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La nature des choses fait que l’État est
constamment en crise: crise budgétaire, crise de relations de travail,
crise du système de santé, crise de ci et de ça,
dépassement de coûts, corruption, scandales, etc. La plupart des
articles publiés dans ce magazine visent à expliquer pourquoi
les actions de l’État, fondées comme elles le sont sur la
coercition et la planification centralisée, ne peuvent logiquement
qu’entraîner des effets pervers, contraires aux intentions
(même si on les présume bonnes) qui sont
censées les motiver.
Ceux qui comprennent la science économique voient bien
qu’il est impossible de « mieux planifier »
la gestion de l’État et qu’il n’existe qu’une
seule solution à ces maux: libéraliser et privatiser, laisser
les individus eux-mêmes, dans un contexte où les droits de
propriété sont protégés et les échanges
ont lieu volontairement dans un marché libre, s’organiser pour
répondre à leurs besoins. Une solution évidemment
inacceptable pour les étatistes qui cherchent à sauver leurs
idéaux et leur pouvoir.
Après la lutte des classes, l’interventionnisme
économique, et toutes les variations sur le thème du
collectivisme qu’on nous propose depuis quelques décennies
(nationalisme, féminisme, écologisme, multiculturalisme,
libération gaie, anarchisme, antimondialisation, etc.) voici donc la
nouvelle solution à la mode pour contrer cet état de crise:
plus de démocratie. La démocratie semble être devenue la
réponse à tout chez les parlotteux du
Québec. Lorsque l’État fonctionne mal, c’est parce
que nos institutions démocratiques sont mal adaptées à
la réalité moderne. Lorsque le gouvernement prend des
décisions impopulaires, c’est parce que la population
n’exprime pas assez bien sa volonté démocratique. Si
seulement notre démocratie était plus efficace, tout baignerait
dans l’huile.
Depuis
deux ans, une coalition d’individus et de groupes favorables à
un mode de scrutin proportionnel, le Mouvement pour une démocratie
nouvelle (www.democratie-nouvelle.qc.ca),
fait campagne dans le but de susciter un débat public sur un projet de
réforme du mode de scrutin. Le gouvernement du Québec a
répondu en lançant, en septembre dernier, des États
généraux sur la réforme des institutions
démocratiques (www.pouvoircitoyen.com).
Ce comité, sous la présidence de l’ex-dirigeant du
Mouvement Desjardins Claude Béland, est présentement en
tournée dans les régions de la province.
Lorsque
des étatistes bien-pensants se mettent à promouvoir en si grand
nombre une nouvelle solution à la débandade étatique,
c’est qu’il y a sûrement de bonnes raisons de s’en
méfier.
Un système de plus en plus tyrannique
Le concept de démocratie a une connotation
positive pour presque tout le monde. Il s’oppose à tyrannie,
oligarchie, monarchie, hiérarchie, totalitarisme. Historiquement, les
démocrates ont été du côté des «
bons », des partisans de la liberté, et se sont
opposés aux méchants, partisans de tous les systèmes
détestables précédemment nommés. Entre un Hitler,
un Staline et un politicien social-démocrate démocratiquement
élu, on n’aurait aucune hésitation à choisir
d’être gouverné par le dernier. Difficile donc, de prime
abord, de s’y opposer. Mais il faut voir plus loin que cette
première réaction convenue.
Tout au
long du 20e siècle, les démocraties ont toutes connu le
même type d’évolution: une croissance inexorable de la
taille de l’État. Cela n’est pas le fruit du hasard. La
logique démocratique fait en sorte que pour avoir de bonnes chances
d’être élus, les politiciens doivent céder aux
pressions de divers groupes organisés et influents qui demandent
privilèges et redistributions de la richesse à leur profit, en
échange d’appuis électoraux. Ceci se fait bien sûr
aux dépens des citoyens ordinaires, qui voient leur liberté
constamment restreinte, et le fardeau fiscal qu’ils doivent supporter
toujours plus élevé. En fait, il est devenu pratiquement
impossible pour un politicien de connaître le succès sans
être corrompu et sans jouer à ce jeu (voir CORRUPTION POLITIQUE:
LE PROBLÈME, C'EST LA DÉMOCRATIE, le QL, no 101). Même si
la démocratie est toujours préférable au totalitarisme
fasciste ou communiste, elle est devenue un système de plus en plus
tyrannique, où la liberté est de moins en moins
protégée.
