Les
résultats des élections américaines font la
« une » de l’actualité mondiale et vont
partiellement occulter l’événement le plus important de
la journée de par ses conséquences : la décision de la
Fed de relancer ses acquisitions de bons du Trésor à long
terme, de monétiser la dette et d’injecter des centaines
de milliards de dollars dans le système financier.
La
défaite des démocrates aux mid-terms, comme les nouvelles mesures de la Fed, vont
avoir ceci en commun qu’elles ne surprendront personne. Dans les deux
cas, les interrogations à leur propos ne portaient et ne portent
encore pour quelques heures que sur leurs ampleurs respectives. Mais si
l’on s’intéresse à leurs conséquences,
c’est une autre paire de manches.
Démocrates
et républicains vont poursuivre leurs jeux politiques, à la
recherche d’une coopération à laquelle ils vont
être désormais institutionnellement astreints. Une sorte de paix
armée, en attendant la campagne des élections
présidentielles qui ne va pas tarder à être
engagée. Pour autant, vont-ils être ensemble ce qu’ils
n’ont pas su être séparément, porteurs d’une
stratégie de relance de l’économie américaine,
l’unique objectif que leurs électeurs attendent d’eux ? A
y regarder de près, les votants ont exprimé une
véritable motion de défiance à leur égard.
Les
républicains vont disposer de la majorité à la chambre
des représentants et vont pouvoir engager une guerre d’usure
contre l’administration Obama, dans
l’espoir d’une reconquête de la présidence et du
pouvoir dans deux ans. Mais pour en faire quoi ?
Le
« moins d’impôts et d’interventions de
l’Etat » que réclament les électeurs,
mettant dans le même sac et non sans quelques raisons Washington et
Wall Street, n’aura comme effet qu’une accentuation de la crise
sociale traversée par la société américaine.
À commencer par la poursuite et l’intensification des saisies de
maisons et expulsions, ainsi que par le déséquilibre
grandissant des finances locales, avec pour conséquence de nouvelles
coupes budgétaires dans les programmes sociaux et de nouveaux
licenciements. Le retour au rêve américain est une vue de
l’esprit, une ultime tentative de ne pas se réveiller. Les
Américains sont déboussolés, offrant aux manipulateurs
de l’opinion animés des pires intentions un vaste champ de
manœuvre.
En
revanche, la Fed croit ou voudrait faire croire qu’elle a une solution.
Contre toute vraisemblance aux yeux des économistes qui le font
savoir, elle va à nouveau utiliser la seule arme dont elle dispose,
dénommée aux États-Unis QE2 pour Quantitative Easing 2 : la planche à billet. Injecter
dans le système financier des sommes massives dans le fol espoir
qu’elles vont retomber dans l’économie
réelle, favoriser la relance et, surtout, diminuer le chômage.
En continuant par contre certainement à faire baisser les taux
obligataires, à déprécier le dollar, et à rendre
plus attractif le marché des actions, afin que les investisseurs
s’y reportent et relancent l’initiative privée, alors que
rien n’est moins sûr.
Le
malheur veut en effet que des excédents financiers massifs et
inutilisés sont déjà
enregistrés dans les bilans des banques et des entreprises. Les
premières disposeraient en réserve de presque un millier de
milliards de dollars et les entreprises d’autant en trésorerie.
En rajouter dans ces conditions a-t-il un sens et lequel ?
Les
petites entreprises américaines (le small
business), qui en auraient le plus besoin, n’en verront pas la
couleur, le réseau des banques régionales dont elles sont les
clientes affrontant ses propres difficultés et n’allant pas en
profiter. Peut-on alors espérer que cela sera un ballon
d’oxygène pour les États fédérés et
les collectivités locales ?
Si
le bénéfice de cette mesure est considéré comme
des plus aléatoires, ses méfaits potentiels sont clairement
établis. Il n’y a même que l’embarras du choix. Une
bulle d’actifs va être créée, avec ses risques inhérents
pour plus tard, quand elle éclatera. Le prix des commodities
(les matières premières) va grimper sous l’effet du
report sur ce secteur de la spéculation. La dépréciation
du dollar va avoir pour effet l’appréciation des monnaies des
pays émergents, perturbant leurs exportations, et
l’accroissement des bulles financières déjà
existantes.
Une
autre conséquence, plus pernicieuse encore, est inévitable. La
baisse des taux obligataires et le danger d’un effet ciseaux sur
les taux réels (nets), en raison de leur faiblesse et d’une
possible hausse de l’inflation, va inciter les investisseurs qui
trouvaient sur ce marché rendement et sécurité à
entrer dans des jeux financiers risqués. Source de secousses ultérieures
et peut-être davantage.
Les
banques, quant à elles, ne vont plus trouver avec les obligations
souveraines l’instrument de consolidation de leurs bilans, devant le
risque d’éclatement de ce qui est désormais
considéré comme une bulle obligataire. Avec comme autre
conséquence un brutal renversement de tendance possible sur ce
marché et une hausse des taux, fragilisant tout l’édifice
de la dette publique.
Devant
une telle avalanche, comment comprendre la décision de la Fed ?
Elle exprime l’impasse dans laquelle se trouvent les démocrates
et les républicains. N’ayant pas les moyens ou ne voulant pas
s’engager dans une politique de relance budgétaire, ils
n’ont d’autre ressource que le va-tout à laquelle la Fed
va se résoudre après de longues hésitations et en
dépit de profondes divergences internes. Non sans donner la forte
impression d’une sorte d’ « après moi, le
déluge ! », vu les chances très réduites
qu’une petite relance résulte de son initiative, qui
constituerait le mieux qu’elle puisse espérer et dont il
faudrait alors se contenter.
A
force d’être utilisé – parfois même en
forçant le trait, une nouvelle pirouette permettant de repousser les
échéances – le terme d’impasse est banalisé.
Dans le cours de cette crise, il en est venu à faire partie des
meubles, auxquels on se heurte au fil des épisodes qui se
succèdent sans relâche. L’impasse dans laquelle se trouve
la première puissance économique, financière et
militaire mondiale n’est pourtant pas une petite affaire. Non seulement
en raison de l’approfondissement de la crise économique qui va
en résulter, tant pour les pays développés
qu’émergents. Mais aussi à cause de la tentation,
risquant de s’accroître, de s’engager dans des aventures.
Billet
invité : François Leclerc
Paul Jorion
pauljorion.com
(*) Un « article presslib’ » est libre de reproduction en tout
ou en partie à condition que le présent alinéa soit
reproduit à sa suite. Paul Jorion est un
« journaliste presslib’ » qui vit
exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il
pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui
tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.
Paul Jorion,
sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix dernières
années dans le milieu bancaire américain en tant que
spécialiste de la formation des prix. Il a publié
récemment L’implosion. La finance contre l’économie (Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ? (La
Découverte : 2007).
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