La dette souveraine à 100 ans trouve des acheteurs. C’est – avec
les taux négatifs – le signe de la dégénérescence du système financier.
Plusieurs pays ont récemment émis de la dette à 100 ans :
Argentine, Autriche, Irlande, Belgique…
Pourquoi pas, pourquoi se gêner ? Les taux d’intérêt n’ont jamais été
aussi bas depuis 5 000 ans. Par conséquent, c’est une bonne affaire
de s’endetter à 2% sur 100 ans.
Voici un graphique amusant qui remonte à la nuit des temps et donne l’évolution des taux d’intérêt depuis 5 000 ans.
Sous Hammourabi, environ 2 000 ans avant JC, les boeufs
servaient de monnaie*. Le taux d’usure était de 30% et le taux normal de 20%.
Comme disent les jeunes, « ça calme ».
Ceux qui nous suivent depuis longtemps savent que la consécration de l’or
et de l’argent en tant que monnaies fut un premier événement majeur de
l’histoire financière (environ 600 ans avant JC).
Le deuxième événement majeur se produisit quelque 2 500 ans plus
tard : le lien qui reliait l’or au dollar fut coupé en 1971 avec la fin
des accords de Bretton Woods.
Pour calmer le jeu de l’inflation qui en résulta, Volcker, le président de
la Fed de l’époque, dut presque revenir aux taux de Hammourabi. Puis tout
rentra dans l’ordre, plus ou moins, car les crises financières se succèdent à
un rythme de plus en plus rapide…
L’argent n’existe plus majoritairement que sous forme de crédit et donc de
dette. Il n’y a plus de limite matérielle à la création de crédit (et donc de
dette). La seule limite est intellectuelle – la foi dans ce système.
Aujourd’hui, après 10 années de taux presque nuls, tous les
investisseurs institutionnels, les zinzins et les investisseurs particuliers
savent que les marchés obligataires et d’actions sont surgonflés à des
niveaux jamais atteints.
Les « zinzins » achètent de la dette à 100 ans
Si ceux qui émettent de la dette à 100 ans ont leurs raisons et
suivent une logique, quelle est celle des acheteurs ?
Egon von Greyerz, un gérant de fonds suisse, a son idée :
« Les acheteurs sont des institutions qui gèrent l’argent des autres,
comme les gestionnaires de fonds de pension, qui seront enchantés d’obtenir
un rendement de 2% en comparaison aux rendements négatifs à court terme ou
juste au-dessus de zéro pour autre chose. Ces gestionnaires espèrent tous
être partis à temps avant que quelqu’un ne se rende compte des décisions
désastreuses qu’ils ont prises avec l’argent des retraités.
Mais le danger pour eux est que l’obligation devienne sans valeur bien
avant que les 100 ans ne soient écoulés. Cela pourrait arriver d’ici
cinq ans. […]
Ces gestionnaires ne seront pas blâmés pour leurs performances catastrophiques.
[…]. Ils sont protégés, malgré leurs mauvaises performances, étant donné
qu’ils ont fait ce que tous les autres gestionnaires font : appauvrir
les retraités.
Le fonds institutionnel moyen est géré en se basant sur la ‘médiocratie’ –
cela ne vaut jamais le coup de prendre un risque et de faire les choses
différemment que votre groupe de pairs. Car si vous faites la même chose que
vos pairs, vous serez récompensé, même si vous perdez presque tout
l’argent. »
Pour acheter de la dette à 100 ans, il faut à la fois être
incompétent et irresponsable. Incompétent pour ne pas prévoir le retournement
des taux et irresponsable car ces gens-là ne risquent pas leur propre argent.
Aucun bipède sain d’esprit n’irait mettre son épargne retraite dans une dette
à 100 ans et une monnaie fiduciaire dont personne ne sait si elle
survivra à la prochaine crise.
De rares grévistes refusent le système et en dénoncent les dangers
Tous les gérants ne sont pas incompétents et irresponsables, toutefois.
Certains ont démissionné, estimant que les politiques monétaires conduites
par les banques centrales les empêchaient de faire honnêtement leur métier.
Deux stars de la gestion obligataire, Bill Gross et Mohammed El Erian, du
fonds américain Pimco, ont démissionné respectivement en septembre et en
janvier 2014.
Une vérité troublante se dégage au fil de la lecture des articles d’Andrew
Balls, un spécialiste de la question, dans The Financial Times :
Mohammed El Erian souhaitait engager le fonds sur le marché des dérivés pour
retrouver un peu de rendement, puisqu’il était écrasé par la politique de
taux zéro de la Fed et par ses rachats obligataires. Bill Gross y était
opposé et Mohammed El Erian a démissionné.
