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Pris à contre-pied

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Publié le 20 décembre 2011
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Rubrique : Editoriaux

 

 

 

 

Visant tour à tour États et banques européennes, rien ne semble pouvoir interrompre la frénésie des agences de notation. Dégradation de note, maintien « avec perspective négative », ou « mise sous surveillance », le vocabulaire des graduations de peine est soudainement devenu familier. Suscitant les réactions de dirigeants politiques les critiquant comme étant « irrationnelles » et « incompréhensibles », estimant qu’elles adoptent des méthodologies liées à des « facteurs politiques », ne tenant pas compte « des fondamentaux », et que pour tout dire elles conduisent à considérer que « l’utilité des agences pour guider les investisseurs n’est plus avérée aujourd’hui ».


Tels sont en effet les mots empruntés par Christian Noyer, gouverneur de la Banque de France, que l’on connaît plus serein mais pas plus crédible quand il défend la solidité des banques françaises, dont il est selon lui « à la mode » de la mettre en cause.


Alors qu’il est attendu assez fiévreusement de Standard & Poor’s qu’elle dégrade ou non, et d’un seul coup de deux crans, la note de la dette souveraine française, les commentaires de son économiste en chef, Jean-Michel Six, marquent un tournant. « Une stratégie de retour à la croissance, qui doit forcément contrebalancer le redressement des finances publiques, c’est vraiment les deux jambes sur lesquelles l’Europe doit arriver à marcher » vient-il de déclarer, sans toutefois donner la recette permettant de concilier deux impératifs qui semblent dans la pratique assez contradictoires.


Cette nouvelle préconisation exprime l’inquiétude qui se répand alors que plus en plus de pays européens entrent en récession, une perspective encore présentée il y a peu par l’OCDE comme devant être légère pour l’Europe dans son entier, estimation que ne semble pas partager Standard & Poor’s qui évoque « une récession vraiment sévère ». L’austérité budgétaire soutenue et le maintien de la croissance ne font pas bon ménage, quand un resserrement du crédit bancaire se profile, atteignant l’économie. Accentuant le risque que la récession annule les efforts de réduction des déficits et de la dette ; impliquant que les créanciers soient mis à contribution si l’on veut y parvenir alors que l’on proclame le contraire.


Tout n’est que contradiction dans la situation actuelle, résultat d’une politique à laquelle les marchés croient de moins en moins, si l’on en croit les agences, qui sont à la fois leurs conseils et leurs interprètes. La nouveauté est que ce qui était prédit est en train de se concrétiser. La stratégie poursuivie a pris un nouveau coup dans l’aile, ce qui explique peut-être la virulence avec laquelle les agences de notation ont été mises en cause.


L’art de conjuguer des mesures de réduction du déficit et de relance a déjà fait l’objet de beaux assauts de rhétorique, notamment de la part de la directrice générale du FMI, qui n’ont jamais dépassé le stade des généralités. Mario Monti, le président du conseil italien, préconise que la lutte contre le déficit s’inscrive « dans une approche durable de long terme » et tente de donner corps à cette politique. Mais, sous la pression globale des marchés, dans un contexte marqué par l’échec de toutes les tentatives de créer un pare-feu financier au niveau européen, sa tentative actuelle a toutes les chances de tourner court et qu’il soit exigé de demander aux Italiens « plus de sacrifices », ce qu’il affirme vouloir éviter. L’Italie est déjà entrée en récession.


Ce n’est pas du prochain sommet européen, qui devrait se tenir début février prochain, que l’on pourra en tout cas attendre des éclaircissements. Il aura en priorité à son ordre du jour un gros morceau : le projet de traité intergouvernemental portant sur « l’union de stabilité budgétaire », dont la signature est espérée pour la fin mars. Herman van Rompuy a toutefois précisé que « dans un second temps, seront discutés les points qui n’ont pu être abordés lors du dernier sommet européen concernant l’économie, la compétitivité et l’emploi ». « En période de stagnation, de récession, il est important d’aborder ces questions » a-t-il commenté, tout en se gardant bien d’employer le terme de croissance ; celui de compétitivité étant un terme codé, qui renvoie à réforme structurelle du marché du travail. Voilà qui donne une idée de l’angle sous lequel la croissance pourrait être recherchée.


L’agence Fitch, toute aussi négative à propos de la situation actuelle, s’est exprimée sous un autre angle, en réclamant « un engagement plus actif et explicite de la BCE ». Cela a été l’occasion pour Jürgen Stark, économiste en chef démissionnaire de cette dernière, de prononcer un morceau de bravoure sur le thème « n’en demandez pas trop à la banque centrale ! », en rappelant comme si c’était un point de doctrine le mandat actuel de la BCE à propos de la stabilité des prix. Poursuivant à propos de la Grèce pour considérer qu’elle « se tire d’affaire trop facilement », car « il n’est pas acceptable de rejeter la faute sur les autres quand on a soi-même pas accompli ses devoirs ». C’est dire le niveau pénétrant d’analyse atteint par ce brillant économiste lorsqu’il s’érige en conscience morale !


On a beaucoup parlé de l’école de Chicago, de Milton Friedman et de Friedrich Hayek, et des ravages que l’application de leurs conceptions ont produit. Les économistes regroupés au sein de la place forte de la Bundesbank, et le courant de pensée qu’ils représentent, personnifié aujourd’hui par son président Jens Weidmann et hier par Alex Weber, marquent à leur tour l’époque de leur sceau. Ces doctrinaires rigides imposent leur vision en Europe et on retiendra d’eux aussi ce qu’ils auront détruit.


N’avalisant pas la politique suivie, réclamant maintenant une stratégie de retour à la croissance, les marchés semblent faire preuve d’un réalisme dont les tenants de l’école de la Bundesbank ne disposent pas, pas plus que les dirigeants européens qui ne s’en démarquent pas. Ces derniers sont pris à contre-pied !


Billet rédigé par François Leclerc

 

 



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