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Partie
pour durer, la confusion s’est hier encore intensifiée en
Europe, au départ de Rome, Berlin et Francfort. Aucune solution
n’est toujours en vue à propos de la participation des
institutions financières au second plan de sauvetage de la
Grèce. Au contraire, la BCE a du agir dans
l’urgence afin d’éviter que le Portugal soit
précipité dans l’abîme, risquant
d’entraîner l’Espagne. On connaît le scénario.
Le
Conseil des gouverneurs de la BCE a fait pour le Portugal ce qu’il se
refuse à accepter pour la Grèce : il est passé par dessus l’avis des agences de notation en
suspendant le seuil minimum de notation des obligations souveraines
permettant de les accepter comme collatéral. Ce faisant, il a
sauvé le système bancaire portugais ainsi que tous les grands
émetteurs de dette, publics et privés, du pays.
Afin
de couper court à l’idée que cette décision
préfigurerait celle qu’il devra prendre dans le même sens
vis-à-vis de la dette grecque (ce qui vaudrait acceptation de la
restructuration actuellement repoussée), Jean-Claude Trichet
s’est voulu inflexible : « Notre position n’a pas
changé. Pas d’événement de crédit, de
défaut ou de défaut partiel. Point » a-t-il
martelé dans le détail, pour parer à toutes les
subtilités. Il s’est refusé à commenter plus avant
le sujet, arguant qu’il est du ressort des Etats de trouver la
solution. Ayant toutefois en magasin, sans en faire état à ce
stade, la possibilité d’effectuer des prêts
d’urgence aux banques grecques (on l’a vu en Irlande, selon un
montage scabreux qui en déléguait le pouvoir à la Bank
of Ireland).
C’est
à la recherche de ces subtilités introuvables que, pour la
seconde fois consécutive en deux jours, non plus à Paris mais
à Rome, les grands financiers tous genres confondus se sont
réunis. Représentants des mégabanques
(et de l’Institute of International Finance, qui joue un rôle
pivot), de la Commission de Bruxelles, de la BCE, du Trésor Italien et
du gouvernement grec – la liste exacte n’est pas connue –
constituent désormais un étrange dispositif informel, à
géométrie variable suivant les jours, qui mélange les
torchons et les serviettes ! Symbolisant de manière crue une
réalité du pouvoir financier généralement
masquée. Les temps imposant d’aller à l’essentiel,
quitte à se découvrir.
On
ne sait plus très bien ce que les participants à ces
réunions cherchent, sauf à accentuer un désordre bien
avancé. Les hypothèses se multiplient, leur étude ne
donnant jamais satisfaction, la participation des institutions
financières relevant d’une nouvelle quadrature du cercle et les
meilleurs esprits de la finance ne parvenant pas à la résoudre.
Voilà
qui semble donne raison à ceux qui commencent à publiquement
reconnaître qu’un défaut grec est inévitable et,
après tout, peut-être pas si redoutable. Ou à Wolfgang Schaüble, ministre allemand des finances, qui a
considéré hier depuis Berlin que, puisque aucune forme de
restructuration – même les plus sophistiquées –
n’avait l’heur de plaire à la BCE et de faire accord entre
mégabanques, autant procéder à
un échange de titres, tout simplement. Ce qui reviendrait à
étaler la dette de la durée des nouvelles obligations
émises, ou de diminuer à maturité identique, leur taux.
La
multitude des acteurs de cette plaisanterie va-t-elle sortir de
l’imbroglio actuel pour parvenir à un compromis ? Ce sera
l’un des deux feuilletons de l’été, avec celui de
la dette américaine.
Il
est beaucoup question, aux Etats-Unis, que le gouvernement américain
puisse jouer une seconde fois les prolongations, si un accord au
Congrès n’’intervient pas avant la date fatidique du 2
août à propos des mesures d’économie à
prendre et du plafond de la dette à relever. L’alinéa 4
du 14éme amendement de la Constitution pourrait le permettre, est-il
évoqué dans la presse, évitant un défaut de
paiement agité comme un chiffon rouge dans le cours de la bataille
politique qui fait rage (ce qui n’enlève rien à la
réalité de ses dangereuses conséquences). Son
application permettrait de recourir à de nouveaux expédients et
gagner à nouveau du temps, peut-être même plusieurs mois,
soit en différant certaines dépenses pour en privilégier
d’autres, soit même en vendant de l’or en dernière
extrémité…
Les
conséquences d’une telle échappatoire sur le
marché obligataire, déjà soumis à
d’importantes demandes et de fortes tensions, dans le contexte qui
s’annonce très dur des prochaines élections
présidentielles, ne sont pas prévisibles.
