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Le 11 juillet
dernier, la ville de San Bernardino, située dans le sud de la
Californie, se déclarait officiellement en faillite. À peine
plus de deux semaines auparavant, Stockton, située au nord de
l’État, faisait de même. En 2008, c’était la
ville de Vallejo, elle aussi dans la banlieue de San Francisco, qui se
plaçait sous la protection du « Chapitre 9 », une
section de la législation américaine encadrant les faillites
conçue spécifiquement pour les municipalités.
Certes, le
phénomène n’est pas exactement nouveau. Des faillites
municipales avaient déjà eu lieu aux États-Unis, et cela
pour des raisons diverses. Pour certaines municipalités, ce sont les
aléas de l’activité économique locale qui étaient
en cause, comme Millport, en Alabama, qui dû
faire face en 2005 à un effondrement de ses recettes fiscales
après la fermeture d’une usine. Pour d’autres,
c’était au contraire une soudaine flambée des
dépenses, par exemple suite à la perte d’un
procès, comme ce fut le cas pour Desert Hot
Springs en Californie en 2001.
Il n’en
reste pas moins que le phénomène est particulièrement
important depuis 2008. Outre les cas californiens cités plus haut, il
atteint ainsi Gould, en Arkansas (2008), Prichard, en Alabama (2009), et
Central Falls, au Rhode
Island (2011). Un autre fait remarquable est que, dans tous ces cas,
c’est l’incapacité des villes à financer les
bénéfices sociaux de leurs employés qui les ont
conduites à la faillite.
Certes, la
crise financière a ralenti l’activité économique
et donc les recettes fiscales de ces municipalités. Pour certaines
d’entre elles, notamment en Californie, l’éclatement de la
bulle immobilière a également eu des conséquences
négatives sur la perception des taxes foncières. Une telle
explication n’en est pas moins une fausse excuse. Si ces villes
étaient capables d’équilibrer leurs budgets par le
passé, alors il n’y a aucune raison pour qu’elles ne le
puissent après la correction de la fausse embellie des années
2000. Aucun taux de chômage ne peut ainsi expliquer que Stockton connaisse
toujours, après avoir licencié un quart de ses forces de
police, le tiers de ses pompiers, et plus de 40% des employés de
l’administration municipale, un déficit de 30 millions de
dollars, pour un budget de 180 millions.
Non, aussi
graves qu’en furent les effets, la crise financière de 2008
n’aurait jamais conduit à de telles situations si les villes en
question n’avaient profité du boom précédent, notamment
immobilier, pour « investir » dans des projets qui
devaient s’avérer économiquement injustifiables, et
surtout pour accroître leurs effectifs, ainsi que les salaires et les
bénéfices sociaux de leurs employés.
Lorsque
Stockton mit en place des mesures d’austérité, les
syndicats d’employés municipaux me
manquèrent pas de s’écrier qu’à cause
de « Wall Street », de l’avidité
incontrôlée des plus riches et d’un capitalisme devenu
fou, les braves gens voyaient les services publics se délabrer
à mesure que les fonctionnaires généreux et
acharnés au travail perdaient leurs emplois.
Ce
qu’ils oubliaient de dire, c’est que lorsque l’immobilier
était florissant et que la ville rêvait d’attirer les
habitants de la Baie de San Francisco, elle s’est endettée démesurément
pour financer la construction d’une arène de hockey (70 millions
$), l’aménagement d’une promenade (130 millions $) et,
évidemment, la construction d’un nouvel hôtel de ville (35
millions $).
Bien entendu,
tout cela était censé être un investissement et permettre
le développement à long terme de la ville, avec des
retombées économiques et fiscales miraculeuses…
Étonnamment,
il semble toujours y avoir de bonnes raisons pour l’État de
s’endetter et pour les politiciens de dépenser : ou bien c’est
la crise, et alors il faut relancer l’activité ; ou bien
c’est la stagnation, et alors il faut la stimuler ; ou bien
c’est la croissance, et alors il faut en profiter…
De même,
au cours de ces années, Stockton a multiplié ses effectifs
municipaux, ainsi que leurs salaires et bénéfices sociaux. Pour
donner une idée, le pompier moyen y coûte 160 000 $ par an et a
la possibilité de prendre à 50 ans une retraite lui rapportant
90% du revenu d’activité le plus haut de sa carrière. À
cela s’ajoute une couverture totale de ses frais médicaux.
Un article
récent apprenait également que 3 des 4 derniers chefs de
police de la ville ont pris leur retraite à moins de 55 ans,
après moins de 3 années à ce poste, et avec une pension
annuelle de plus de 200 000$ !
C’est
d’ailleurs l’une des particularités du Chapitre 9 réservé
aux municipalités que de leur permettre, outre la restructuration de
leurs dettes auprès de leurs créanciers, la
renégociation de leurs contrats avec leurs employés. Et telle
est bien la raison pour laquelle de plus en plus de villes en cherchent la
protection depuis 2008.
Une telle
explication de la vague de faillites touchant les municipalités
américaines n’est
pourtant encore qu’un début. La source du problème
identifiée, il faudrait voir si celle-ci n’est pas
elle-même un simple symptôme d’un mal plus profond.
Il existe, par
exemple, quelque chose de fondamentalement malsain dans le fait que des
syndicats négocient avec les politiciens les contrats des travailleurs
municipaux – en
échange, on l’imagine, de soutiens de tous types lors des
élections, à commencer par les voix de leurs membres.
Cette question
fait depuis quelques temps l’actualité aux États-Unis,
plusieurs gouverneurs républicains ayan
entrepris de revenir sur le droit des employés du secteur public
à la négociation collective. De même, le cas de Stockton,
comme des autres villes concernées, semble pointer vers une remise en
question de choses aussi admises que le droit de l’autorité
publique à s’endetter, ou encore à planifier
l’activité économique et le développement du
territoire.
Plus
généralement, enfin, il semble raisonnable de se demander si
ces municipalités ne sont pas le microcosme d’une
expérience globale prochaine : la faillite de
l’État.
Partant du
principe démocratique d’après lequel le pouvoir
s’acquiert en achetant les voix de différents groupes par des
promesses d’actions publiques en leur faveur, et passant par la logique
du surendettement, seul moyen pour les politiciens de s’engager dans
cette surenchère, on voit mal comment la faillite de
l’État moderne pourrait ne pas être un processus normal et
inévitable.
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