Un bien en propriété échangé, i.e. une marchandise, en quoi s'exprime les
prix des autres marchandises est un numéraire ou une monnaie (cf. Vilfredo
Pareto, 1896-97, §269).
Par prix d'une marchandise, il faut entendre tout taux d'échange de deux
biens en propriété convenu par deux personnes et cela depuis au moins Stanley
Jevons - cité par Pareto -.
1. Echange et monnaie.
Si les échanges économiques sont absolument libres, i.e. si l'ophélimité
élémentaire - utilité marginale - pondérée de la marchandise numéraire ou
monnaie est égale à la valeur commune des autres ophélimités élémentaires
pondérées ..., Pareto expliquait que la monnaie était vraie.
Toute monnaie qui n'est pas vraie est soit fiduciaire, soit une fausse
monnaie.
Pareto reconnaissait à cet égard que l'idéal de la circulation, i.e. de
l'échange économique, serait une circulation de monnaie fiduciaire en papier
représentant une somme égale d'or (ibid., §292), en d'autres termes,
une circulation d'or, moins les inconvénients qui résultent de la circulation
matérielle de la monnaie ("inconvénients": autre façon de parler du
coût de l'échange, cf. ci-dessous).
Il considérait aussi qu'il n'était pas nécessaire que ce fût le public qui
gardât la masse d'or, qui constituât le stock monétaire (ibid. §305)
Selon lui, elle peut être déposée dans des caisses spéciales, et c'est même
un progrès car ainsi les fonctions se spécialisent (cf. §518).
La monnaie circulante ne présente pas d'ailleurs de caractères spéciaux, si
ce n'est celui qu'elle partage d'ailleurs avec quelques autres capitaux, que
les transformations en sont extrêmement faciles.
En peu de temps, et à très peu de frais, on transforme la marchandise or en
monnaie et vice versa. (ibid. §296)
Il faut ajouter que la monnaie est un capital extrêmement mobile, et qui
passe très facilement d'un pays à un autre, pourvu qu'elle y jouisse de
quelque sécurité.
Bref, la monnaie contribue à diminuer le coût de l'échange.
Soit dit en passant, il ne faut pas confondre la monnaie qu'emploie
l'entrepreneur, avec l'épargne qui lui sert à faire des avances aux
détenteurs des capitaux dont il achète les services (cf. ibid §426).
La somme de cette épargne s'exprime en numéraire, mais ce n'est pas une somme
de monnaie - on dira aujourd'hui qu'il s'agit de "finance" -.
Un entrepreneur qui construit un canal avancera, par exemple, en une année,
dix millions de salaires aux ouvriers, et cela en n'employant qu'un million
de capital monnaie circulante.
La monnaie "pas vraie" cache des échanges économiques qui ne sont
pas libres.
D'une façon générale, la monnaie est à la "vérité" ce qu'est
l'échange économique à la "liberté".
Pour sa part, toute réglementation de la monnaie, vraie ou "pas
vraie", est synonyme de la monnaie "pas vraie" et cache des
échanges qui ne sont pas libres.
Pour cette raison, la diminution du coût de l'échange par la monnaie
"pas vraie" est nécessairement inférieure à celle de la monnaie
vraie.
2. Equilibre mathématique.
Reste que, comme l'expliquait Pareto, la monnaie "pas vraie"
n'exclut pas l'équilibre de l'économie de marché, i.e. l'équilibre des prix
et des quantités échangés. Elle n'est pas un obstacle mais y contribue
à sa façon.
Seulement, dans le cas de la fausse monnaie, on a une inconnue ...
mathématique de plus, le prix d'un vrai numéraire dans la fausse monnaie (ibid.
§287).
Et l'inconnue de plus recouvre une infinité de positions d'équilibre stable,
ces positions différant nominalement (ibid. §289)
Quelle est la solution à l'inconnue mathématique ?
La solution donnée par Pareto et par beaucoup d'autres - en commençant par
J.M. Keynes et jusqu'à aujourd'hui inclus avec les "quantitative
easing" -, consiste à fixer la quantité de fausse monnaie en circulation
(ibid. §287).
Soit dit en passant, parmi les prix qui augmentent quand on augmente la
quantité de fausse monnaie, il y a le prix de l'or.
Ce prix est généralement indiqué par ce qu'on appelle la prime de l'or, ou
bien par ce qu'on appelle l'agio, ou par le change.
C'est-à-dire qu'au lieu d'indiquer le prix du kilogramme d'or en fausse
monnaie, on indique ce que coûtent certaines monnaies d'or étrangères, ou
nationales (cf. §298)
On serait peut-être tenté de croire qu'il y a un avantage permanent pour tout
le pays dans l'émission de fausses monnaies car il est vrai que l'équilibre
finit par être le même avec la fausse qu'avec la vraie monnaie, mais on
épargne la somme d'or qui auparavant servait de vraie monnaie.
