Au moment
où j’écris ces lignes, le yuan [1] vaut environ 11,5
centimes d’euros. Or, si j’en crois les analyses d’un grand
nombre de commentateurs, il semble que la monnaie de l’empire du milieu
soit artificiellement sous-évaluée – on parle
fréquemment de 30% ; c'est-à-dire que le yuan ne devrait
pas valoir 11,5 centimes d’euros mais 16,5 centimes d’euros.
L’idée que défendent ceux qui soutiennent la thèse
d’une sous-évaluation du yuan (et donc d’une surévaluation
de l’euro), c’est que le gouvernement chinois pratique une
dévaluation compétitive, c'est-à-dire qu’il
cherche à doper ses exportations en faisant baisser la valeur de sa
monnaie.
Je ne doute
pas un instant que mes lecteurs connaissent ces choses mais un bref rappel ne
peut faire de mal à personne : avec un yuan à 11,5
centimes d’euros, un produit qui sort de l’usine à
1 000 yuans peut être vendu 115 euros tandis qu’avec une
parité à 16,5 centimes, ce même produit vaudra 165 euros.
En d’autres termes, pour les entreprises exportatrices chinoises, plus
la valeur du yuan exprimé en euros est faible, plus leurs produits
sont compétitifs à l’export.
Bien entendu,
le corollaire de ce principe est aussi vrai : un produit vendu chez nous
à 100 euros vaut 868 yuans en Chine avec une parité de 11,5
centimes d’euros pour un yuan et ne vaudrait plus que 607 yuans avec
une parité de 16,5 centimes – dès lors, nos entreprises
exportatrices deviendraient mécaniquement beaucoup plus
compétitives sur le marché chinois.
L’idée
selon laquelle Pékin aurait pu se livrer à ce petit jeu mercantiliste
est tout sauf absurde. Le caractère autocratique du gouvernement
chinois, les tensions inflationnistes et l’accumulation
d’emprunts d’État américains et européens
plaident tous en faveur de cette thèse. En revanche, chiffrer
l’ampleur du phénomène me semble pour le moins
hasardeux : le yuan comme l’euro sont les produits d’un
système de planification monétaire – celui des banques
centrales – qui, comme tout système planifié, ne permet
pas de réaliser ce genre de calculs. Reste que l’accusation est
plausible, admettons donc par hypothèse que le chiffre de 30% soit le
bon.
Si c’est
effectivement le cas, cela signifie d’une part que le gouvernement
chinois soutient artificiellement les entreprises exportatrices chinoises mais
cela signifie aussi, comme nous l’avons vu plus haut, qu’il pénalise
artificiellement les entreprises et les particuliers chinois qui importent
des produits. De fait, cette politique revient à faire financer au
peuple chinois la compétitivité des entreprises exportatrices
chinoises au moyen d’une perte de pouvoir d’achat.
De la
même manière, Pékin pourrait obtenir le même
résultat en utilisant le politique fiscale plutôt que la
politique monétaire : il suffirait d’augmenter les
impôts qui pèsent sur la population chinoise et d’en
redistribuer le produit aux entreprises exportatrices afin qu’elles
puissent vendre moins cher. Ce serait strictement équivalent [2] :
les entreprises de l’empire du milieu exporteraient plus qu’elles
ne l’auraient fait sans cette politique et ce sont les citoyens
chinois, par l’entremise d’une baisse de leur pouvoir
d’achat, qui financeraient l’opération.
Qu’on
utilise la politique monétaire ou la politique fiscale, le
résultat est le même : le gouvernement chinois a mis en
place une politique qui consiste à faire financer une hausse de notre
pouvoir d’achat (nous payons les produits « made in
China » moins cher) par une baisse du pouvoir d’achat de sa
propre population (ils payent leurs importations plus cher).
C'est-à-dire que, aussi incroyable que cela puisse paraître, les
Chinois sont en train de subventionner notre niveau de vie.
Vous pensez
que j’exagère ? Poussez simplement le raisonnement :
que ce passerait-il si Pékin devait
décider de subventionner ses exportations non pas de 30% mais de
100% ? C'est-à-dire si la Chine inondait littéralement nos
marchés occidentaux de produits gratuits [3]. Pensez-vous que les Chinois
s’enrichiraient à nos dépens ?
Et pendant ce
temps, M. Dassault n’en finit plus de pester contre la « surévaluation
de l’euro » qui, selon lui, explique pourquoi son Rafale [4]
ne se vend pas à l’étranger. Je n’ai pas la
prétention d’être un spécialiste du marché
hautement politisé des avions de combat, mais il y a en revanche une
chose que je sais : quand M. Dassault réclame que la Banque centrale
européenne laisse filer la valeur de notre monnaie, ce qu’il
demande en réalité c’est que vous et moi subventionnions
son chiffre d’affaire et ses bénéfices par une baisse de notre
pouvoir d’achat. Forts de cette simple constatation de bon sens, vous
devriez maintenant goûter toute l’ironie du discours politique.
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[1] Les
esthètes me pardonneront d’utiliser le nom de
l’unité de compte (le yuan) en lieu et place du nom de la
monnaie (le Renminbi).
[2] Bien que
plus compliqué à mettre en œuvre et plus visible sur la
scène internationale.
[3] Celle-ci,
je la dois à Frédéric Bastiat : <a href=http://bastiat.org/fr/egaliser_les_conditions_de_production.html><i>Égaliser
les conditions de production</i></a> dans la première
partie des <i>Sophismes Économiques</i> (1845).
[4] Programme
qui, sur la base de 286 avions, devrait finalement coûter 40,690
milliards d’euros aux contribuables français…
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