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2° partie.
La
société et l’économie chinoises sont plus fragiles
qu’elles n’en donnent de l’extérieur
l’impression, dépendant d’une machinerie financière
à qui tout ne peut pas être demandé, et qui a
déjà été à l’origine d’effets
secondaires préoccupants. Déclenchant en particulier une
inflation affectant les produits alimentaires, qui a pu être
partiellement réduite mais est restée à plus de 4 % en
valeur annuelle en fin d’année dernière.
Il
en résulte que l’idée que la croissance de la Chine va tirer
l’économie mondiale est une rêverie d’Occidentaux,
qui viennent frapper à la porte pour obtenir le renflouement de
l’Europe quand ils n’en escomptent pas l’essor
impétueux de leurs propres exportations.
En
cette année du Dragon, la Chine va devoir affronter de grands
défis, a annoncé Wen Jiabao lors de la session plénière du
parlement. De 10,4 %, la croissance est passée à 8,9 % au
dernier trimestre, selon les statistiques officielles. Elle a
désormais pour objectif officiel de plus modestement atteindre 7,5 %
en 2012. Un taux inférieur aux 8 % traditionnellement
considérés comme le seuil en dessous duquel il ne fallait pas
descendre, sauf à créer d’importants problèmes
sociaux. Sous l’impulsion de l’État, les investissements
ont continué de croître plus vite que la consommation,
contredisant l’intention affichée de rééquilibrer
le développement, afin d’« attacher plus
d’importance au mode de vie des gens, et laisser la population partager
les fruits de la réforme », comme l’a
déclaré le premier ministre sortant.
Un
nouvel élan devra être selon lui donné à des
réformes – qui ont marqué le pas en raison
d’obstacles ou de résistances non précisées
– en favorisant l’ouverture aux capitaux privés dans de
nombreux secteurs de l’économie. Un rapport de la Banque
mondiale en ce sens a même été rédigé avec
des conseillers du gouvernement chinois, afin de « briser les monopoles
». Il est intitulé « Chine 2030 : bâtir une
société à hauts revenus moderne, harmonieuse et
créative ». Mais tout dépendra de la succession qui est
en train de se jouer dans la plus grande opacité.
Dans
l’immédiat, continuant à surveiller de près
l’inflation, dont la montée serait socialement explosive, le
gouvernement tente de lentement dégonfler la bulle immobilière
en faisant baisser les prix et en réduisant le volume de la
construction, à la faveur d’une régulation plus
étroite du secteur. Ce qui a pour effet de déséquilibrer
les finances des collectivités, qui reposent beaucoup sur la vente de
terrains aux promoteurs immobiliers, à moins qu’ils ne soient
apportés en garantie aux banques. C’est tout un pan du
système financier qui vacille.
Parallèlement,
les vannes du crédit ont à nouveau été ouvertes,
grâce à un nouvel abaissement des réserves obligatoires
des banques, qui avaient été précédemment
à plusieurs reprises augmentées afin de contenir la bulle
financière. Illustrant une politique tiraillée entre les
objectifs contradictoires de la relance et de la lutte contre
l’inflation. Des moyens de juguler le chômage sont activement
recherchés, le gouvernement le chiffrant à 22 % de la
population active. L’exode rural est un défi majeur, comme dans
tous les pays émergents qui ont créé une vitrine
intérieure de prospérité attirant
irrésistiblement ceux qui la contemplent du dehors.
L’urbanisation de la Chine sous la forme de mégapoles est un
phénomène irréversible, dont les conséquences
sociales et environnementales sont redoutables : les deux tiers des villes
chinoises connaissent déjà une pollution dépassant les
seuils admissibles.
Mais
le plus préoccupant est l’accroissement des
inégalités, qu’il n’est pas possible de chiffrer en
raison du refus du Bureau national des statistiques de rendre public les
données dont il dispose. Aux extrêmes, les pauvres restent
pauvres et les riches deviennent très riches ; les classes moyennes
sont soumises au flux et au reflux de la croissance économique. Les
problèmes à résoudre sont donc immenses, auxquels il
faut ajouter des désastres environnementaux sur lequels
il sera long et difficile de revenir.
Le
pays va devoir faire face à une baisse de sa croissance à 5 %
ou 6 % l’an, selon les prévisions de la Banque mondiale.
Celle-ci craint que toute chute brutale de la croissance pourrait
révéler « des pertes dans les banques, les entreprises et
à différents échelons du gouvernement –
aujourd’hui cachées sous le voile de la croissance rapide
– et pourrait précipiter une crise fiscale et financière
». Plus explicitement, nous parlerions de dette publique et
privée ! La conclusion s’impose pour l’institution
internationale : il faut changer de modèle. Avec deux
impératifs, accroître la consommation des Chinois en augmentant
les dépenses sociales et les salaires – ce qui aura pour effet
de diminuer les exportations, et soulager l’Occident – ainsi
qu’ouvrir de larges secteurs de l’économie aux capitaux
privés en diminuant le rôle des entreprises d’État.
Déjà à pied d’œuvre et attendant que les
barrières réglementaires se lèvent, les mégabanques occidentales brûlent de faire
partager leur expertise et d’accéder au partage
d’un nouveau gâteau. L’enfer est pavé de bonnes
intentions.
Celles-ci
suffisent-elles, lorsque l’on prend connaissance du testament politique
de Wen Jiabao, qui a
affirmé que « si la réforme politique n’aboutit
pas, la réforme économique ne pourra pas être
menée à bien » et que « les problèmes
apparus dans la société ne pourront pas être
résolus », faisant référence explicitement aux
disparités de revenus et à la corruption. Quid du
magistère du Parti communiste quand il déclare également
« il nous faut aller de l’avant dans nos réformes
structurelles, économiques et politiques, en particulier la
réforme de notre système de gouvernance de notre Parti et de
notre pays » ? Comme l’URSS avant elle, la Chine est
placée devant la délicate problématique de
l’évolution en douceur d’un système faisant
obstacle à son développement.
Mais
par quoi le remplacer ? L’expérience russe est là pour
faire craindre que la réforme progressive de la variante maoïste
du système bureaucratique stalinien, associant ouverture politique et
économique, ne sera pas l’un de ces
larges boulevards tracés lors de l’édification des
cités radieuses du socialisme. À l’échelle
de la Chine, devenue seconde puissance mondiale, les bouleversements que
l’on peut attendre ne seront pas rien. Corriger les conséquences
sociales et environnementales d’une industrialisation à marche
forcée par un appel au capitalisme privé n’est peut être pas non plus la meilleure des
solutions…
Les
déclarations du premier ministre sonnent dans l’immédiat
comme un aveu d’impuissance, n’étant pas parvenu à
ce qu’il n’a cessé de chercher à promouvoir. En
s’associant, via de proches conseillers, à la Banque mondiale
pour préconiser une ouverture accentuée au capitalisme, parallèlement
à un élargissement international progressif du rôle du
yuan, Wen Jiabao cherche
un levier permettant d’écarter les résistances et de
réformer le système. Mais cela pourrait créer une
dynamique risquant d’échapper des mains du pouvoir tel
qu’il est structuré, si ce n’est de certains de ceux qui
l’occupent. L’histoire ne se répète pas, certes,
mais parfois elle bégaye.
Billet rédigé par
François Leclerc
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