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Cours Or & Argent

Un bateau toujours ivre

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Publié le 10 avril 2012
1008 mots - Temps de lecture : 2 - 4 minutes
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Rubrique : Editoriaux

 

 

 

 

Les débats tournent à la plus grande confusion tandis que les menaces se précisent depuis l’émission obligataire espagnole désastreuse de jeudi dernier. Cherchant à pénétrer les arcanes des marchés, les uns réclament plus d’austérité, d’autres une pause et plus de croissance, d’autres encore tout à la fois. Aucun ne semble avoir la maîtrise des événements.


Pedro Passos Coelho, le premier ministre portugais, vient de changer de discours et de reconnaître dans une interview à Die Welt « ne pas savoir » si son pays pourra revenir sur le marché en 2013 comme prévu, invoquant si cela se révélait impossible la nécessité de prolonger les aides accordées, tout en réfutant la nécessité d’un second plan de sauvetage afin de sauver la face. On apprenait parallèlement que les banques portugaises venaient d’atteindre un plus haut historique en ayant emprunté à la BCE plus de 56 milliards d’euros, soumises à un niveau de défaut sur leurs créances jamais atteint et totalement coupées du marché interbancaire.


Sans aller aussi loin que le premier ministre portugais, Cristóbal Montoro, le ministre espagnol du budget, parle quant à lui de « la situation extraordinairement difficile » que connait l’Espagne et fait référence au « haut niveau d’endettement accumulé par notre économie », une vague formule lui permettant d’éviter d’identifier cet endettement comme étant celui du secteur immobilier vis-à-vis des banques. Cherchant à produire une note plus apaisante, le ministre a tenu à préciser que son budget de rigueur 2012 « ne porterait pas atteinte à l’essence de la récupération économique » (sic), tout en reconnaissant que « les coupes [budgétaires] auront un impact négatif sur la consommation et l’investissement ». Mais, dans une manœuvre désespérée destinée à calmer les marchés, Mariano Rajoy s’apprêterait à annoncer 10 milliards d’euros de nouvelles coupes dans les programmes de santé et d’éducation.


En défense de sa thèse, Jörg Rasmussen, membre allemand du directoire de la BCE, n’a pas hésité à assurer de sa profonde conviction que la Grèce connaitrait rien de moins qu’une croissance positive en 2014, grâce à « la mise en œuvre du programme d’assainissement des finances ». Rejoignant celle de Lucas Papadémos, le premier ministre du pays concerné, qui a été encore plus optimiste en prévoyant son retour « d’ici à moins de deux ans ». Que ne prédirait-on, en application de la célèbre et éprouvée méthode Coué, pour justifier sur le moment sa politique ?


Dans le cas de Jörg Rasmussen, l’intention est d’obtenir que les mesures exceptionnelles de la BCE soient bien « limitées dans le temps » – lisez suspendues dès que possible – afin que personne ne puisse penser que, « du fait que nous avons fourni par deux fois une telle opération de refinancement [les prêts massifs à trois ans], nous le referons pas une troisième fois ». N’hésitant pas à contredire publiquement son président, Mario Draghi, qui déclarait mercredi dernier que « toute discussion sur une stratégie de sortie [des mesures exceptionnelles] est prématurée à l’heure actuelle ». Cela y ressemble pourtant fortement, en dépit de la mouche dont sont garnis les fleurets. Le débat, pour ne pas dire l’assaut, est à tous les niveaux.


Il déborde également le cadre européen, à la lecture de la lettre semestrielle de l’Institute of International Finance, qui regroupe les mégabanques internationales. « L’accent mis jusqu’ici sur l’austérité budgétaire, bien que dans une certaine mesure nécessaire pour les pays en difficulté afin de se financer sur les marchés, est excessive quand elle est généralisée », fait savoir ce dernier, car cela « a déjà contribué à une forte contraction de la demande intérieure de la zone euro dans son ensemble ». L’institut plaide en conséquence pour « un rééquilibrage budgétaire plus progressif et différencié entre pays affaiblis… ». Enfin, il confirme qu’ « une expansion importante des ressources du Mécanisme européen de stabilité est nécessaire… », critiquant implicitement les décisions a minima prises par les ministres des finances européens.


Les représentants des plus grandes banques prodiguent une leçon de stratégie aux autorités européennes, appuyant sans les nommer ceux d’entre eux qui préconisent l’assouplissement du plan en cours d’application, l’adoption d’un plan A’ pendant qu’il est encore temps.


Car précisément le temps ne joue plus en faveur de ceux qui ne tentent depuis le début que d’en gagner. L’Europe n’a pas les moyens de faire face aux nouvelles convulsions qui s’annoncent, résultat direct et sans appel d’une stratégie aveuglement appliquée. Quand l’Espagne sera à son tour résolument entrée dans la zone des tempêtes, comment l’Italie pourra-t-elle à sa suite résister ? Avec comme conséquence l’éclatement chaotique de la zone euro ? « On ne joue plus ! » viennent d’annoncer les mégabanques, sans être certaines d’être entendues par des fondamentalistes inconséquents et dépassés.


Parmi ces idéologues d’un autre temps, Denis Kessler tient sa place. Le PDG du réassureur Scor, préconise l’adoption d’une « seconde règle d’or, selon laquelle pour réduire le déficit [public], 70 % devraient provenir de la baisse des dépenses et seulement 30 % de la hausse des prélèvements », car des impôts supplémentaires vont « asphyxier l’économie » prédit l’ancien vice-président du MEDEF qui trouve son inspiration dans les primaires républicaines américaines.


Si cela devait en rester au verbe, le mal serait moindre. Mais c’est loin d’être le cas. Cristóbal Montoro, ministre espagnol du budget, expliquait hier lundi que les régions doivent « renoncer à dépenser une grande part de ce qu’elles dépensent aujourd’hui », annonçant vouloir « définir avec les communautés autonomes quels services publics elles doivent offrir en matière de santé, d’éducation et de prestations sociales ». En Grèce, le budget de la santé a été réduit de dix milliards d’euros depuis 2009, passant sans transition de ce qui était le fruit d’une incontestable gabegie financière à un bradage de la santé publique, les soins devenant un privilège réservé à ceux qui peuvent les payer, les structures sanitaires étant totalement débordées et manquant de moyens.


Sur la lancée actuelle, la situation va-t-elle être longtemps tenable, financièrement et socialement ? L’accalmie aura été de courte durée.


Billet rédigé par François Leclerc

 

 



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Paul Jorion, sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix dernières années dans le milieu bancaire américain en tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié récemment L’implosion. La finance contre l’économie (Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ? (La Découverte : 2007).
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