Il y a ici une erreur, qui tient à ce que l'on ne distingue pas suffisamment
la fausse monnaie de la monnaie fiduciaire.
C'est pour empêcher que celle-ci ne devienne de la fausse monnaie, qu'une
somme d'or est nécessaire.
On achète avec les services de cette somme d'or le résultat d'éviter les
pertes que nous venons de noter.
On ne fait donc aucun gain en épargnant les services nécessaires de l'or car
on a alors des pertes qui sont pour le moins équivalentes à cette épargne.
Bien entendu il est toujours utile d'économiser toute somme d'or qui n'est
pas strictement nécessaire pour empêcher la monnaie fiduciaire de devenir de
la fausse monnaie.
Mais ce qui est absolument indispensable, c'est que cette masse d'or soit
toujours à la disposition du public, que nulle entrave ne soit mise à ses
fluctuations. Les empêcher, c'est proprement empêcher le volant d'une machine
à vapeur de tourner...
La masse d'or qui sert de régulateur ne rend des services que parce qu'elle
augmente et diminue incessamment.
Ce sont ces mouvements qui rétablissent l'équilibre économique quand il est
troublé (cf. §§310-311).
Si on les arrête artificiellement, autant vaut s'épargner la dépense de la
masse d'or, que l'on rend inutile.
En conclusion, si l'on change la quantité de fausse monnaie sur un marché
fermé, on finit bien par revenir, au bout d'un certain temps, à une position
d'équilibre à peu près égale en réalité, à celle dont on est parti, mais en
outre les créanciers ou les débiteurs ont été spoliés, et une certaine
quantité de richesse a été détruite (ibid., §309).
3. Postérité de la démarche.
Ce modèle mathématique d'équilibre économique de Pareto, plus ou moins introduit
par son prédécesseur, Léon Walras, et imputé à l'économie politique sera mis
au point dans la décennie 1930 (modèle de A. Wald, cf. ce
texte) à un moment où deux nouveaux "du même tabac" allaient
connaître de grands succès et où les gouvernements allaient se moquer de ce
qu'avait expliqué Pareto sur la fausse monnaie.
L'un a été développé dans la décennie 1930 et deviendra la théorie
macroéconomique, l'autre dans la décennie 1950 avec, comme premiers meneurs,
K. Arrow et G. Debreu (cf. par exemple ce
texte).
Le premier est source de mathématiques élémentaires, simples, que leurs
auteurs n'hésitaient pas à travestir (cf. par exemple ce
texte).
Le second se flatte de se plier à une nouvelle mathématique, celle dite
"de Bourbaki".
Dans un cas comme dans l'autre, l'économie politique est donc réduite à une
mathématique de l'équilibre économique.
Dans le premier cas, elle ignore les apports de Pareto, dans le second, elle
se fait fort de ne pas en exclure certains - efficacité paretienne - et même
de les prolonger.
Pour leur part, les gouvernements ont fait silence sur la décision de
l'interdiction de la convertibilité en or de leur monnaie nationale dont ils
sont convenus et on n'en est jamais sorti jusqu'à aujourd'hui inclus.
L'interdiction de la convertibilité intérieure des monnaies nationales
occidentales en or est récente à l'échelle de l'histoire : c'est la décennie
1930 et elle s'est faite sans base doctrinale.
Si les décisions des gouvernements de rendre inconvertible leur monnaie
étatique nationale ont pu être prises sans sentiment de destruction, c'est
qu'apparemment l'inconvertibilité ne détruisait pas le fond de la monnaie, à
savoir la réduction du coût de l'échange.
L'interdiction de la convertibilité extérieure des mêmes en or est encore
plus récente, c'est 1971-73 et elle s'est faite sans base doctrinale digne de
ce nom.
Soit dit en passant, toutes ces interdictions sont tout bonnement en
opposition totale avec les résultats de la conférence de Gènes
(1922).
Ceux-ci faisaient en sorte que les pays dont la monnaie était convertible en
or à taux fixe, à la demande, pourraient voir détenue à l'étranger une
quantité de monnaie.
Mais ce choix n'avait pas de base doctrinale.
Près d'une dizaine d'années plus tard, selon Jacques Rueff, le Comité
MacMillan lui en donna une.
Reste que, de la même façon que précédemment, la nouvelle conférence
internationale, celle de Londres (1931-32) s'est trouvé avoir un sujet
dépourvu de base doctrinale...
