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Averroès versus Al Gazhali : de la philosophie en islam

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Publié le 30 mars 2015
1058 mots - Temps de lecture : 2 - 4 minutes
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Au cours du Moyen-Âge, une controverse fondamentale a opposé les partisans du mysticisme et les partisans du rationalisme. Les uns, opposés à l’usage de la raison, les autres, cherchant à unir la philosophie et la théologie. Dans l’Europe chrétienne, cette querelle a d’abord opposé Abélard à Bernard de Clairvaux, puis Thomas d’Aquin aux partisans de l’interdiction d’Aristote.

 

Or, cette querelle a eu lieu aussi dans l'islam. Mais à la différence du christianisme, c’est le mysticisme qui l’a emporté à la fin du Moyen-âge. À partir du XIVe siècle, on voit disparaître les philosophes au profit des juristes dont la fonction principale est de faire observer les préceptes du Coran, codifiés par leurs soins. On ne trouve quasiment plus de chercheurs, de savants, de penseurs. Un penseur perse fut à l’origine de cette tradition mystique, hostile à la philosphie : Al Ghazali. Il fut combattu vainement par Averroès.

 

Abu Hamid al Ghazali  (1058-1111) : de la destruction de la raison par la foi

 

Philosophe de Bagdad au XIème siècle, Al Ghazali écrivit un livre intitulé De la destruction de la philosophie dans lequel il défendit un point de vue antirationaliste.

 

Selon lui, le vrai croyant doit exclure la philosophie de sa vie car la compréhension rationnelle du monde ou de Dieu est superflue et dangereuse, elle peut nous éloigner de la foi. En effet, la volonté de Dieu est à la fois souveraine et incompréhensible. Elle échappe à l’ordre des raisons et la seule attitude qui convienne pour le croyant est l'obéissance.

 

La foi suffit puisque tout est écrit dans le Coran, qui est la parole incréée de Dieu. Le Coran est éternel, il est divin. C’est pourquoi on ne saurait l’interpréter mais seulement s’y soumettre. Chercher à comprendre avec sa raison serait sacrilège, ce serait comme vouloir enfermer Dieu dans les limites de nos propres concepts.

 

Al Ghazali rejetait aussi la science, en vertu du principe selon lequel la nature physique obéit directement à la volonté de Dieu et non à des lois. Dieu gouverne toute chose par sa volonté toute-puissante, continuellement et directement. La causalité divine s’exerce sans intermédiaire et tout ce qui se passe dans la nature, tout phénomène naturel, relève de sa volonté toute-puissante.

 

On retrouve ici une perception très ancienne du monde : la volonté divine est partout, elle commande tout, elle est responsable de tout. L’idée d’un ordre naturel ou rationnel autonome n’a donc pas lieu d’être. Et la science, le désir de découvrir des lois de la nature par la raison, est une prétention illusoire. Seul le Coran, la parole incréée de Dieu, est source de vérité.

 

Averroès (Ibn Rushd) 1126-1198 : de l’harmonie de la raison et de la foi

 

Médecin, juriste et philosophe arabe, vivant à Cordoue en Espagne musulmane, Averroès a joué un grand rôle dans la redécouverte d'Aristote en Occident. Thomas d’Aquin le cite des milliers de fois dans son œuvre.

 

Or, Averroès a travaillé sur les œuvres d’Al Ghazali et a tenté de le réfuter dans un traité destiné à réhabiliter la philosophie : De la destruction de la destruction.

 

Dans ce livre, il écrit que, selon la tradition religieuse islamique, la première chose créée par Dieu en l’homme est l'intelligence. C’est pourquoi le croyant fait honneur à Dieu lorsqu'il raisonne, lorsqu'il utilise son intelligence. La foi invite le croyant à raisonner.

 

Par ailleurs, répondant à Al Ghazali, il affirme qu’un homme abandonné depuis sa naissance sur une île déserte parviendrait de lui-même à l’idée de Dieu. Par sa raison naturelle, il est capable de vérités sur le monde et sur Dieu. Dieu étant l’auteur de la révélation d’une part et l’auteur du monde d’autre part, il ne peut y avoir de contradiction entre la foi et la raison.

 

Mais dans l'hypothèse où la philosophie ou bien la science contredirait le Coran, alors il faudrait, dit Averroès, envisager deux possibilités :

 

- soit nous avons mal compris le Coran, auquel cas il faut l’interpréter. Car la loi divine a un sens extérieur (zahir) et un sens intérieur (batin) ;

- soit nous avons mal philosophé, auquel cas il faut revoir nos raisonnements.

 

Quoi qu'il en soit, il ne peut y avoir de contradiction entre ce que dit la raison et ce que dit le Coran, car « le vrai ne peut contredire le vrai », dit-il. Ce sont simplement deux modes d'approche d’une même vérité. On retrouve la même doctrine chez St-Thomas. Pour lui, la philosophie et la théologie sont deux moyens distincts mais complémentaires d’arriver à la même vérité, même si la foi dépasse la raison. Elle n’est pas contre la raison.

 

Averroès  insiste également sur l’universalité de la raison qui dépasse les frontières culturelles et religieuses. Ainsi, on peut faire confiance à ceux qui nous ont précédés en philosophie, même s’ils étaient païens comme Aristote. Averroès écrit : « Si les paroles de Dieu sont vraies et si elles nous invitent au raisonnement philosophique qui nous conduit à la recherche de la vérité, il en résulte  certainement que le raisonnement philosophique ne nous mène pas à une conclusion contraire à la vérité divine ».

 

Terminons par une dernière citation : « Interdire la philosophie sous prétexte qu’elle risque d’éloigner les fidèles d’Allah, dit Averroès, c’est comme interdire l’eau à un assoiffé sous prétexte qu’elle pourrait le noyer ». Autrement dit, si nous sommes faits pour boire de l'eau, elle ne peut être un mal pour nous. De même, l’usage de la raison ne peut être interdit, quand bien même il pourrait nous éloigner de la foi, car il est inscrit dans notre nature.

 

La pensée d’Averroès n’est donc pas une pensée islamique orthodoxe. Sous l’influence de celle d’Aristote, elle s’éloigne de l’islam de deux façons :

1° Elle présuppose l’existence d’une nature qui a ses propres lois de fonctionnement.

2° Elle suggère que le Coran devrait être interprété et non réduit à sa lettre.

 

Averroès fut condamné par les autorités religieuses musulmanes de l’époque qui lui reprochaient son rationalisme. Ses livres furent brûlés et il fut emprisonné avant d’être assassiné.

 

À lire pour compléter :

 

Dominique Urvoy, Averroès, les ambitions d'un intellectuel musulman, Flammarion, coll. Les Grandes Biographies, Paris, 1998, 253 pages.

Roger Arnaldez, Averroès, un rationaliste en Islam, Balland, coll. Le Nadir, Paris, 1998 (2e édition), 237 pages.

Roger Arnaldez, « Ghazâlî », in Dictionnaire des philosophes, Encyclopaedia Universalis/ Albin Michel, 1998, p. 605-611.

 

 

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Damien Theillier est professeur de philosophie. Il est l’auteur de Culture générale (Editions Pearson, 2009), d'un cours de philosophie en ligne (http://cours-de-philosophie.fr), il préside l’Institut Coppet (www.institutcoppet.org).
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