Avec
la tenue du G20 au Mexique en début de semaine, notre perspective va
se trouver modifiée, habitués que nous sommes à ne voir
la crise de la dette que faussement sous son seul angle européen. Les 18
et 19 juin, les grands de ce monde vont se réunir à Los Cabos, une station touristique de la Basse-Californie du
Sud, sous le double auspice de la dette et de la relance
mondiales.
Afin
de ne pas rester les bras croisés devant le désastre
qu’il a suscité, le gouvernement britannique vient
d’annoncer un plan de relance économique via le crédit
bancaire, alimenté par un programme de liquidités de la Banque
d’Angleterre. Des injections de l’ordre de 5 milliards de livres
mensuelles (6,1 milliards d’euros) sont prévues dans le cadre
d’un programme de 80 milliards. Mais la question est de savoir
s’il aura les mêmes effets aussi peu probants que les injections
massives de la BCE, ou bien la poursuite des prêts à taux nul
(de 0 à 0,1%) que la Banque du Japon continue inlassablement de
prodiguer sans plus de résultat, dont le programme de 700 milliards
d’euros d’acquisition de titres privés et
d’entreprises est toujours en vigueur.
Le
gouvernement britannique veut assortir les prêts bancaires à des
engagements précis de celles-ci, mais la cause n’est-elle pas
entendue ? les instruments de politique monétaire des banques
centrales permettent de gagner du temps, mais pas de régler les
questions en suspens.
Le
désendettement sans croissance est un exercice qui était
périlleux et se révèle impossible. Recette miracle au
dire de ceux pour qui la parole vaut action, la conjugaison harmonieuse des
deux est préconisée du FMI jusqu’au gouvernement
Allemand, avec des nuances. L’exercice est sans espoir. La menace de la
récession mondiale vient d’être agitée par
l’Institute of International Finance dans une lettre ouverte au
président du G20, Felipe Calderon, assortie
de la demande pressante de réagir. En défendant à Rome
la mise au point d’un plan de croissance européen, Mario Monti
et François Hollande ont lancé le concert qui vient de
débuter.
Au
chapitre de la dette, cela va et cela vient ! Les Européens
espèrent s’accorder afin de rallonger le calendrier
précipité sur lequel il
s’étaient prononcés sans réfléchir.
Mais sans modifier le redoutable mécanisme qu’ils ont
parallèlement mis en place, qui rend vain cet accommodement pour de
nombreux pays pris en tenaille entre des taux obligataires exorbitants et une
récession économique laminant leurs recettes et faisant plonger
leurs banques.
Aux
Etats-Unis, la question ne va pas tarder à se reposer, une fois
passé le cap de l’élection présidentielle de
novembre prochain, prenant à nouveau la forme d’un
déplafonnement de la dette publique, faute de se mettre d’accord
entre républicains et démocrates sur les recettes et
dépenses budgétaires à effectuer. Au Japon, le pays se
dirige petit à petit vers l’appel au marché international
pour se financer, avec la crainte de devoir consentir des taux plus
élevés que ceux dont il bénéficie sur son
marché financier intérieur (et auprès de sa banque
centrale, en direct ou via le système bancaire).
Devant
l’imminence de ces menaces, le retour de la croissance réglerait
bien des problèmes et éviterait de trancher dans bien des
domaines. Mais elle ne se commande pas, semble-t-il : un mystère de
plus sur lequel on ne s’appesantit pas trop ! Derrière la mise
en garde de l’Institute of International Finance, qui
n’hésite pas à comparer pour son importance historique le
prochain G20 à celui de Londres de 2009, il se fait jour une autre
préoccupation : celle d’un prochain gros coup de tabac
qui pourrait survenir.
Certes,
les banques peinent partout afin d’augmenter leurs fonds propres,
toujours lestées d’actifs qu’elles ont oublié de
déprécier et devant faire face à la diminution de leur
volume d’affaire ou à des réductions du
périmètre de leurs activités. Mais elles craignent
surtout de devoir faire face à de nouvelles restructurations de la
dette souveraine, car elles ont pris la mesure des obstacles que le
désendettement public rencontre et n’ignorent pas leurs propres
difficultés dans ce même domaine.
