Ci dessous,
la version intégrale de ma tribune publiée mardi par "Le
Figaro", avec quelques liens en plus.
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Vincent
Bénard, président de l'Institut Hayek de Bruxelles, auteur de
"Le Logement, crise
publique, remèdes privés" (Romillat), revient sur la
crise du subprime et se fait l'avocat de l'économie libre alors que
Freddie Mac et Fannie Mae, deux organismes de refinancement du crédit
hypothécaire, sont mis sous tutelle gouvernementale aux
États-Unis.
La cause est
entendue pour nombre d'observateurs : la crise financière des subprime
est la conséquence de la folie des marchés et montre les
limites d'une finance ultralibérale. Et de réclamer d'urgence
plus de régulation publique des institutions financières.
Le
libéralisme a une fois de plus bon dos, car il n'existe pas de
marché plus perverti par les interventions de l'État
fédéral que celui du crédit hypothécaire aux
États-Unis.
Les deux
institutions joliment surnommées Fannie Mae (FNMA) et Freddie Mac
(FHLMC) portent une lourde responsabilité dans les dérives
financières du système bancaire américain. La
première d'entre elles fut tout d'abord une agence gouvernementale,
créée en 1938 par l'Administration Roosevelt, pour
émettre des obligations à bas taux du fait de leur garantie
fédérale, lesquelles alimentaient de liquidités un
marché de prêts immobiliers à taux réduits
accessibles aux familles les moins aisées.
En 1968,
l'Administration Johnson, s'avisant que les engagements de Fannie Mae
garantis par l'État prenaient de l'ampleur et obéraient la
capacité d'emprunt d'un Trésor empêtré dans le
financement de la guerre du Vietnam, organisa sa privatisation, puis le
gouvernement Nixon créa en 1970 Freddie Mac, afin d'organiser un
semblant de concurrence sur ce marché du refinancement du
crédit hypothécaire.
Cette histoire a
donné à Fannie Mae et Freddie Mac un statut hybride de
Governement Sponsored Enterprise (GSE), privées, mais légalement
tenues de s'occuper exclusivement de refinancement de prêts immobiliers
sous contrôle de l'État fédéral, en contrepartie
d'avantages fiscaux. Pis même, bien qu'étant officiellement
privés, les deux établissements ont toujours été
considérés, du fait de leur tutelle publique et de leur
rôle social, comme bénéficiant d'une garantie implicite
du Trésor américain !
Bénéfices
privatisés, pertes collectivisées : Un tel cocktail risquait de
pousser les dirigeants des GSE à prendre des risques excessifs, si la
tutelle de l'État se montrait défaillante. C'est exactement ce
qui allait se passer dans les années 1990. Voilà qui rappelle
un célèbre scandale bancaire hexagonal…
La tutelle de ces
deux entreprises fut transférée au Département
américain du logement (HUD) en 1992, car celui-ci voulait agir sur les
prêts financés par les GSE pour satisfaire un objectif majeur de
tout politicien qui se respecte outre-Atlantique : l'augmentation du taux de
propriétaires de logement parmi les populations à faible
revenu, et notamment les minorités.
Aussi le HUD
a-t-il obligé Fannie Mae et Freddie Mac à augmenter tant le
volume que la proportion de crédits subprime (jusqu'à 56 %, en
2004) refinancés. Pire, un des patrons du HUD, craignant que
l'affichage des risques pris par les deux GSE pour se conformer à ces
règles conduise les marchés à leur retirer leur
confiance, résolut le problème en les exemptant en toute
légalité de dévoiler trop en détail leurs
expositions.
Aussi Fannie Mae
et Freddie Mac ont refinancé, à l'aide de produits obligataires
de plus en plus complexes, plus de 5 000 milliards de dollars de
crédits, soit 40 % des prêts immobiliers américains, dont
plus de la moitié de crédits subprime, alors qu'elles ne
disposaient pas de fonds propres permettant de s'engager sur de tels
montants. Résultat, les banques émettrices de ces
crédits ont pu ne pas se montrer trop regardantes sur les prêts
qu'elles consentaient, puisqu'il y avait deux refinanceurs à la bourse
grande ouverte derrière. La banque Countrywide, dont la politique de
prêts aux familles modestes est aujourd'hui vilipendée,
était encore il y a trois ans encensée par les dirigeants de
Fannie Mae, pour son audace en matière d'octroi de crédits
subprime.
