Pour
seule réaction au sauvetage présumé de l’Irlande,
la crise européenne s’est vivement emballée hier sur les
marchés. Tous les indicateurs clignotaient au rouge en un bel
ensemble : les valeurs bancaires dans les bourses européennes,
l’euro sur le Forex, ainsi que les taux des
obligations souveraines.
De
manière considérée comme très inquiétante,
la liste des pays susceptibles d’entrer dans la zone des tempêtes
s’allongeait dans les commentaires, pour y inclure l’Italie et la
Belgique au vu de la tenue de leurs obligations sur le marché. Les
autorités françaises en venaient à nier toute
possibilité que la France y entre à son tour, ce qui
n’est jamais bon signe. Mêmes les taux des valeurs obligataires
les plus éprouvées, allemandes, néerlandaises et
françaises subissaient en effet l’onde de choc. Le marché
obligataire semblait déserté par les acheteurs, seuls les
vendeurs y restant présents. La BCE y reprenant ses achats
qu’elle avait interrompus, afin de limiter l’irrésistible
montée des taux.
Les
marchés apportaient leur réponse
au sauvetage irlandais en montrant qu’ils attendent une toute autre
initiative, à l’échelle européenne et non pas
à celle d’un seul pays connaissant une crise propre,
fût-elle aiguë.
Devant
cette situation alarmante, les tentatives de calmer le jeu se multipliaient
et de bien bonnes paroles étaient comme à l’habitude
prononcées. Notamment par Jean-Claude Trichet, disparu du devant de la
scène depuis quelques jours, alors que les rumeurs les plus folles
circulaient à propos de la réunion de jeudi de la BCE.
Une
polémique éclatait à l’instigation d’Elena
Salgado, ministre espagnole des finances, attribuant à Angela Merkel – sans toutefois la nommer – la
responsabilité des attaques des marchés contre
l’Espagne. Pour avoir agité le chiffon rouge de futurs bail-in,
ces restructurations de dette mettant à contribution les
créditeurs (que l’on appelle aussi les marchés,
mais dans d’autres circonstances…).
Enfin,
le Trésor américain dépêchait en Europe l’un
de ses éminents représentants, chargé de faire la
tournée des capitales afin de faire le point, exprimant
l’inquiétude des Américains à propos de la tournure
que prenaient les événements. Rappelant que la crise
européenne a une dimension mondiale.
Voilà
le panorama qui pouvait être contemplé hier soir, alors que le
Portugal venait sur le marché obligataire et que l’Espagne se
préparait à s’y rendre demain jeudi, et que
l’agence S&P annonçait avoir placé « sous
surveillance négative » la note du Portugal, en
prélude à son abaissement en raison de risques
considérés comme accrus. Le commentaire qui y était
associé méritant d’être relevé :
« Ces risques proviennent de l’incertitude quant à
l’éventuel recours du gouvernement à un financement
public extérieur et aux conséquences que l’obtention de
tels fonds pourrait avoir pour la position des créanciers
privés vis-à-vis des créanciers publics après
2013″.
Aujourd’hui,
dans un contexte d’arrêt des plongeons après trois jours
de coup de tabac, les Portugais devaient néanmoins concéder
à l’occasion de leur émission un taux
d’intérêt de 5,281%, contre 4,813% le 17 novembre à
maturité identique d’un an. La demande de 2,5 fois
supérieure à l’offre illustrant la bonne affaire en vue,
étant considéré comme inévitable que le Portugal
sera réfugié sous le parapluie européen à
l’échéance du remboursement. Les marchés sont
rationnels…
José
Luis Rodriguez Zapatero, le chef du gouvernement espagnol, en prélude
à l’émission de demain, vient d’annoncer un nouveau
train de mesures : la fin d’une allocation chômage de 426 euros
mensuels pour les chômeurs en fin de droits, la privatisation partielle
de la loterie nationale et des aéroports, ainsi qu’une baisse
d’impôts pour les PME.
Christine
Lagarde, la ministre française des finances, s’était
entre-temps fait ce matin le porte-parole des gouvernements européens,
lors d’une conférence de presse parisienne, décrits comme
étant « évidemment solidaires,
déterminés, engagés à défendre leur
monnaie et leur zone monétaire. » Une vérité
qu’il devenait nécessaire de réaffirmer en la
circonstance, qui ne mange pas de pain mais ne mène pas loin.