Puis, réalisant que l’exercice de son métier (trouver du rendement et
assurer un revenu à ses assurés) était devenu impossible avec ces taux zéro
et que la normalisation n’était pas pour demain, Bill Gross aurait suivi.
Quelques autres gérants ont aussi eu le courage de démissionner par la
suite.
On se croirait dans La Grève, d’Ayn Rand. Ce roman décrit la démission
d’entrepreneurs clés face à la socialisation de l’économie, la montée de
l’irresponsabilité et de l’incompétence.
Un gérant honnête devrait aujourd’hui refuser votre argent
La plupart des fonds de pension (Perp, Madelin…) sont gérés par des
assureurs. Même en France, où le principe de la retraite dite par répartition
est imposé et obligatoire, la collecte de l’assurance-vie ne se dément
pas : les Français sont bien conscients des limites du système collectif
dit de répartition.
Un assureur n’est pas comme une banque. Il n’utilise aucun effet de
levier, aucun recours à la dette pour créer du rendement. Ses engagements
doivent être à 100% couverts par les dépôts. A défaut, il est techniquement
et légalement en faillite. Pour pouvoir servir les rentes qu’il doit, par
engagement, verser dans le futur, un assureur s’appuie sur un portefeuille
obligataire. Si ce portefeuille lui rapporte moins que le contrat qu’il a
signé avec son assuré, l’assureur est en danger.
A taux quasi-nul, l’épargne ne grossit plus et la plupart des fonds de
pension sont massivement sous-capitalisés. Selon
une étude du Forum économique mondial, l’écart entre l’épargne et le
revenu attendu de retraite pourrait dépasser les 400 000 Mds$ en
2050.
Savez-vous vraiment ce que fait votre gérant, dans quoi il investit
exactement ?
Il n’y a pas, il n’y a plus de solution collective loyale et honnête à la
gestion de votre épargne. Votre futur ne doit pas dépendre de produits
financiers tout faits, gérés par des incompétents.
« Le défi de l’épargne retraite est à un point critique et il faut
agir maintenant. […]
Il n’y a pas de remède magique pour résoudre la question du déficit des
retraites. Les particuliers doivent augmenter leur épargne individuelle et
leur culture financière, tandis que le secteur privé et les gouvernements
devraient fournir des programmes pour les aider. »
Jacques Goulet, président de Health & Wealth at Mercer, à l’origine du
rapport du Forum économique mondial.
Je ne sais pas à quoi pense Jacques Goulet lorsqu’il parle de programmes
d’aide des gouvernements. Je ne suis pas sûre que l’aide vienne de ce côté,
au contraire.
Car finalement, tout ceci n’est que la conséquence du créditisme qui n’est
rien d’autre que du « socialisme financier ».
·
Des monnaies sans aucun ancrage dans le réel ;
·
Contrôlées par les Etats ;
·
Au service des dettes publiques qui ne sont d’autre que
l’étatisation des économies ;
·
Diffusées par des banques vivant de rentes et privilèges
accordées par les Etats.
Votre première défense, comme nous le répétons sans relâche, est de
revenir partiellement, à titre privé, à la monnaie qui a fait ses preuves
depuis 2 500 ans (et que les banques centrales conservent
toujours) : l’or.
Votre deuxième défense consiste effectivement à augmenter votre culture
financière pour pouvoir investir profitablement.
La valeur ne se créée pas à partir de rien. Pour que les intérêts composés
vous enrichissent, il faut que le sous-jacent conserve sa valeur (et rien
n’est moins sûr avec les obligations actuelles). Pour dégager une réelle
plus-value dans l’immobilier, il faut améliorer vous-même votre bien et avoir
su choisir un emplacement judicieux. Pour bien choisir une action, il faut
comprendre la valeur ajoutée de l’entreprise, d’où viennent ses bénéfices…
La crédulité nourrit le créditisme. Refusez le « socialisme
financier » et cultivez votre propre indépendance financière.
* La loi de Hammourabi, Bulletins
et Mémoires de la Société d’anthropologie de Paris Année 1910 Volume 1 Numéro
1 pp. 500-511
Pour plus d’informations et de conseils de ce genre, c’est ici et c’est gratuit.
Article de Simone Wapler, via les Publications
Agora.
Simone Wapler est directrice éditoriale des publications Agora,
spécialisées dans les analyses et conseils financiers. Ingénieur de
formation, elle a quitté les laboratoires pour les marchés financiers et vécu
l’éclatement de la bulle internet. Grâce à son expertise, elle sert
aujourd’hui, non pas la cause des multinationales ou des banquiers, mais
celle des particuliers.
Elle a publié « Pourquoi la France va faire faillite » (2012), «
Comment l’État va faire main basse sur votre argent » (2013), « Pouvez-vous
faire confiance à votre banque ? » (2014) et “La fabrique de pauvres” (2015)
aux Éditions Ixelles.