Mais le
retournement de conjoncture économique a multiplié les
défaillances d'emprunteurs, les deux GSE sont donc menacées de
ne plus pouvoir servir les intérêts de leurs obligations, ce
qui, par contagion, pourrait affecter tous les investisseurs institutionnels.
Du coup, l'État organise dans l'urgence leur sauvetage, lequel devrait
coûter plusieurs centaines de milliards de dollars aux contribuables.
Une seconde
intervention publique a amplifié les excès bancaires dans
l'octroi de crédits à des familles insolvables. Dans les
années 1990, des études révélèrent que les
refus de prêts aux membres des communautés noires et hispaniques
étaient un peu plus nombreux que vis-à-vis des Blancs ou des
Asiatiques, quand bien même ces refus ne concernaient qu'une demande de
prêt sur quatre. Certains lobbies y virent non le reflet logique de la
moindre richesse de ces communautés, mais la preuve d'un
prétendu racisme du monde financier.
Une loi
antidiscriminatoire de 1977, le Community Reinvestment Act (CRA), fut donc
renforcée en 1995 pour rendre plus ardu le refus de crédit aux
minorités par les banques, sous peine de sanctions renforcées.
Celles-ci durent donc abandonner partiellement le rôle prudentiel
qu'elles jouent habituellement lorsqu'elles refusent un prêt à
une personne objectivement peu solvable. Pas si grave : Fannie Mae et Freddie
Mac étaient là pour refinancer ces prêts délicats
!
Aujourd'hui,
nombre d'experts estiment que sans le CRA, sans les GSE, l'accès
à la propriété des minorités se serait tout de
même développé, moins rapidement mais plus sainement. En
voulant accélérer artificiellement ce que l'économie
libre accomplissait à son rythme, c'est l'État, tantôt
régulateur, tantôt législateur, qui a poussé
à l'irresponsabilité les acteurs de la chaîne du
crédit, provoqué une crise financière grave, et
acculé à la faillite nombre de familles qu'il prétendait
aider.
© Le
Figaro,
9 Septembre 2008
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Un article plus complet,
dont cette tribune a été dérivée, a été publié
ici même le 18 août
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Sur Econ Browser, le
bilan chiffré de la débâcle (quelques chiffres : 70 Milliards
de fonds propres pour 4900 milliards d'engagements, dont 3300 "hors
bilan", et des actifs censés fournir le revenu permettant de
payer les engagements composés en partie de créances "subprime"...)
Vincent
Bénard
Objectif Liberte.fr
Egalement par Vincent Bénard
Vincent Bénard, ingénieur
et auteur, est Président de l’institut Hayek (Bruxelles, www.fahayek.org) et Senior Fellow de Turgot (Paris, www.turgot.org), deux thinks tanks francophones
dédiés à la diffusion de la pensée
libérale. Spécialiste d'aménagement du territoire, Il
est l'auteur d'une analyse iconoclaste des politiques du logement en France, "Logement,
crise publique, remèdes privés", ouvrage publié
fin 2007 et qui conserve toute son acuité (amazon), où il
montre que non seulement l'état déverse des milliards sur le
logement en pure perte, mais que de mauvais choix publics sont directement
à l'origine de la crise. Au pays de l'état tout puissant, il
ose proposer des remèdes fondés sur les mécanismes de
marché pour y remédier.
Il est l'auteur du blog "Objectif
Liberté" www.objectifliberte.fr
Publications :
"Logement: crise publique,
remèdes privés", dec 2007, Editions Romillat
Avec Pierre de la Coste : "Hyper-république,
bâtir l'administration en réseau autour du citoyen", 2003, La
doc française, avec Pierre de la Coste
Publié avec
l’aimable autorisation de Vincent Bénard – Tous droits
réservés par Vincent Bénard.
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