Être propriétaire en France n’est pas toujours une chance. À mesure que les lois et les décrets s’empilent, cela devient même, tout doucement, un fardeau que beaucoup découvrent, amers, à la faveur d’une de ces désagréables aventures que les réseaux sociaux relaient parfois.
J’évoquais, il y a quelques semaines, le cas emblématique de ce retraité dont le bien immobilier se retrouvait squatté par une bande d’individus sans scrupules et qui avait heureusement pu bénéficier de la mobilisation d’un groupe de jeunes de cité voisine pour déloger les indésirables, pendant que la Loi et les forces de l’ordre se contentaient essentiellement de prendre des notes, de loin, en conservant une saine retenue apte à garder les esprits calmes et la paperasserie maigre.
Aujourd’hui, je vous propose le témoignage de M., une lectrice qui me relate ses péripéties récentes au sujet de la maison de ses beaux-parents. Comme on va le voir, les caractéristiques de la déconvenue sont étrangement similaires au cas précité, tout comme l’est l’abandon complet des autorités dans leur rôle d’assurer l’ordre, la paix et la protection des biens et des personnes.
Ce jeudi premier mars, le mari de M. l’appelle pour lui signaler que la maison de ses beaux-parents, en voyage et injoignables pour trois semaines, a été cambriolée, une première fois le mardi, et une seconde fois le mercredi.
Premier fait intéressant : directement suite à la première intrusion dans la nuit de mardi, le voisin a prévenu sa belle-sœur qui est allée porter plainte…
En pure perte puisqu’elle n’a pas procuration des propriétaires du lieu. Quand bien même le délit a été observé, personne ne se déplacera, parce que, vous comprenez, la propriété privée, c’est sacré, n’est-ce pas.
En pleine nuit de mercredi, vers trois heures du matin, le même voisin voit de la lumière puis deux hommes sortir de la maison déjà visitée. Ce voisin, décidément bien prévenant, appelle la belle-sœur qui ne sait toujours pas quoi faire, le commissariat l’ayant déjà « gentiment » envoyé promener la fois précédente (mesdames et messieurs, vos impôts au travail).
Au matin suivant, retournant voir la maison, elle n’a pu que constater que les cambrioleurs étaient revenus, en laissant la lumière allumée partout. Afin de sécuriser un tant soit peu la fenêtre défoncée par laquelle ils étaient entrés (deux fois), elle prévient le reste de la famille.
Il faut en effet agir vite : des individus qui viennent plusieurs fois de suite, qui bénéficient ainsi de l’absence de tout dépôt de plaine (forcément), tout cela peut conduire, après 48 heures, à une de ces situations fort désagréables où des squatteurs deviennent subitement indélogeables au pays des Droits de l’Homme et du Cambrioleur.
Voilà notre lectrice M. dans une bien fâcheuse position. Son mari envisage ainsi d’aller voir sur place afin de réparer les dégâts et expulser de lui-même les éventuels indésirables qui pourraient s’y trouver encore, mais cela pourrait poser de graves sentiments d’insécurité et une soirée aux urgences. Peut-être la voie légale reste-t-elle préférable ?
C’est donc au commissariat le plus proche qu’elle tente de déposer plainte. M. a en effet habité dans la maison de ses beaux-parents. Sur le passeport, c’est même encore l’adresse mentionnée. Elle y a encore des affaires. En tant qu’occupante des lieux, peut-être le dépôt de plainte sera-t-il possible ?
Que nenni : au commissariat, elle tombe sur un jeune homme charmant mais qui lui explique (tenez-vous bien) que, n’étant pas propriétaire, elle ne peut pas porter plainte. Étonnant, n’est-ce pas ? Il conseille d’appeler le 17.
Les surprises ne s’arrêtent pas là puisqu’au 17, M. tombe de façon inattendue sur un trou du cul un préposé qui lui explique ne rien pouvoir faire : malgré la recension complète des événements, malgré la présence d’individus potentiellement dangereux dans la maison, et bien qu’on puisse souhaiter qu’une patrouille de police se déplace (au moins pour constater les problèmes), notre préposé au 17, sans doute parfaitement conscient de sa position privilégiée, explique doctement qu’ « il n’est pas là pour l’assister », qu’elle le « fatigue avec son voisin », et qu’elle n’a qu’à rentrer dans la maison pour aller chercher les papiers de l’assurance, seule chose qui semble importer pour notre valeureux fonctionnaire.
