Une grande quantité de monnaie est crée par les banques centrales, on le sait. La Fed, la BCE, la BoJ et la BoE monétisent des quantités importantes de dettes publiques et privées, en ce qui concerne la Fed cela représente 85 milliards de dollars par mois, tout de même. Pourtant on ne constate pas pour l’instant de dérapage des prix, même si l’on peut noter une réelle appréciation des prix alimentaires et énergétiques, plus ou moins masqués par les statistiques officielles. Mais, c’est clair, pas de forte inflation.
L’économiste « autrichien » peut être désarçonné, lui qui sait que toute création monétaire excédentaire conduit à une hausse des prix. Certes, mais d’abord, cette hausse se retrouve en partie sur les matières premières (on parle d’inflation d’actif), puis ensuite dans le panier de la ménagère, d’où des prix, pour l’alimentaire et l’énergie, qui s’inscrivent sur une tendance à plus de 5% l’an.
Mais surtout il faut tenir compte d’un autre élément : la vitesse de circulation de la monnaie. L’économiste Irving Fisher (1867-1947) avait mis cela en évidence. Car si la quantité de monnaie dans une économie augmente mais qu’elle circule moins vite, les deux effets s’annulent, et il n’y a pas d’impact sur les prix. Or précisément, celle-ci diminue sans cesse depuis la crise de 2008.
Le ralentissement de la croissance, que l’on note depuis quelques trimestres aux Etats-Unis et en Europe, contribue à freiner encore la circulation de la monnaie. Les banques centrales font tourner la planche à billets mais l’argent ne circule pas : le crédit ne décolle pas car les perspectives économiques sont déprimées, on note seulement de la spéculation sur les matières premières, comme on l’a dit, et sur le marché boursier.
Faut-il pour autant se satisfaire que ces deux effets se compensent et n’entraînent pas de forte inflation ? Non car cet équilibre est fragile : la vitesse de circulation est en effet très sensible aux facteurs psychologiques.
Prenons l’exemple, le plus courant, d’un salarié. En général il touche sa paye tous les mois, et il fait ses courses toutes les semaines. Mais s’il se rend compte que les prix se mettent à augmenter au cours du mois, son réflexe naturel sera de faire la totalité de ses courses en une fois, dès que sa paye aura été virée sur son compte. Et si des millions de personnes font de même, on comprend que la vitesse de circulation de la monnaie explose. C'est à ce moment qu'un pays bascule dans l'hyperinflation, les gens se précipitent pour dépenser (se débarrasser) de leur argent, c’est la « fuite devant la monnaie », les étiquettes valsent, ceux qui détiennent des stocks attendent que les prix montent encore, les pénuries et le marché noir s'étendent. Résultat : l'économie sombre, le chômage explose et les épargnants sont ruinés. Un simple événement ou une peur irrationnelle peut déclencher le passage de l’inflation à l'explosion des prix, et une fois que c'est parti, c'est irrattrapable.
Qu’est-ce qui pourrait déclencher un tel mouvement ? Difficile à dire. Quand cela se produira-t-il ? Impossible à prévoir. Mais plus la masse de monnaie « dormante » augmente, plus le système monétaire devient sensible au moindre choc.