« Un moment
fondateur » dans la construction de la zone euro, c’est
ainsi que Christine Lagarde, ministre française de
l’économie et des finances, a qualifié la réunion
de ce jour des chefs d’Etat et de gouvernement des 17. Une
manière comme une autre de présenter l’état des
discussions en cours et l’absence de tout accord. Puisque l’on
commence, on ne peut pas terminer, irréfutable !
Car ce qui a finalement
prévalu au cours de la préparation du sommet, c’est la
conception qu’il fallait être d’accord sur tout, sinon on
ne l’était sur rien, or on en est loin. C’est en tout cas
ce qui a résulté de la posture prise par la chancelière
Angela Merkel, qu’elle a elle-même
résumé en expliquant que tout était de l’ordre du
donnant-donnant dans ces négociations .
Mais le tableau serait
imparfaitement dressé, s’il n’était pas
également évoqué la deuxième mâchoire de la
tenaille qui est en train de se refermer, sous la forme des
dégradations de note des agences de notation qui viennent
opportunément d’intervenir. Vigiles des investisseurs, les
agences expriment les intérêts des marchés et ont
fait savoir à la veille du sommet que le temps était venu de
prendre des décisions.
Devenue
prisonnière de son groupe parlementaire, dont l’horizon se
limite à des échéances électorales
régionales incertaines, Angela Merkel a
précisé les contreparties qu’elle entend exiger dans le
cadre des négociations en cours. Aux Grecs, elle demande des cessions
d’actifs de l’Etat (privatisations), aux Irlandais une hausse de
l’impôt sur les sociétés, dans les deux cas afin de
desserrer les contraintes auquel leur sauvetage est assujetti. Mais elle va
nettement plus loin dans le verrouillage de la situation. Afin
d’accepter une hausse des engagements potentiels du fonds de stabilité
européen, elle demande fermement que les pays ne disposant pas de la
note AAA y contribuent en numéraires et non pas en garanties. Ce qui
signifie, par exemple, que l’Etat espagnol – qui a les
problèmes budgétaires que l’on sait – devrait
procéder à de nouvelles restrictions financières afin
d’être en mesure d’apporter sa contribution.
Tout est fait pour que la
peine soit lourde, dissuasive dans l’esprit de la chancelière,
afin que les récalcitrants soient dans l’obligation de rentrer
dans le rang et de réduire leur déficit public en allant sur le
marché.
Retoquée sur son pacte
de stabilité, dont la nouvelle version affadie a été
mise au point par Herman van Rompuy et
acceptée par elle du bout des lèvres comme « une
base de discussion », Angela Merkel
a déplacé le centre des négociations pour le mettre
là où elle bénéficie du meilleur rapport de
force. Sur le terrain où il y a urgence, celui de la
renégociation des termes du dispositif de soutien européen
– pour ceux qui en bénéficient – et son
aménagement, pour ceux qui pourraient les rejoindre. C’est tout
du moins ce qu’il ressort des fuites provenant d’une
réunion à huis-clos du comité des affaires
européennes du Bundestag, rapportées par le blog Eurointelligence.
Une autre fuite,
rapportée par le Financial Times Deutschland,
concerne le Portugal, soupçonné d’avoir dissimulé
un « gros trou » dans ses finances, qui n’est pas
identifiée et aurait été découvert par la BCE et
la Commission. On peut penser qu’il s’agit des dettes des
entreprises publiques. Chaque pays a sa manière de présenter sa
dette sous son meilleur jour, les Espagnols étant maintenant sous le
feu des projecteurs en raison de celles de leurs régions.
José Socrates, le premier ministre, a hier appelé les
dirigeants européens à « être à la
hauteur » en se mettant d’accord sur le dossier du fonds de
stabilité, dans l’espoir qu’une détente de la
situation sur le marché obligataire en résultera, lui
permettant de ne pas demander à en bénéficier. Le retour
de flamme risque d’être brutal à la suite de cette
révélation qui rappelle l’épisode grec. Fernando Texeira dos Santos, le ministre portugais des finances a
immédiatement annoncé de nouvelles restrictions
budgétaires touchant la santé, les prestations sociales et les
entreprises publiques, afin d’être en meilleure posture pour
affronter les discussions de Bruxelles.