Déconnecter
dette publique et privée est tardivement devenu le maître-mot
des partisans de l’Union bancaire européenne, mais c’est
plus facile à dire qu’à réaliser, une fois que le
mal a été fait. Aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, les banques
centrales ont réglé un problème que la BCE
n’aborde qu’en biaisant, ceci explique cela. Si les banques ont
pu se délester auprès de l’Eurosystème
de la dette grecque, et même partiellement de l’espagnole, elles
doivent faire face à un redoutable problème : par quels actifs
solides peuvent-elles remplacer une dette souveraine anciennement à risque
zéro, dont le coût reste abordable et ne pénalise pas
davantage leur rendement, décourageant par là même les
investisseurs qu’elles cherchent à attirer pour se renforcer ?
Déjà que les autorités européennes agitent un
véritable chiffon rouge en menaçant les créanciers des
banques de devoir participer à leur sauvetage, on aura tout vu !
La
crise du désendettement ne se résume donc pas à celle de
la dette publique, comme l’actualité espagnole vient de le
mettre en évidence. Ce serait une erreur de ne croire qu’elle
n’est propre qu’à ce pays, fruit d’une bulle immobilière
que d’autres pays ne connaissent pas. Faute d’aborder ouvertement
la crise de la dette privée, un nouveau tour de passe-passe est
tenté, en faisant croire qu’une Union bancaire européenne
sera en mesure de mutualiser au sein du seul système bancaire la
gestion de son désendettement chaotique. Comme s’il en avait les
moyens…
On
retombe toujours sur le même problème : la bulle de la dette est
trop énorme pour être résorbée sans occasionner de
gros dégâts en cascade. Tout au plus peut-il être
espéré la contenir afin qu’elle n’éclate
pas.
D’où
l’inquiétude manifestée par l’Institute of
International Finance, qui appelle à une relance qui arrangerait bien
les choses et qui, en désespoir de cause, ne voit d’autre
solution – sans oser clairement le proposer – qu’une
intervention concertée d’ampleur des banques centrales
occidentales : un Big Bang
monétaire. Telles sont aussi les rumeurs de marché à
Wall Street. Elle seule pourrait absorber le choc de nouvelles
restructurations de la dette et des pertes qu’elles occasionneraient.
Dans l’immédiat, les Américains et les Japonais
envisagent d’envoyer « un message fort » aux
Européens, le compte n’y est pas…
Les
Européens ont certes un plan – à condition toutefois de
parvenir à se mettre d’accord entre eux – mais à
l’incertitude grecque dans laquelle il risque de falloir
s’installer s’ajoutent, une fois de plus, les rodomontades de
Mariano Rajoy, qui voudrait échapper cette
fois-ci au second volet de son plan de sauvetage. De quoi alimenter le
feu qui couve sous l’Italie, même si les partis politiques
allemands se sont donnés comme date butoir le 29 juin afin de se
mettre d’accord et permettre la ratification de la création du
MES, dont la contribution est nécessaire pour financer
l’Espagne.
Faute
de mieux, le gouvernement de Mario Monti multiplie les annonces. Un plan de
réduction de 200 milliards d’euros de la dette publique –
qui en comporte dix fois cela – est étudié dans
l’urgence, devant s’échelonner sur trois ans et fruit de
la vente d’actifs publics : des biens immobiliers ou des
sociétés locales de service public. Encore faudra-t-il trouver
les acquéreurs… A noter que la dette globale a augmenté
de 3 milliards d’euros en un seul mois, de mars à avril, en dépit
d’un budget en excédent primaire. Pas la peine de chercher loin,
la charge des intérêts en est la cause.
Les
pions continuent de claquer sur le jeu en bois pendant que la partie de Tavli se poursuit en Grèce… Mais quel est
aujourd’hui le principal facteur du rebondissement de la crise
européenne ? La politique défendue par Angela Merkel qui s’en prend à « la
médiocrité » que représentent toutes les
propositions de mutualisation des risques. Préoccupé par la
déferlante de tous ceux qui veulent renégocier les conditions
de leurs aides financières dans la foulée de ce que les
Espagnols se prévalent d’avoir obtenu, Jens Weidmann,
le président de la Bundesbank, vient de déclarer à El
Pais que le sauvetage espagnol doit être assorti de
conditionnalités renforcées (« de conditions
élargies », littéralement), prenant à revers
Mariano Rajoy. Un tel passage en force est
destructeur et augure mal d’un compromis franco-allemand.
Billet
rédigé par François Leclerc
Son livre, Les
CHRONIQUES DE LA GRANDE PERDITION vient de
paraître
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