Qui
n’a jamais entendu quelqu’un réclamer la nationalisation
des banques ? À en croire ses thuriféraires, cette
idée est la seule réponse rationnelle aux
« excès du capitalisme débridé ».
Sous l’égide bienveillante – mais vigilante – des
représentants de la Nation, les banques nationalisées investiraient
prudemment l’argent que les citoyens leur auraient confié.
L’expérience a été tentée en Belgique. Avec
des résultats … comment dire … plutôt
mitigés.
Connaissez-vous
la « Caisse d’investissement wallonne »
(CIW) ? Non ? Pour vous la présenter, permettez-moi de
céder la parole à Jean-Claude Marcourt,
ministre de l’économie de la Région Wallonne, qui le fait
admirablement sur
son blog.
Face à la crise
financière et du capitalisme débridé que nous vivons
aujourd’hui, le Gouvernement wallon a pris ses responsabilités
pour garantir non seulement aux entreprises qu’elles pourraient
bénéficier des financements dont elles ont besoin dans le cadre
de leur développement, mais aussi aux citoyens qu’ils pourraient
mobiliser de manière garantie leur épargne pour soutenir le
développement de leur région.
[…]
Les principes de base de
la Caisse d’investissement sont :
·
participation citoyenne large ;
·
avantage fiscal pour les particuliers
investissant dans le fonds, garanti par la Région du capital investi ;
·
rémunération du capital
investi conformément au marché ;
·
utilisation des fonds collectés
dans un développement durable de la Région.
Relisons bien
cette dernière phrase : « utilisation des fonds collectés dans un développement
durable de la Région ». Et découvrons sans plus
tarder le titre d’un article
paru dans le journal Le Soir le 30
mars dernier : « La crise grecque fait perdre 4 millions
à la banque wallonne ». En quoi une Caisse
d’Investissement dédiée au développement de la
Wallonie peut-elle être affectée par une crise touchant les
obligations émises par l’État grec ? Les
premières lignes de l’article nous éclairent :
« En 2009, la Caisse
d'investissement de Wallonie a placé une part non négligeable
de son capital dans des emprunts d'État grecs. »
Placements à la carte
Pour
résumer l’affaire, la CIW nouvellement créée, et
dotée d’un capital de départ de 20 millions
d’euros, lance à grands fracas un emprunt obligataire qui lui
permet de récolter plus de 80 millions d’euros. Dans
l’attente de projets à financer, et d’un aval des
autorités européennes qui craignent d’avoir affaire
à une distribution déguisée d’aides
d’État, elle place immédiatement sa trésorerie.
Selon quelles règles ? La lecture du décret
portant création de
l’organisme nous l’apprend. L’alinéa 3 de
l’article 2 stipule en effet, entre autres (caractères gras
ajoutés par mes soins) : « […]La "C.I.W." peut,
notamment, en vue de favoriser la réalisation de son objet social :
[…]6°) procéder
à l'acquisition de tout effet mobilier dans le cadre de la gestion
de sa trésorerie. »
En clair, le
décret octroie donc un blanc-seing complet aux gestionnaires de la CIW
quant à la manière dont ils investiront la trésorerie de
l’institution. Ces derniers décident donc de placer
l’équivalent d’un quart de son capital social dans des
obligations de l’État grec à une époque où
le terme « PIGS »
existait déjà depuis belle lurette pour désigner les
économies chancelantes du Portugal, de l’Italie, de la
Grèce et de l’Espagne.
76 millions d’obligations
européennes
Nonobstant la
mauvaise réputation du pays, donc, la Caisse investit,
d’après le magazine financier l’Echo, près de 5
millions d’euros en obligations grecques. Le montant a de quoi
faire tiquer : il représente un quart du capital social de la
CIW, et 5% de ses moyens d’actions (le capital de 20 millions et les 80
millions récoltés grâce à l’emprunt
obligataire). En fait, 76 millions d’euros, soit trois quarts des
moyens de la CIW, ont été investis fin 2009 dans des emprunts
émis par les États de la zone euro. Des placements qui, soit
dit en passant, et bien que ne correspondant pas à la philosophie
d’investissement de la CIW, sont repris dans les comptes annuels
de l’entreprise à la rubrique « immobilisations
financières » alors que la logique comptable voudrait
qu’il ne s’agisse que de simple placements de trésorerie.
Les seuls investissements autorisés devraient en effet être
consacrés au financement d’entreprises wallonnes.
11 prêts seulement !
D’ailleurs,
en parlant de ces « investissements dans l’économie
wallonne », l’Echo
relève que les investissements conformes à l’objet social
atteignent aujourd’hui 14,78 millions d’euros : 11
prêts accordés à 10 sociétés, dont trois du
même groupe. En matière de diversification, on a
déjà vu mieux. Tout comme en matière de soutien à
l’économie régionale, d’ailleurs. En attendant,
suite à la restructuration de la dette grecque, l’institution
doit aujourd’hui acter une perte exceptionnelle de 3,8 millions
d’euros sur ce placement malheureux.
Abonnée aux pertes
Cette perte,
nous apprend le journal financier, vient s’ajouter au
1,1 millions d’euros déjà perdus par ailleurs. Soit une
perte totale, pour l’exercice 2011, de 4,9 millions d’euros. Une
malheureuse exception ? Pas du tout ! Un coup d’œil au rapport annuel
2010 de la CIW nous apprend que, depuis sa création,
l’entreprise enregistre des pertes : 1,355 millions d’euros
en 2009 et 1,264 millions d’euros en 2010.
Appelons un
chat un chat : depuis son lancement, cette entreprise, au capital social
de 20 millions, a donc subi une perte cumulée de 7,5 millions
d’euros, soit près de 40% de son capital de départ !
À ce rythme-là, lui restera-t-il encore quelque chose pour
payer les 4,6% d’intérêts annuels sur son emprunt, soit
près de 4 millions d’euros ? Aura-t-elle les moyens de
rembourser les obligataires en 2019 ?
Nationaliser
les banques ? Vraiment ?
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