De son côté, le
premier ministre grec George Papandréou a demandé que
« des décisions fortes » soient prises, afin de
« calmer les marchés ». Car la situation devient
infernale pour tous les pays de la zone des tempêtes. Au chapitre des
bricolages inventés pour essayer de contenir la pression des marchés,
après l’utilisation de la formule des émissions syndiquées
(dont des banques assurent le placement), les Grecs viennent d’innover et
de prévoir une émission destinée à la diaspora.
Du côté des
agences, la fête bat par contre son plein. Après la
dégradation de la Grèce, puis de ses banques, sont intervenues
celle de l’Espagne et de certaines de ses régions, dont la
Catalogne. Une déclaration de Christine Lagarde à ce propos
justifie encore une fois de s’y arrêter. « Noter et
dégrader la note d’un pays comme la Grèce, c’est
franchement hors de propos quand on sait qu’ils sont sous
contrôle actuellement ». Elle a renchéri ainsi :
« Les agences de notation ne devraient pas intervenir et noter des
pays qui sont sous contrat avec la Commission européenne, le Fonds
monétaire international et la Banque centrale
européenne », demandant également que les mesures
d’encadrement des agences de notation soient
réétudiées afin d’aller plus loin que les mesures
déjà décidées par la Commission en 2010.
Olli Rehn,
commissaire en charge des affaires économiques, et Michel Barnier,
commissaire des services financiers, ont pour leur part réagi en
annonçant de nouvelles mesures « avant la fin de
l’été », avec ce commentaire dans leur
déclaration commune : « Il est clair que des objectifs
des réformes seront de mettre de la diversité dans ce secteur
très concentré, de réduire la trop grande confiance
accordée aux notes, d’améliorer la notation de la dette
souveraine, de régler les conflits
d’intérêt. »
En d’autres termes, les
dirigeants européens ne sont pas content de
ces pressions abusives des agences, qui contribuent à restreindre
leurs marges de manœuvre au sein du lent processus
d’élaboration de leurs compromis politiques. N’acceptant
que les signaux des marchés qui leur conviennent et pas ceux qui les
bousculent. Mais quelle faiblesse dans leur réaction ! Christine
Lagarde aurait en effet pu croiser le fer plus efficacement en faisant
remarquer que ce qui était vrai pour la notation des agences –
quel risque présentent les pays sous le parapluie européen ?
– l’était tout autant pour les taux exorbitants
exigés sur le marché obligataire, qui n’ont pas
davantage de justification financière intrinsèque…
Si les dirigeants sont pris en
tenaille, que dire des salariés, des chômeurs et des
retraités ? Depuis Bruxelles, la Confédération
européenne des syndicats (CES), vient de publier une
déclaration selon laquelle elle considère
« profondément injuste que les travailleurs paient pour les
folies des marchés financiers », expliquant que c’est
« tout le concept de l’Europe sociale qui est
menacé » par le projet de pacte de
compétitivité.
Après avoir mis tant de
temps à prendre en compte la situation des travailleurs
émigrés, qu’ils préféraient à
l’époque ignorer, les syndicats seraient fondés à
s’intéresser non seulement au sort des
« travailleurs », syndiqués ou non, mais
également à tous ceux qui trouvent dans les petits boulots au
noir les moyens de leur survie. A mesurer l’ampleur de ce que
l’on appelle l’économie informelle, un
phénomène que l’on croyait réservé aux pays
émergents et dont on commence à comprendre qu’il
se propage et se développe dans les pays les plus atteints par la
crise : en Grèce, en Espagne, au Portugal, ainsi que
traditionnellement en Italie… comme dans les quartiers
déshérités des grandes villes des pays du Nord de
l’Europe !
Faute de se mettre
d’accord, les dirigeants européens vont une fois de plus
afficher des principes généraux. Repoussant au sommet de
l’Union européenne des 24 et 25 mars l’annonce d’un
nouveau dispositif. Enfermés dans leurs contradictions, ils continuent
de créer de nouveaux problèmes en prétendant
résoudre les précédents qu’ils ont eux-mêmes
crées. Quand les mâchoires se referment, la corde se tend…
Billet
rédigé par François Leclerc
Paul Jorion
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