Même démarche, même conférence, même conséquence, etc. et cela jusqu'à
aujourd'hui inclus.
Au moment présent où les gouvernements des pays de la zone €uro cherchent à
instaurer une "union
bancaire de la zone €uro", on peut cerner les points fondamentaux du
sujet.
Depuis 1999-2002, existe une banque centrale €uropéenne chargée par
l'intermédiaire des banques centrales nationales désormais sans monnaie
propre, de veiller aux banques de second rang nationales et de contrôler les
relations entre ces banques et leurs clients.
Au nombre des clients, il y a les Etats nationaux et leur abandon des
derniers "critères de Maastricht" (déficit du budget de l'Etat et
endettement de ce dernier).
S'agissant des banques, il y a un certain nombre de considérations comptables
à respecter, en augmentation impressionnante (normes dites "de Bâle").
Ces considérations cachent en particulier la couverture entre "les
monnaies" des clients chez elles et certains de leurs actifs.
Et, qu'on le veuille ou non, tout cela n'a pas de base doctrinale.
Est ignoré le principe du prix d'un vrai numéraire dans la fausse monnaie.
La couverture en question a d'ailleurs perdu de sa signification depuis
l'interdiction ou, si on préfère, la disparition ou suspension de la convertibilité,
intérieure ou extérieure.
Auparavant, le banquier était tenu de faire apparaître dans son compte de
bilan comptable la couverture de ses billets et dépôts en or ou en
"réserves internationales", eux-mêmes substituts de monnaies
étrangères convertibles en or ou en ... réserves internationales.
Convertibilité juridique en or des substituts des monnaies nationales et
couverture comptable en or ou en "réserves internationales" des
mêmes ne sont que des réglementations qui ne sauraient être considérées comme
irréversibles.
Aucune réglementation n'est irréversible à l'opposé des innovations
scientifiques ou techniques (cf. ce billet d'avril
2013).
Les innovations sont irréversibles parce que, par définition, leurs
informations ont économisé des ressources, des coûts à chacun.
Sauf à décider ou à voir dans une réglementation une nouvelle innovation, une
modernisation, pétition de principe et erreur, les réglementations ne sont
pas irréversibles.
Il faut être gouvernement pour faire valoir ou avoir confiance dans son
omniscience ou, à défaut, pour prétendre protéger les sujets contre leurs
errements ou contre eux mêmes.
4. Le coût de l'échange.
Les mathématiques admises de l'équilibre économique présentent un autre point
noir, celui du coût d'opportunité de l'acte d'échange.
En l'état actuel, la notion est rarement prise en considération (cf. par
exemple ce texte
tout récent).
Il y a ainsi, par exemple, une école de pensée économique qui prend pour
point de départ un équilibre économique sans monnaie et qui postule que,
comparé à lui, la monnaie est source de perturbations dans l'équilibre où
elle se trouve.
C'est l'école hollandaise dont un des maîtres est H.W. Holtrop (cf. par
exemple E.M.
Claassen, 1967).
Elle met l'accent sur un coût, les perturbations de la monnaie, sans se
soucier du coût d'opportunité de l'équilibre économique sans monnaie qu'elle
juge préférable.
Il y en a une autre qui prend pour point de départ ce qu'elle dénomme
"l'équilibre économique" - ces temps derniers, "la croissance
économique" - et qui en déduit des conséquences économiques.
Le coût de l'échange est effleuré sous le nom de "coût de
transaction" - à quoi Pareto faisait implicitement référence-.
Soit dit en passant, les deux écoles précédentes ne sont pas indépendantes
l'une de l'autre, mais elles le sont avec le suivant.
Il y en a en fait une que nous retenons et qui prend pour points de départ
les "actes d'échange économique de vous ou moi", la catallaxie,
et les difficultés ou obstacles rencontrés en relation avec les actes
d'échange, et qui cherche à les surmonter avec méthode.
Grande méthode obtenue jusqu'à présent, ce qu'on dénomme "monnaie"
(en sigle C.Q.D.M.).
Le coût d'opportunité de l'échange y est primordial.
Il explique l'existence de la monnaie: la découverte de celle-ci a permis de
diminuer le coût en question, i.e. le coût depuis le troc, et ce n'est pas
fini pour autant qu'il n'est pas nul.
Ce coût que chacun évalue à sa façon - il en est ainsi pour tout coût - est à
ne pas confondre avec le coût qui est donné à C.Q.D.M. et qui n'en est qu'un
élément sur quoi on a trop tendance à insister.
Son évolution favorable à attendre est aujourd'hui bloquée par l'interdiction
de la convertibilité juridique en or des substituts de monnaie bancaires et
par des couvertures comptables bancaires réglementées de plus en plus
insensées.