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Visant
tour à tour États et banques européennes, rien ne semble
pouvoir interrompre la frénésie des agences de notation.
Dégradation de note, maintien « avec perspective négative
», ou « mise sous surveillance », le vocabulaire des
graduations de peine est soudainement devenu familier. Suscitant les
réactions de dirigeants politiques les critiquant comme étant
« irrationnelles » et « incompréhensibles »,
estimant qu’elles adoptent des méthodologies liées
à des « facteurs politiques », ne tenant pas compte
« des fondamentaux », et que pour tout dire elles conduisent
à considérer que « l’utilité des agences
pour guider les investisseurs n’est plus avérée
aujourd’hui ».
Tels
sont en effet les mots empruntés par Christian Noyer, gouverneur de la
Banque de France, que l’on connaît plus serein mais pas plus
crédible quand il défend la solidité des banques
françaises, dont il est selon lui « à la mode » de
la mettre en cause.
Alors
qu’il est attendu assez fiévreusement de Standard & Poor’s qu’elle dégrade ou non, et
d’un seul coup de deux crans, la note de la dette souveraine
française, les commentaires de son économiste en chef,
Jean-Michel Six, marquent un tournant. « Une stratégie de retour
à la croissance, qui doit forcément contrebalancer le
redressement des finances publiques, c’est vraiment les deux jambes sur
lesquelles l’Europe doit arriver à marcher » vient-il de
déclarer, sans toutefois donner la recette permettant de concilier
deux impératifs qui semblent dans la pratique assez contradictoires.
Cette
nouvelle préconisation exprime l’inquiétude qui se
répand alors que plus en plus de pays européens entrent en
récession, une perspective encore présentée il y a peu
par l’OCDE comme devant être légère pour
l’Europe dans son entier, estimation que ne semble pas partager
Standard & Poor’s qui évoque
« une récession vraiment sévère ».
L’austérité budgétaire soutenue et le maintien de
la croissance ne font pas bon ménage, quand un resserrement du
crédit bancaire se profile, atteignant l’économie.
Accentuant le risque que la récession annule les efforts de
réduction des déficits et de la dette ; impliquant que les
créanciers soient mis à contribution si l’on veut y
parvenir alors que l’on proclame le contraire.
Tout
n’est que contradiction dans la situation actuelle, résultat
d’une politique à laquelle les marchés croient de
moins en moins, si l’on en croit les agences, qui sont à la fois
leurs conseils et leurs interprètes. La nouveauté est que ce
qui était prédit est en train de se concrétiser. La
stratégie poursuivie a pris un nouveau coup dans l’aile, ce qui
explique peut-être la virulence avec laquelle les agences de notation
ont été mises en cause.
L’art
de conjuguer des mesures de réduction du déficit et de relance
a déjà fait l’objet de beaux assauts de
rhétorique, notamment de la part de la directrice
générale du FMI, qui n’ont jamais dépassé
le stade des généralités. Mario Monti, le
président du conseil italien, préconise que la lutte contre le
déficit s’inscrive « dans une approche durable de long
terme » et tente de donner corps à cette politique. Mais, sous
la pression globale des marchés, dans un contexte marqué
par l’échec de toutes les tentatives de créer un pare-feu
financier au niveau européen, sa tentative actuelle a toutes les
chances de tourner court et qu’il soit exigé de demander aux
Italiens « plus de sacrifices », ce qu’il affirme vouloir
éviter. L’Italie est déjà entrée en
récession.
Ce
n’est pas du prochain sommet européen, qui devrait se tenir
début février prochain, que l’on pourra en tout cas
attendre des éclaircissements. Il aura en priorité à son
ordre du jour un gros morceau : le projet de traité
intergouvernemental portant sur « l’union de stabilité
budgétaire », dont la signature est espérée pour
la fin mars. Herman van Rompuy a toutefois
précisé que « dans un second temps, seront
discutés les points qui n’ont pu être abordés lors
du dernier sommet européen concernant l’économie, la
compétitivité et l’emploi ». « En période
de stagnation, de récession, il est important d’aborder ces
questions » a-t-il commenté, tout en se gardant bien
d’employer le terme de croissance ; celui de
compétitivité étant un terme codé, qui renvoie
à réforme structurelle du marché du travail.
Voilà qui donne une idée de l’angle sous lequel la
croissance pourrait être recherchée.
L’agence
Fitch, toute aussi négative à propos
de la situation actuelle, s’est exprimée sous un autre angle, en
réclamant « un engagement plus actif et explicite de la BCE
». Cela a été l’occasion pour Jürgen Stark,
économiste en chef démissionnaire de cette dernière, de
prononcer un morceau de bravoure sur le thème « n’en
demandez pas trop à la banque centrale ! », en rappelant comme
si c’était un point de doctrine le mandat actuel de la BCE
à propos de la stabilité des prix. Poursuivant à propos
de la Grèce pour considérer qu’elle « se tire
d’affaire trop facilement », car « il n’est pas
acceptable de rejeter la faute sur les autres quand on a soi-même pas
accompli ses devoirs ». C’est dire le niveau
pénétrant d’analyse atteint par ce brillant
économiste lorsqu’il s’érige en conscience morale !
On
a beaucoup parlé de l’école de Chicago, de Milton
Friedman et de Friedrich Hayek, et des ravages que l’application de
leurs conceptions ont produit. Les économistes regroupés au
sein de la place forte de la Bundesbank, et le courant de pensée
qu’ils représentent, personnifié aujourd’hui par
son président Jens Weidmann et hier par Alex
Weber, marquent à leur tour l’époque de leur sceau. Ces
doctrinaires rigides imposent leur vision en Europe et on retiendra
d’eux aussi ce qu’ils auront détruit.
N’avalisant
pas la politique suivie, réclamant maintenant une stratégie de
retour à la croissance, les marchés semblent faire
preuve d’un réalisme dont les tenants de l’école
de la Bundesbank ne disposent pas, pas plus que les dirigeants
européens qui ne s’en démarquent pas. Ces derniers sont
pris à contre-pied !
Billet rédigé par
François Leclerc
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