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L’Espagne
est un trop gros poisson, c’est ainsi qu’est
généralement appréhendée la suite des
événements, alors que le Portugal connaît une
grève générale massive et que le gouvernement irlandais
de Brian Cowen rend public son plan
d’austérité pour les 4 années à venir.
Fait
nouveau, jusque là réservée aux banques,
l’expression too big to fail (trop gros pour
faire défaut) est désormais utilisée pour un pays.
L’Espagne, quatrième économie européenne,
représente deux fois la taille additionnée de la Grèce,
l’Irlande et le Portugal. Ce qui suscite pour le moins quelques
inquiétudes, au vu des estimations du coût de son sauvetage qui
circulent déjà, car elles tournent autour de 500 milliards
d’euros. Celui de la Grèce a déjà représenté
110 milliards d’euros et celui de l’Irlande, pas encore
définitivement chiffré, oscille entre 80 et 90 milliards.
« Un abîme nous sépare de
l’Irlande » a déclaré à El Pais
José Manuel Campa, le secrétaire d’Etat à
l’économie, le genre d’intervention qui fait sortir les
calculettes à défaut de rassurer !
L’entrée
de l’Espagne dans la zone des tempêtes créerait non
seulement un choc considérable pour la zone euro, mais elle
assécherait les ressources potentielles du fonds de stabilité
financière, y compris avec l’apport du FMI, et impliquerait de
mettre au point en complément un autre montage. A la manière de
ce qui se fait déjà pour l’Irlande, le Royaume-Uni, la
Suède et le Danemark accordant des prêts bilatéraux.
L’Allemagne et la France seraient nécessairement alors mis à contribution.
Cette
perspective explique probablement l’énervement constaté
outre-Rhin, ainsi que les dernières déclarations de la
chancelière Angela Merkel, qui a
déclaré en faisant référence à la
situation irlandaise – qui est loin d’être
réglée – que la zone euro était « dans
une situation extrêmement sérieuse ». La veille,
Wolfgang Schäuble, son ministre des finances,
avait estimé que l’avenir de l’euro était
« en jeu ». En mettant ainsi les points sur les
« i », les responsables allemands ne se
préparent-ils pas à des décisions difficiles ?
Un
signal a en tout cas été donné aujourd’hui,
là où on ne l’attendait pas. Une émission
obligataire d’obligation souveraines à
10 ans, les Bund, n’a été que partiellement souscrite.
4,76 milliards d’euros ont été alloués sur un
volume prévu de 6 milliards. Ce qui exprime, disent les analystes,
l’extrême volatilité du marché, sans plus de
conséquence pour l’Etat allemand.
Les
nouvelles fortes tensions sur le marché obligataire dont font les frais
les Portugais, les Espagnols, ainsi que les Italiens, ne donnent pas un
signal encourageant aux dirigeants européens, même s’ils
continuent d’affecter de l’ignorer. Olli
Rehn, le commissaire aux affaires
économiques de la Commission, s’étant fait ces derniers
temps une spécialité des déclarations apaisantes,
appelant à ne pas céder à
« l’alarmisme ». Quant à l’euro, si
sa glissade vis-à-vis du dollar s’est interrompue
aujourd’hui, les analystes le mettent sur le compte des mauvaises
nouvelles enregistrées aux Etats-Unis.
Du
côté irlandais, que peut-il être retenu du plan
d’austérité qui a été
présenté ? Moins l’augmentation de la TVA et la
diminution du salaire minimum, la suppression de 25.000 emplois publics et la
baisse des dépenses sociales, ainsi que les différentes
augmentations d’impôts que la prévision de croissance sur
lequel le plan est bâti. Elle est prévue en moyenne à
2,75% de 2011 à 2014, alors qu’elle devrait être tout
juste positive cette année, si cela se
confirme. Au vu des réactions immédiates des marchés,
il se confirme que tout espoir de les voir se calmer doit être
abandonné, en dépit ou à cause de cette publication, son
équilibre final reposant sur des prévisions de croissance
difficilement crédibles.
Par
ailleurs, si l’expression nationalisation des pertes
n’avait pas encore trouvé sa parfaite illustration, celle des
banques qui devrait se poursuivre arrive à point nommé. Il est
prévu que la totalité du secteur bancaire sera
nationalisé, la descente aux enfers des valeurs boursières
ayant porté un dernier coup à la banque qui se portait le moins
mal, la Bank of Ireland, dont les actions ont perdu 90% de leur valeur.
Le
plan d’austérité portugais devrait être
adopté vendredi prochain, mais comment croire que son annonce pourrait
lui permettre d’éviter de vite se présenter au guichet de
l’aide européenne ? Pris entre la hausse qui se poursuit de
ses taux obligataires et une grève générale
portée par le pays, le gouvernement portugais n’a plus aucune
marge de manœuvre.
