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Le
probable candidat Républicain à l’élection
présidentielle américaine, Mitt
Romney, a récemment fait l’objet de critiques en raison de
l’origine de sa fortune et de la supposée faiblesse de son taux
d’imposition.
Des
200 millions de dollars de sa fortune familiale, l’essentiel provient
en effet de la firme de capital-investissement (private equity firm)
qu’il fonda en 1984, Bain Capital, et constitue un patrimoine dont les
rentes rapportèrent aux Romney jusqu’à 37 millions de
dollars en 2007. Pourtant, rétif à rendre publique sa feuille
de déclaration, le possible opposant de Barack Obama ne serait
imposé qu’à hauteur de 15%.
Il
n’en fallait pas plus pour que l’ancien gouverneur du
Massachusetts devienne le symbole du nouvel ennemi public nº1, ce
« pourcent » des plus riches qui prospère
outrancièrement, au détriment de la société, et
sans jamais rien partager : comment accepter qu’un présidentiable
se soit démesurément enrichi en licenciant les employés
d’entreprises mourantes que la sienne rachetait pour revendre à
profit ? Comment pardonner que son taux d’imposition soit
inférieur à celui des classes moyennes ?
Bien
entendu, cette narration courante est largement trompeuse. Ainsi,
l’importance des revenus de Mitt Romney en
2007 tenait-elle à la liquidation de nombreuses positions
jugées sensibles juste avant sa première tentative
présidentielle. De même, les 15% d’impôts
cités ne tiennent pas compte du fait que les dividendes perçus
ont déjà été taxés une première
fois, avant d’être versés, au niveau de
l’entreprise. En réalité, selon l’étude la
plus récente de la comptabilité nationale américaine,
les 1% des plus riches sont taxés dans l’ensemble à 30%
au niveau fédéral, soit le double des classes moyennes. Ce
faisant, ils fournissent 40% de l’ensemble des recettes fiscales.
Mais
ce sont surtout les attaques contre l’industrie dont provient la
fortune de Mitt Romney qui sont critiquables, et
démontrent, par leur résonnance dans l’opinion, la
mécompréhension générale du capitalisme sous
l’une de ses formes les plus pures.
Comme
souvent, l’opposition la plus dure est venue d’un autre
candidat Républicain, Newt Gingrich, lequel décrivait Bain Capital comme un
groupe « de gens riches trouvant des moyens légaux de piller les
richesses d’autres compagnies. » Malheureusement,
c’est bien ainsi que les acteurs de cette branche de la finance sont
représentés : des bandes de barbares mettant à sac
des organisations productives, détruisant les emplois qu’elles
offrent, et dilapidant leurs actifs. Que l’on pense à Gordon Gekko, le « héros »
détesté du film Wall Street d’Oliver Stone qui s’en
prend au fond de pension d’une petite compagnie aérienne…
Face à une telle propagande
anticapitaliste, un peu de théorie et d’histoire
économiques sont pourtant de mise. Toutes deux étant complexes,
on les abordera ici, forcément partiellement, à travers le
prisme de Bain Capital.
À ses
débuts, l’activité de cette compagnie était
tournée vers le capital-risque. Plus précisément, cette
entreprise se spécialisait dans des projets naissants
particulièrement risqués, mais apparemment prometteurs,
auxquels elle apportait un capital initial. Dès 1986, Bain Capital
participa ainsi au lancement de Staples, devenue
depuis une grande chaîne de fournitures de bureau employant plus de 90
000 personnes dans 26 pays.
Puis, Bain Capital s’est
progressivement tourné vers les acquisitions par emprunt (leveraged buy-outs, LBOs ci-après) - une pratique beaucoup plus
sulfureuse, et cible de l’essentiel des attaques contre Mitt Romney.
Comme son nom l’indique, une
telle pratique consiste à prendre le contrôle d’une
compagnie en ayant recourt à un effet de levier,
c’est-à-dire en finançant une grande partie de
l’acquisition de ladite entreprise par des emprunts gagés sur
les actions de celle-ci qu’ils permettent d’acheter.
Les critiques à
l’égard d’une telle opération sont multiples.
D’une part, un LBO aurait pour conséquence de cribler de dettes
l’entreprise achetée. Le but serait en fait d’en extraire
des frais de management, ainsi que des dividendes, tout en la destinant
à la faillite.
D’autre part, la
nécessité de financer les frais et les dividendes, en plus des
remboursements des prêts et de leurs intérêts,
impliquerait une dilapidation des capitaux de l’entreprise, ainsi
qu’une réduction majeure de ses effectifs.
Un bon exemple serait celui de GS
Industries. Il s’agit d’un producteur d’acier né
dans les années 90 et issu de la fusion de plusieurs compagnies, le
tout initié par Bain Capital. Les licenciements furent
immédiats dans les usines concernées, et ceux qui
gardèrent un emploi, durent accepter des kits de
rémunération moins généreux. Dans le même
temps, Bain Capital reçevait près
d’un million de dollars annuels en frais de gestion ainsi que
d’importants dividendes. L’entreprise ne sera cependant pas
remise à flot et fait
faillite en 2001, au détriment de ses 700 employés.
Or, une telle histoire n’est
pas isolée. En 1996, Bain Capital investit 41 millions de dollars dans
DDi Corp., un constructeur de circuits
électroniques californien que la firme de capital-investissement
revend 157 millions de dollars en 2000. Après avoir licencié
près de la moitié de ses 3 200 employés, DDi fait pourtant finalement défaut sur certains
de ses emprunts, et est mise en redressement judicaire
en 2003.
