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Peut-il encore
exister d’héroïsme dans nos démocraties modernes ?
Avec la fin des conflits armés en occident, la pacification du corps
social et l’avènement du consensus démocratique comme
mode de gouvernement, les héros semblent bien avoir disparu de nos
sociétés modernes. Les temps, autrefois dramatiques et
épiques, se sont apaisés. Et les êtres
d’exception, dont la volonté imprimait sa marque à
l’Histoire, ont cédé la place à « l’insoutenable
légèreté » d’êtres plus discrets,
plus anonymes, plus éphémères.
C’est
peut-être qu’à l’instar de notre civilisation,
l’héroïsme a changé, lui, aussi de nature.
S’il faut chercher des héros modernes, c’est
peut-être en des hommes tels que Steve Jobs qu’il faut porter le
regard. Force est de constater que le fondateur d’Apple, qui a démissionné
de son poste de PDG pour raisons de santé le 24 août 2011, a bel
et bien changé le monde dans lequel nous vivons.
L’élévation
de certains Hommes au rang de héros est un choix éminemment
politique. Pour certains, il s’agira de Che Guevara, pour d’autre
Ronald Reagan, ou encore Napoléon. Dans ses romans The Fountain’s
head ou Atlas
Shrugged, l’écrivaine
américaine Ayn Rand a longuement
détaillé le profil de ce que pourrait et devrait être le
héros moderne : un être
créatif qui lutte seul contre tous pour faire reconnaître son droit de
libre créateur. C’est un individualiste déterminé
à poursuivre sa vision artistique dans un monde collectiviste. Généralement, un héros randien
est caractérisé par un individualisme radical, une résolution
morale, une intelligence hors du commun, un contrôle de soi, une
retenue émotionnelle. Si l’on en croit Steve Wozniak,
co-fondateur d’Apple, Steve Jobs aurait été
profondément influencé par les écrits de la
romancière.
Très peu de dirigeants ont su imposer leur
marque sur le réel à la manière de Steve Jobs. Et encore
moins de dirigeants peuvent prétendre au rang de héros. Son
parcours personnel a déjà tout d’une épopée
héroïque : Sa naissance en 1955
d’un professeur de sciences politiques syrien et d’une
mère célibataire absente ; son adoption par un couple de
Californiens modestes ; le
lancement de la marque Macintosh ; son éviction de la
société en 1985, « trahi » par John Sculley qu’il avait lui-même recruté
chez Coca-Cola ; sa traversée du désert ; puis le
retour aux affaires avec la création de NeXT
Computer et le rachat de Pixar. Dix ans plus tard,
il reprend les rênes de Apple, au fond du
trou. Il saute ensuite de succès en succès avec l’IMac,
l’IPod, l’IPhone et récemment l’IPad,
luttant contre ses concurrents, puis contre un cancer à partir de
2004.
« Les gens qui sont assez fous pour
penser qu’ils peuvent changer le monde sont ceux qui le
font », aime-t-il à déclarer. Steve Jobs n’a
pas simplement fait d’Apple un succès commercial et la première capitalisation
du monde, avec un trésor de
guerre de 76 milliards de dollars. Il a porté, envers et contre tout,
une vision pour lui-même, pour son entreprise et pour la
société toute entière. Une vision fondée sur une
exigence quasi maniaque, l’irréprochabilité des produits,
la simplicité d’utilisation et un raffinement artistique
inédit. Il a également insufflé au sein de son
entreprise une culture du dépassement de soi et de
l’amélioration continue. En témoignent les 313 brevets
qu’il a déposés pour Apple. Ces dernières
années, la marque a systématiquement pris de cours ses
concurrents.
Et les révolutions technologiques que ses
produits ont insufflées sont telles, qu’ils ont
bouleversé nos modes de vie de façon irréversible. « L’Ipod n’a pas simplement changé la
façon d’écouter de la musique. Il a changé
l’industrie de la musique tout entière »,
déclarait-il en 2007. Et il avait raison. Il suffit de visionner à
nouveau l’un de ses grands one-man-shows, le lancement
de l’Iphone, pour s’en convaincre. Devant un parterre de journalistes et
d’invités, triés sur le volet, il affirmait en 2007 que « l’Iphone va réinventer le
téléphone. Il réunit un Ipod,
un téléphone, et un outil de communication internet »,
annonçait-il. Là encore, il avait raison.
Et si le succès est au rendez-vous,
c’est sans doute parce que les produits Apple améliore
significativement le quotidien des utilisateurs. Le créateur
d’Apple n’a pas simplement inventé des nouveaux produits,
il a inventé un nouveau style de vie. En entrant dans un Appel Store,
les clients ne veulent pas acheter un téléphone ou une
tablette, ils veulent acheter un Iphone ou un Ipad. Une nuance qui fait toute la différence.
« Think different »,
clamait une publicité Apple en 1997 comme une profession de foi du
modèle Steve Jobs.
L’Iphone, par exemple, n’a pas
changé radicalement les personnes, comme entendaient le faire les
révolutionnaires russes en 1917 ou cambodgiens en 1976. Il s’est
contenté de se mettre au service des gens et de faciliter leur vie. S’orienter,
faire un achat via son téléphone, jouer, trouver une adresse,
surfer n’importe où, lire la presse. Des petites choses qui ont
pourtant tout changé, tant dans notre façon de consommer, que
dans notre façon de nous informer, de communiquer. Des choses du
quotidien, simples, sur lesquelles repose la vie des individus.
Les dirigeants
d’entreprise n’ont pas toujours montré leur meilleur
visage ces dernières années. Des sociétés comme Goldman
Sachs, dirigée par Lloyd Blankfein, se sont
particulièrement illustrées par des comportements
irresponsables et une recherche du profit au détriment de celui des
autres. Mettre son talent et son imagination pour le bien de la
société tout entière, tels sont les qualités des
héros modernes. Dans le futur, il faut donc souhaiter plus de Steve
Jobs, et moins de Lloyd Blankfein.
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