M., dépitée, raccroche. Le flic du commissariat lui propose alors d’aller devant la maison, et d’appeler la police une fois sur place en disant qu’il y a quelqu’un dedans. Ils ne pourront alors pas refuser de venir.
Voilà donc M. retournant devant la maison et qui n’y voit personne mais y entend du bruit. Le volet, défoncé, est visible de l’extérieur ; le voisin y a mis du scotch qui a, depuis, été arraché. M. appelle les policiers.
… Qui, finalement, arrivent. Polis, sympathiques même, ils s’empresseront cependant d’expliquer qu’ils ne peuvent rien faire (à ce point du récit, l’étonnement doit commencer à s’estomper, n’est-ce pas).
M. n’étant pas propriétaire, il leur est impossible de rentrer pour voir, malgré le volet défoncé, malgré le voisin qui explique qu’il a vu deux gars d’une vingtaine d’année sortir la nuit et qu’il n’a rien fait car « il pensait qu’ils allaient le tuer, vu leur tête »… La loi est décidément bien inflexible pour les honnêtes gens.
Pour rentrer, il faut une clé. Par chance, le mari de M. en dispose d’une et, une heure plus tard, la police est rappelée pour rentrer dans la maison. Ce sera la police municipale qui se pointera.
Une fois à l’intérieur, il n’y a personne ; la rapidité d’intervention de l’ensemble des services d’ordre et de sécurité du pays ont probablement laissé quelques latitudes aux aigrefins pour agir, prendre deux fois des nouilles, se reposer et repartir tranquillement. M. constate les dégâts, et la police municipale, dans un grand geste auguste plein de cette fougue qui la caractérise, … repart car elle ne peut rien faire, seule la police nationale étant habilité pour ce genre de choses.
Le 17 sera donc à nouveau appelé. Et là, en quelques secondes moins de dix minutes deux heures plus tard, la police peut constater que, en effet, oui, c’est à présent confirmé, c’est certain, tout à fait, il y a bien eu cambriolage et ils repasseront (mettons demain) pour faire le relevé d’empreintes.
Bien sûr, ni M., ni son mari, ni personne ne peut porter plainte : personne ne sait exactement ce qui a été volé ou endommagé, n’est-ce pas ! Seuls les propriétaires, en voyage et injoignables, pourront le faire. Quant à la plainte pour squat, elle ne pourra pas être déposée non plus dans les 48 heures. Si, d’aventure, les intrus ont eu l’idée lumineuse de commander une pizza le mardi soir pour s’installer à nouveau le jeudi soir, tout ce petit monde l’aura dans l’os.
La morale de cette histoire est assez déprimante pour un pays qui se gargarise du respect de ses lois, de sa justice, et qui se permet régulièrement de distribuer des bons points d’humanisme aux autres.
En somme, si vous êtes témoins d’un cambriolage, ne vous enquiquinez ni à tenter de l’interrompre (vous risquez gros, pour rien), ni à prévenir la police : vous n’êtes pas le propriétaire et rien ne se passera de toute façon. Au mieux, ce qui arrive est la faute à pas de chance, et les services de l’État que vous payez pour assurer la sécurité de vos biens s’en tamponnent le coquillard aimablement, poliment, mais de façon consciencieuse. Au pire, ces mêmes services vous enverront paître dans les termes les plus clairs.
Peu importe les conséquences juridiques de votre incapacité à porter plainte, quand bien même l’infraction est constatée. Encore une fois, venir en aide à vos voisins est non seulement inutile mais, pire, découragé en République du Bisounoursland où tout le monde sait qu’il ne se passe jamais rien d’affreux de toute façon. Et arrêtez de nous emmerder avec votre sentiment de cambriolage de proximité, zut à la fin.
Une petite note d’espoir cependant : il apparaît, comme souvent, que là où les imbéciles douillettement installés dans leur fauteuil peuvent très bien vous encourager à rentrer dans une maison possiblement squattée (et en souffrir les conséquences dont eux se fichent éperdument), il n’en va pas de même pour les fonctionnaires qui sont au contact de la réalité de terrain, dont l’immobilité apparaît surtout comme la conséquence des lois idiotes que la République pond à rythme cadencé.
Ce témoignage pourrait être un cas particulier. Il n’en est rien, ce qui accroît le désarroi des gens honnêtes et qui ne manquera pas d’exacerber leurs réactions le jour où, devant l’inanité des politiques en place, ils se décideront spontanément à ne plus se laisser marcher dessus.
Je me demande combien de temps ce genre de clowneries dramatiques peut encore continuer…