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Les
débats tournent à la plus grande confusion tandis que les
menaces se précisent depuis l’émission obligataire
espagnole désastreuse de jeudi dernier. Cherchant à
pénétrer les arcanes des marchés, les uns
réclament plus d’austérité, d’autres une
pause et plus de croissance, d’autres encore tout à la fois.
Aucun ne semble avoir la maîtrise des événements.
Pedro
Passos Coelho, le premier ministre portugais, vient
de changer de discours et de reconnaître dans une interview à
Die Welt « ne pas savoir » si son pays
pourra revenir sur le marché en 2013 comme prévu, invoquant si
cela se révélait impossible la nécessité de
prolonger les aides accordées, tout en réfutant la
nécessité d’un second plan de sauvetage afin de
sauver la face. On apprenait parallèlement que les banques portugaises
venaient d’atteindre un plus haut historique en ayant emprunté
à la BCE plus de 56 milliards d’euros, soumises à un
niveau de défaut sur leurs créances jamais atteint et totalement
coupées du marché interbancaire.
Sans
aller aussi loin que le premier ministre portugais, Cristóbal
Montoro, le ministre espagnol du budget, parle
quant à lui de « la situation extraordinairement difficile
» que connait l’Espagne et fait référence au
« haut niveau d’endettement accumulé par notre
économie », une vague formule lui permettant
d’éviter d’identifier cet endettement comme étant
celui du secteur immobilier vis-à-vis des banques. Cherchant à
produire une note plus apaisante, le ministre a tenu à préciser
que son budget de rigueur 2012 « ne porterait pas atteinte à
l’essence de la récupération économique »
(sic), tout en reconnaissant que « les coupes [budgétaires]
auront un impact négatif sur la consommation et l’investissement
». Mais, dans une manœuvre désespérée
destinée à calmer les marchés, Mariano Rajoy s’apprêterait à annoncer 10
milliards d’euros de nouvelles coupes dans les programmes de
santé et d’éducation.
En
défense de sa thèse, Jörg Rasmussen, membre allemand du
directoire de la BCE, n’a pas hésité à assurer de
sa profonde conviction que la Grèce connaitrait
rien de moins qu’une croissance positive en 2014, grâce à
« la mise en œuvre du programme d’assainissement des
finances ». Rejoignant celle de Lucas Papadémos,
le premier ministre du pays concerné, qui a été encore
plus optimiste en prévoyant son retour « d’ici à
moins de deux ans ». Que ne prédirait-on, en application de la
célèbre et éprouvée méthode Coué,
pour justifier sur le moment sa politique ?
Dans
le cas de Jörg Rasmussen, l’intention est d’obtenir que les
mesures exceptionnelles de la BCE soient bien « limitées dans le
temps » – lisez suspendues dès que possible –
afin que personne ne puisse penser que, « du fait que nous avons fourni
par deux fois une telle opération de refinancement [les prêts
massifs à trois ans], nous le referons pas une troisième fois
». N’hésitant pas à contredire publiquement son
président, Mario Draghi, qui
déclarait mercredi dernier que « toute discussion sur une
stratégie de sortie [des mesures exceptionnelles] est
prématurée à l’heure actuelle ». Cela y
ressemble pourtant fortement, en dépit de la mouche dont sont garnis
les fleurets. Le débat, pour ne pas dire l’assaut, est à tous
les niveaux.
Il
déborde également le cadre européen, à la lecture
de la lettre semestrielle de l’Institute of International Finance, qui
regroupe les mégabanques internationales.
« L’accent mis jusqu’ici sur
l’austérité budgétaire, bien que dans une certaine
mesure nécessaire pour les pays en difficulté afin de se
financer sur les marchés, est excessive quand elle est
généralisée », fait savoir ce dernier, car cela
« a déjà contribué à une forte contraction
de la demande intérieure de la zone euro dans son ensemble ».
L’institut plaide en conséquence pour « un rééquilibrage
budgétaire plus progressif et différencié entre pays
affaiblis… ». Enfin, il confirme qu’ « une expansion
importante des ressources du Mécanisme européen de
stabilité est nécessaire… », critiquant
implicitement les décisions a minima prises par les ministres des
finances européens.
Les
représentants des plus grandes banques prodiguent une leçon de
stratégie aux autorités européennes, appuyant sans les
nommer ceux d’entre eux qui préconisent l’assouplissement
du plan en cours d’application, l’adoption d’un plan
A’ pendant qu’il est encore temps.
Car
précisément le temps ne joue plus en faveur de ceux qui ne
tentent depuis le début que d’en gagner. L’Europe
n’a pas les moyens de faire face aux nouvelles convulsions qui
s’annoncent, résultat direct et sans appel d’une
stratégie aveuglement appliquée. Quand l’Espagne sera
à son tour résolument entrée dans la zone des
tempêtes, comment l’Italie pourra-t-elle à sa suite
résister ? Avec comme conséquence l’éclatement
chaotique de la zone euro ? « On ne joue plus ! » viennent
d’annoncer les mégabanques, sans
être certaines d’être entendues par des fondamentalistes
inconséquents et dépassés.
Parmi
ces idéologues d’un autre temps, Denis Kessler
tient sa place. Le PDG du réassureur Scor, préconise
l’adoption d’une « seconde règle d’or, selon
laquelle pour réduire le déficit [public], 70 % devraient
provenir de la baisse des dépenses et seulement 30 % de la hausse des
prélèvements », car des impôts
supplémentaires vont « asphyxier l’économie »
prédit l’ancien vice-président du MEDEF qui trouve son
inspiration dans les primaires républicaines américaines.
Si
cela devait en rester au verbe, le mal serait moindre. Mais c’est loin
d’être le cas. Cristóbal Montoro, ministre espagnol du budget, expliquait hier
lundi que les régions doivent « renoncer à
dépenser une grande part de ce qu’elles dépensent
aujourd’hui », annonçant vouloir « définir
avec les communautés autonomes quels services publics elles doivent
offrir en matière de santé, d’éducation et de
prestations sociales ». En Grèce, le budget de la santé a
été réduit de dix milliards d’euros depuis 2009,
passant sans transition de ce qui était le fruit d’une
incontestable gabegie financière à un bradage de la
santé publique, les soins devenant un privilège
réservé à ceux qui peuvent les payer, les structures
sanitaires étant totalement débordées et manquant de
moyens.
Sur
la lancée actuelle, la situation va-t-elle être longtemps
tenable, financièrement et socialement ? L’accalmie aura
été de courte durée.
Billet rédigé par
François Leclerc
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