En fait, les exemples abondent.
Bain Capital collecte ainsi 100 millions de dollars de dividendes
d’American Pad & Paper, dans laquelle elle
avait investi $5 millions, et qui déclare faillite en 2000. La
même année, Stage Stores, que Bain Capital avait rendue publique
pour 20 fois plus qu’elle ne lui avait initialement coûté,
connait le même destin. Même chose, en 2003, pour Details, une firme dont les actions rapportèrent
à Bain Capital deux fois plus que son acquisition ne lui avait
coûté.
D’une manière plus
générale, une étude officielle américaine a mis en
évidence le fait que les entreprises achetées par des fonds de
capital-investissement connaissent rapidement plus de pertes d’emplois
que les autres. De même, le Wall
Street Journal estime que plus de 20% des compagnies dans lesquelles Bain
Capital a investi entre 1984 et 1999 sont finalement passées par la
faillite.
Ces exemples ne peuvent cependant
donner qu’une vue partielle de la réalité. Un exemple est
toujours particulier. S’il parle à l’imagination et aux
émotions, tout en semblant ancré dans la réalité,
il peut bien souvent être biaisé. Ainsi la faillite de GSI
précédemment évoquée doit-elle être
comparée à la réussite spectaculaire de Steel Dynamics, dans laquelle Bain Capital investit en
1994, et qui est aujourd’hui le cinquième plus grand producteur
d’acier aux États-Unis, salariant plus de 6 400 personnes, et
permettant l’emploi de plus de 25 000 autres par
l’intermédiaire de ses fournisseurs.
En réalité, le cas
de GSI doit lui-même être revu. En plus d’un investissement
initial de près de 25 millions de dollars, l’un de ses dix plus
gros paris à l’époque, Bain Capital y investit ensuite
plus de 100 millions de dollars afin d’en moderniser les
équipements. Cette « cible »
n’était donc pas une manne à piller, mais un fonds
à développer. Et si la firme fait finalement faillite,
c’est au moment où plus de 40 producteurs d’acier
connaissent le même sort.
D’une manière plus
générale, les banqueroutes précédemment
décrites ont toutes eu lieu dans les années 2000, période de
crise aux États-Unis. Tel est clairement le cas de DDi,
victime parmi d’autres de l’éclatement de la bulle
Internet.
Un taux de faillite
supérieur à 20% peut tout de même sembler
élevé. Mais les statistiques peuvent être aussi
trompeuses que les exemples. D’une part, le pourcentage tombe à
12% si l’on considère le destin de ces entreprises 5 ans, et non
8 ans, après leur acquisition par Bain Capital. D’une
manière plus générale, les recherches académiques
montrent que le taux de faillite parmi les entreprises acquises par le biais
de LBOs s’élève à 5%
(contre 1% pour les autres entreprises.) Une telle différence tient
évidemment à l’endettement supérieur des
premières, mais il ne faut pas perdre de vue que celles-ci sont la
cible de telles acquisitions précisément parce que leurs performances sont
médiocres.
L’argument, ici, est double.
Pour certaines, les entreprises rachetées sont véritablement en
difficulté, et donc à risque. Pour d’autres, elles
semblent simplement moins créatrices de richesses qu’elles ne
pourraient l’être. Leur acquisition est alors un pari sur la
possibilité, non pas tant de les redresser que de les
améliorer, et cela en prenant le risque de s’endetter. Une telle
stratégie est hautement spéculative, mais aussi
extrêmement efficace si on considère les résultats dans
leur ensemble et pas au cas par cas. Car, cette stratégie
connaît évidemment des succès et des échecs et
ne reste bénéfique
que si les gains excèdent
les pertes.
Gains et pertes pour qui, demandera-t-on. Pour les
actionnaires des entreprises-cibles, tout d’abord. Typiquement, une
acquisition par endettement s’accompagne d’un rachat de leurs
titres à 150%, voire beaucoup plus, de leur valeur de marché.
Un tel premium est justifié par le fait qu’une LBO ne vise pas
à piller une richesse déjà accumulée, mais au contraire
à redéployer des actifs jugés insuffisamment mis en valeur.
Dans un second temps, les profits
de l’opération reviennent évidemment aux
clients-investisseurs de Bain Capital, et des autres compagnies de ce type,
lesquels sont bien souvent des universités, ou encore des fonds de
pension publics, c’est-à-dire au final, monsieur et madame tout
le monde, ainsi que leurs enfants.
Créée en 1984 avec
un peu moins de 40 millions de dollars, Bain Capital en gère
aujourd’hui plus de 66 milliards, une réussite permise par des
retours sur investissement annuels bien souvent supérieurs à
80% !
Tout cela ne se fait-il pas au
détriment des emplois et des salaires ? Si les entreprises
acquises par emprunt connaissent des licenciements rapides et relativement
importants, elles sont aussi, à terme, plus créatrices d’emplois
que les autres.
Que l’on pense, par exemple,
aux dizaines de milliers d’emplois créés après le
rachat, en 1999, de Domino’s Pizza par Bain
Capital. En investissant près de 190 millions de dollars, la firme de
capital-investissement a pu multiplier sa mise par 5 et remettre la
chaîne sur la voie du succès et de la croissance.
Une étude récente
d’un professeur d’université californien, Joshua Rosett, a même mis en évidence, à
partir de plus de mille cas, que les acquisitions hostiles se traduisaient en
moyenne par des augmentations de
salaires au cours des années suivant l’opération.
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