Les
autorités européennes – pour reprendre une formule avec
de moins en moins de sens – semblent être fort
décontenancées par la soudaineté et la virulence de
l’attaque des marchés qu’elles n’attendaient
pas si forte. Ce qui montre une fois de plus combien elles sont à
côté de la plaque. Cherchant malgré tout à se
rassurer, elles veulent croire que cela résulterait d’une
maladresse de leur part, d’une annonce faite à contre-temps, qui pourrait donc être
corrigée.
Dans
cette optique, des assurances continuent d’être données aux
marchés qu’ils ne risquent rien dans
l’immédiat, que nulles mesures pouvant leur porter atteinte
n’entrera en vigueur avant 2013, et qu’elles ne pourront
être décidées qu’au « cas par
cas », une fois toutes les autres solutions
épuisées, (entendez :
discutées alors avec eux), n’ayant en tout état de cause
d’effet envisageable que vers les années 2018 ou plus, lorsque
des défauts pourront alors intervenir.
Devenu
autorité suprême, le FMI est même appelé à
la rescousse, en sollicitant pour le moins ses usages et ses
procédures, pour les besoins de la démonstration.
« Il faut que nous expliquions et réexpliquions à
l’envi qu’il s’agit tout simplement de se mettre en
règle dans la durée avec un mécanisme tout à fait
analogue avec un mécanisme de type Fonds monétaire
international, qui ne constitue pas une menace mais un moyen
d’organiser les situations de crise » a expliqué
suavement Christine Lagarde à cette même occasion.
Si
les marchés veulent sans attendre manifester leur
catégorique refus d’une telle perspective, même lointaine,
ils sont en réalité animés par une contestation
d’une bien plus grande ampleur. La nature même du sauvetage
de l’Irlande – et de ses limites déjà inscrites
dans les faits – expliquent qu’ils se
cabrent aussi brutalement. Une fois de plus, ils enregistrent que les
dirigeants européens cherchent à gagner du temps et traitent
comme une crise de liquidité une crise de solvabilité,
une vieille antienne dont ils ne se sont pas départis depuis le
début.
De
ce point de vue, ils sont au cœur de leurs propres contradictions,
refusant d’un côté une remise de peine qu’ils
estiment de l’autre inévitable.
Dans
l’attente des décisions que va demain annoncer la BCE, le jeu
s’est un peu calmé de lui-même aujourd’hui.
Qu’espère-t-on de ses annonces ? La relance des achats
obligataires sur le marché secondaire est déjà
intervenue, mais elle s’inscrit dans une enveloppe très
restreinte et déjà très entamée, par rapport
à la demande prévisible des Etats.
Est-ce
à dire, comme un article du Financial Times l’envisageait ce matin,
que nous serions à la veille de l’annonce d’un programme
de l’ampleur de celui que la Fed a de son côté
déjà décidé ? Rien n’est moins sur, car le
ciel tomberait alors sur la tête des Allemands, mais le simple fait que
la question soit désormais aussi ouvertement posée est
significatif de l’impasse dans laquelle les dirigeants européens
se trouvent actuellement.
Leur
meilleur plan – qu’ils auraient du mal à faire approuver
à l’unanimité comme requis – n’est
qu’à échéance lointaine et est déjà
largement émasculé. Avant, c’est le vide, et seule la BCE
peut le combler.
Est-ce
pour autant la revanche de Jean-Claude Trichet et de sa stratégie de
réduction à marche forcée des déficits
budgétaires ? Cela n’est pas davantage envisageable, au moment
où des délais de remboursement sont déjà
accordés à la Grèce et alors que – tous les
comptes faits – un sauvetage de l’ Espagne
n’est décidément pas dans les moyens que les
Européens se sont donnés.
Il
n’y a donc pas que les marchés qui sont placés
devant leurs contradictions.
Billet
rédigé par François Leclerc
Paul Jorion
pauljorion.com
(*) Un « article
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soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est
un « journaliste presslib’ » qui
vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il
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Paul Jorion,
sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix
dernières années dans le milieu bancaire américain en
tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié
récemment L’implosion. La finance contre l’économie
(Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ? (La
Découverte : 2007).
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