Aux
Etats-Unis et en Europe, les autorités sont entrées dans la
dernière ligne droite. Le temps qu’elles peuvent encore
espérer gagner leur est compté, le prix qu’il va falloir
le payer est ignoré. Que les agences agissent ou non en bons conseils
des marchés n’empêche pas moins ceux-ci de
réagir, faisant à nouveau grimper les taux d’un groupe de
plus en plus important de pays, associant à la Grèce, au
Portugal et à l’Irlande, l’Espagne et l’Italie. Une
évolution qui a fort peu de chance de s’inverser et sonne le
glas de tous les espoirs de contenir la crise de la dette par les moyens
actuellement envisagés. Car si les taux varient, il est à
remarquer qu’ils se tendent bien plus qu’ils ne se
détendent ensuite, pour finalement ne faire que monter.
Nous
connaîtrons aujourd’hui les acrobaties que le FMI va effectuer,
afin de selon toute vraisemblance débloquer le versement de la tranche
déjà accordée de leur prêt, et par ricochet la
part des Européens. Car le défaut grec n’attendrait pas,
sinon. Mais dans quelles circonstances et comment la BCE va-t-elle devoir se
résoudre à manger son chapeau, car il ne semble pas se
dégager d’autre issue ? Le suspens va s’intensifier,
toutes les autres solutions allant continuer d’être en
priorité explorées. Mais ce qui sera déterminant et
incontournable, ce sera le simple déroulement de la logique imparable
de la crise de la dette : elle est trop grosse pour être
digérée, ce que le marché obligataire anticipe.
La
BCE estime avoir fait sa part et donné en engrangeant sous forme
d’achats ou de prises en pension une masse importante de titres de la
dette, à la valeur incertaine, et veut désormais que les Etats,
c’est dire les contribuables, assument la suite. Elle ne veut pas de
défaut, car elle craint que les tensions qui en résulteraient
sur le marché obligataire n’atteignent non seulement les Etats,
mais aussi les banques et les grandes entreprises. Car si les
émetteurs sont divers, le marché est unique. Les gouvernements,
quant à eux, cherchent à minorer le montant de ce qu’ils
vont de nouveau avoir à débourser ou
à garantir.
Les
banques, les agences, la BCE… la liste des méchants qui se
disputent entre eux s’allonge, les gouvernements qui voudraient
éviter d’y figurer en première ligne acculés
à avaliser cette perspective tout en cherchant à la rendre
politiquement et socialement pour eux soutenable. Ce qui est en cause,
c’est de soulager la pression grâce à une soupape, sous la
forme de l’affichage d’un partage de la charge financière
avec les banques, telle une opération de relations publiques. Dans
l’immédiat, les contradictions s’expriment en se
renforçant. A l’arrivée, les apparences seront
décisives, les habillages feront foi.
Certaines
compagnies transnationales cherchent à se faire une image flatteuse,
en développant sous leur marque ce qu’elles présentent
comme la création de la valeur partagée, celle-ci
n’étant plus entièrement réservée aux
actionnaires (et aux gestionnaires). Dans des domaines vitaux les plus
variés, de nouveaux produits sont commercialisés à
l’intention des plus démunis des pays pauvres, fonctionnels mais
adaptés à leur faible pouvoir d’achat, sans autre
prétention que d’atteindre l’équilibre
économique sur ces marchés assez particuliers.
Les
banques européennes sont appelées à appliquer cette
même stratégie de marketing défensive. Soit en diminuant
sous d’amicales pressions gouvernementales certaines commissions
facturée à leur clientèle de dépôts, soit
en participant à des montages pour le moment introuvables, leur
permettant d’apparaître sous leur meilleur jour tout en
étant dans les faits garanties contre les pertes. Voilà
l’un des enjeux des conciliabules en cours. Aux Etats-Unis, on a
observé comment la problématique des frais bancaires abusifs a
suscité et continue de le faire, autour de la question de
l’agence gouvernementale de protection des consommateurs et de la
nomination à sa tête d’Elizabeth Warren, une des plus
virulentes levées de boucliers…
Billet
rédigé par François Leclerc
Paul Jorion
(*) Un «
article presslib’ » est libre de
reproduction en tout ou en partie à condition que le présent
alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion
est un « journaliste presslib’ »
qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions.
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