales vers le bas), n’a aucune
chance de provoquer un boom des investissements à long terme des
entreprises…
4) Et maintenant, les mauvaises
nouvelles : Pour peu que les pulsions protectionnistes de l’administration Obama
et de certains gouvernements européens, à commencer par notre
président, se concrétisent, par exemple sous des
prétextes carbonifères, alors une source importante de gains de
productivité, l’optimisation des allocations de ressources au
niveau mondial, sera étranglée. Mais on peut toujours se dire
que le pire n’est jamais totalement certain.
Ce qu'il faudrait
faire
Comme je l'ai dit
par le passé, et comme le dit l'Adam Smith
Institute aujourd'hui (excellent
rapport PDF), meilleure chose à faire aujourd'hui
serait de couper très fortement les taux d'impositions des entreprises
et marginaux sur les gains individuels, et de financer ces coupes par
des baisses drastiques de dépenses publiques. Sans oublier de
réduire les distorsions fiscales qui aujourd'hui favorisent
l'endettement sur la formation de capital.
Enfin un peu
d'optimisme...
A très
long terme, je reste optimiste : l’accélération du
progrès scientifique et des ruptures technologiques que je pressens très
fortes dans des domaines tels que l’énergie
électrique, le génie agricole, les nanotechs, les hydrocarbures de synthèse, voire
peut être l'hydrogène, et sans doutes quelques autres secteurs
qui ont échappé à mon radar, produiront de tels gains de
productivité que nous en subiront tôt ou tard des
retombées bénéfiques, quelle que soit l’ineptie
des gouvernements, qui ne peut que retarder de quelques années ce
mouvement salvateur. Mais évidemment, un pays, voire un continent, qui
a promu le principe
de précaution au rang de ses dogmes directeurs,
risque de voir les fruits de cette vague de progrès lui
échapper en grande partie...
Tout ceci ne sera
réalité, bien sûr, que si le substrat politique de
l’occident reste fondé sur une couche de libertés
fondamentales suffisantes (malgré
leur inquiétante altération actuelle), et
que les soubresauts actuels n’entraîne pas
l’émergence d’un monde à nouveau soumis à la
progression des régimes autoritaires, dont la propension à
ralentir le progrès technologique et à entrer en conflit avec
leurs voisins ne s'est hélas jamais démentie au cours de
l'histoire.
... Mais
ça ne pouvait pas durer !
Mais attention,
si la technologie peut permettre aux économies de triompher de
politiques économiques à l'opposé du souhaitable, elle
peut aussi rendre supportable des régimes qui n'auraient pas
été viables à l'époque où la
médiocrité institutionnelle collectiviste était synonyme
de famine. Je copie colle ce que
j'écrivais en décembre 2007 (Ob'lib', le
blog écolo, le blog qui recycle !):
En
1623, la faiblesse des technologies accessibles aux cultivateurs de nouvelle
Angleterre condamnait la collectivisation à la faillite rapide, ce qui
força tout naturellement l’Amérique à faire le
choix d’une société fondée sur la liberté,
l'entreprise et la propriété privées.
A
l'opposé, au XXème siècle, lorsque les
expériences collectivistes furent imposées à de
nombreuses populations, les technologies accessibles à ces
régimes, malgré le retard d’investissement que les pays
communistes accumulaient au fil du temps, leur permirent
d’éviter les famines extrêmes, sauf, naturellement, lorsque
les dirigeants communistes s’en servirent comme d’une arme
de répression de la paysannerie insoumise. Le communisme mit donc bien
plus longtemps à s’effondrer, car les fragments de technologies
péniblement copiés à l’ouest permettaient aux
régimes communistes de reculer le "seuil de douleur" qui
aurait rendu les soulèvements massifs inévitables.
Les
libéraux ne doivent donc pas croire que la bête immonde est
morte à cause de ses échecs et crimes du passé : plus le
progrès technologique - qui
nait de la compétition des entreprises dans un monde libéral
- ira croissant, plus les gens pourront avoir l’impression que le
collectivisme, rampant ou déclaré, n’est pas un facteur
de misère insurmontable. Si nous venions à négliger de combattre
les idées communistes avec détermination, si la mémoire
du passé se brouillait à l'excès, alors nous serions,
plus que les générations passées, vulnérables
face à de nouvelles tentatives d'asservissement.
Plus que jamais,
la liberté sera notre unique salvatrice. Plus que jamais une
société de liberté doit être défendue,
alors que la crise actuelle la rend particulièrement vulnérable
aux attaques des politiciens les
plus interventionnistes et avides de pouvoir.
Vincent
Bénard
Objectif Liberte.fr
Egalement par Vincent Bénard
Vincent Bénard, ingénieur
et auteur, est Président de l’institut Hayek (Bruxelles, www.fahayek.org) et Senior Fellow de Turgot (Paris, www.turgot.org), deux thinks tanks francophones
dédiés à la diffusion de la pensée
libérale. Spécialiste d'aménagement du territoire, Il
est l'auteur d'une analyse iconoclaste des politiques du logement en France, "Logement,
crise publique, remèdes privés", ouvrage publié
fin 2007 et qui conserve toute son acuité (amazon), où il
montre que non seulement l'état déverse des milliards sur le
logement en pure perte, mais que de mauvais choix publics sont directement
à l'origine de la crise. Au pays de l'état tout puissant, il
ose proposer des remèdes fondés sur les mécanismes de
marché pour y remédier.
Il est l'auteur du blog "Objectif
Liberté" www.objectifliberte.fr
Publications :
"Logement: crise publique,
remèdes privés", dec 2007, Editions Romillat
Avec Pierre de la Coste : "Hyper-république,
bâtir l'administration en réseau autour du citoyen", 2003, La
doc française, avec Pierre de la Coste
Publié avec
l’aimable autorisation de Vincent Bénard – Tous droits
réservés par Vincent Bénard.
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