C’est
une situation qui ne lui est pas propre. La crise européenne entre
progressivement dans une nouvelle dimension, celle de la protestation
sociale. Non sans déstabiliser les gouvernements en place. Le Pasok
grec n’a du son relatif succès aux élections locales
qu’à une abstention massive de l’électorat, qui ne
veut pas du retour de la droite. Le Psoe espagnol
est en chute dans les sondages, mais les Espagnols ne souhaitent pas
d’avantage d’élections anticipées ramenant la
droite au pouvoir. Le gouvernement irlandais du Fianna
Fail est moribond, tandis que les socialistes portugais, minoritaires, se
maintiennent au pouvoir faute d’alternative. Faut-il poursuivre cette
liste en y ajoutant l’Italie, où le berlusconisme
continue sa longue glissade vers la fin ?
Ceux
qui continuent de préconiser comme seule stratégie de sortie de
la crise européenne la réduction très rapide des
déficits et de la dette publics sont un peu le dos au mur. Car, que
l’on considère l’Irlande, le Portugal ou l’Espagne,
force est de constater que leur principal point de faiblesse n’est pas
le montant de leur dette publique, mais bien celui de la dette privée.
C’est le renflouement des banques qui a ainsi mis dans le rouge
l’Etat irlandais, pour ne prendre que cet exemple.
Ajouter
un volant à cette stratégie en prévoyant de faire
participer les créanciers à des futures restructurations de
dette, après 2013, comme ne cesse d’en marteler la
nécessité Angela Merkel, est certes
une manière indirecte de reconnaître que le dispositif actuel,
qui ne le prévoit pas, ne fonctionne pas. Devant le Bundestag, la
chancelière n’a pas mâché ses mots.
« Ceux qui gagnent de l’argent avec les taux
élevés, avec les obligations souveraines doivent supporter
aussi les risques » a-t-elle dit, appelant ses partenaires
européens à « avoir le courage »
d’imposer « des limites au marché »,
concluant : « Il s’agit ici de la primauté de la
politique, des limites du marché ».
Des
détails commencent à filtrer sur les propositions allemandes.
Un mécanisme de « clauses d’action collective »
est proposé, qui permettrait d’imposer à l’ensemble
des créanciers ayant souscrit à une émission
donnée une décote de leurs obligations, ou un
rééchelonnement de la dette, une fois les propositions de
l’émetteur adoptées par une majorité
qualifiée. Mais tout ce dispositif ne pourrait intervenir qu’une
fois le Traité de Lisbonne modifié, mi-2013 est-il au mieux
prévu, et ne pourrait s’appliquer qu’aux obligations
émises après cette date.
La
conjonction de la poursuite de la crise obligataire avec l’émergence
de la protestation sociale et la déstabilisation des gouvernements
rend ce calendrier beaucoup trop lointain et ces mesures déjà
dépassées, alors qu’elles sont à peine en
discussion.
Va-t-on
voir resurgir les projets de FMI européen ou d’agence européenne
de la dette ? Tous ces mécanismes ont un double défaut :
s’ils permettent de gagner du temps, ils impliquent des abandons et des
partages de souveraineté ; s’ils permettent à priori
d’étaler les dettes, ils ne les réduisent pas. Ils
achoppent tous sur le même problème, celui de ne prendre en
considération que la dette publique et de laisser de côté
la dette privée. Sauf à totalement faire préalablement
prendre en charge cette dernière par la première.
Le
cas de l’Irlande est en train de démontrer l’inanité
d’une telle démarche, celui de l’Espagne imposera,
s’il se présente, de la remettre en cause d’une
manière ou d’une autre. La discussion a déjà
été publiquement lancée à propos des
restructurations des banques irlandaises et de la participation des
créanciers à celle-ci, sans attendre 2013.
Mais
il ne faut pas aller plus vite que la musique et rester à
l’écoute de la situation irlandaise, car tout n’y tient
qu’à un fil. Les tractations doivent aller bon train, afin de
gérer le calendrier de la finalisation du sauvetage en cours.
S’il reste incertain, et comment pourrait-il en être autrement ?
une incitation de plus sera donnée aux marchés pour
qu’ils manifestent leur impatience et la reportent sur le Portugal et
l’Espagne.
Biillet invité :
François Leclerc
Paul Jorion
pauljorion.com
(*) Un « article
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en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit
reproduit à sa suite. Paul Jorion est un
« journaliste presslib’ » qui vit
exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il
pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui
tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.
Paul Jorion,
sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix
dernières années dans le milieu bancaire américain en
tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié
récemment L’implosion. La finance contre l’économie
(Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ? (La
Découverte : 2007).
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