Si les
gauchistes se tournent aujourd’hui vers la démocratie
après avoir échoué dans leur tentative d’imposer
leur république populaire d’un Québec indépendant,
c’est parce qu’elle est en fait devenue un excellent
prétexte pour justifier le collectivisme. Difficile en effet
d’offrir une critique rationnelle contre une intervention de
l’État lorsque sa justification est que la population s’est
exprimée et a fait un choix démocratique dans ce sens. Comment
ose-t-on s’opposer à la volonté populaire? Et dans la
mesure où un secteur quelconque de l’économie ou de la
société a été nationalisé, si quelque
chose ne va pas, alors la réponse lorsqu’on rouspète est
toujours la même: si vous n’êtes pas satisfait et que vous
voulez changer les choses, impliquez-vous dans le processus
démocratique!
Mais voilà, lorsqu’on défend la
liberté, on n’en a rien à foutre du processus
démocratique! Si l'État prenait le contrôle de la
distribution alimentaire à la suite d’une « expression de
la volonté populaire démocratiquement exprimée »
(rien d’irréaliste dans cette hypothèse, le gouvernement
contrôle déjà notre éducation, notre santé,
notre consommation d’alcool, en partie notre logement, et bien
d’autres secteurs de production), devrions-nous nous « impliquer
» dans le débat pour savoir si les magasins d'État
devraient nous servir dix ou quinze différentes coupes de viandes et
à quel prix? Qu'arriverait-il si à cause des écueils de
la gestion bureaucratique il n'y avait du poulet que deux jours par semaine
en vente dans ces magasins? Faudrait-il manifester dans les rues et jouer le
jeu des groupes de pression pour forcer le gouvernement à en offrir
cinq ou six jours sur sept?
La
démocratie, ça fonctionnerait mieux, disent certains, si
seulement les citoyens faisaient leur « travail de citoyens
» et participaient. Mais il y a de bonnes raisons pourquoi les
gens ne le font pas et décrochent des débats politiques. Les
États aujourd'hui interviennent partout et dans tout. Allons-nous
devoir passer plusieurs heures à nous informer sur la situation du
tourisme au Québec parce que le gouvernement dépense des
millions dans l'industrie touristique? Et nous informer sur le cas des mines
en Abitibi parce que le gouvernement subventionne la recherche
minière? Et sur la situation des toxicomanes autochtones parce qu'il y
a des programmes qui coûtent des millions pour eux qui sont
peut-être mal gérés, mais qui ne le seraient pas si
seulement des milliers de citoyens écrivaient des lettres et
appelaient leur député? Mais nous avons autre chose à
faire que de nous occuper de ces histoires et des problèmes de toutes la collectivité, nous avons une vie à
vivre!!!
Prendre
de telles décisions en groupe, imposer les choix d'une majorité
simple ou même absolue à tous, est une façon de faire non
seulement absurde et inefficace, mais collectiviste. La solution n’est
pas de mieux faire fonctionner ce système en tentant de
l’influencer de l’intérieur, en participant au jeu, mais
bien de le démanteler. Ce sont les choix des consommateurs qui
devraient influencer l'allocation des ressources, pas les pressions
politiques. Il faut enlever le pouvoir de décision des mains des
politiciens et des bureaucrates et le remettre dans celles des individus,
leur permettre de faire ces choix individuellement, dans un système
fondé sur la propriété privée et le libre
marché. Nous n'avons pas à décider collectivement de «
l'avenir de notre système de santé »,
pas plus que de « l'avenir de notre système de
production et de distribution de carottes ».
Tous
ces « débats de société »
qui remplissent les pages des journaux n'existent que parce que des pans
entiers de l'économie ont été étatisés.
Privatisons-les et il n'y aura plus rien à débattre, chacun
décidera pour lui-même dans un marché libre, tout comme
on le fait lorsque vient le temps de s’acheter une paire de chaussures
ou d’aller au restaurant. Nous n'aurons plus besoin de la
démocratie, c'est-à-dire d'un système de prise de
décisions collective, pour gérer ces choix. Chacun pourra
s'occuper de ses affaires et nous pourrons cesser de nous intéresser
aux constantes réformes que les politiciens et bureaucrates concoctent
en notre nom.
Une aventure collective
La démocratie sert aujourd'hui avant tout les
intérêts des collectivistes et des étatistes. Il suffit
du vote d'une majorité pour que n'importe quelle atteinte aux droits
individuels, n'importe qu'elle nationalisation d'un secteur économique,
n'importe quel projet de réglementation ou de redistribution de la
richesse, ou privilège accordé à des groupes, devienne
justifié. La majorité le veut!
Toutes
les formes de tyrannie deviennent ainsi légitimes, dans la mesure
où les politiciens ont obtenu un « mandat démocratique
» – c'est-à-dire le vote des groupes de parasites
qu'ils favorisent et entretiennent – pour les mettre en vigueur. Mais
si la majorité votait en faveur de la lapidation des femmes
adultères, de l’expulsion de tous les individus de race noire,
ou d’une surveillance vidéo constante et systématique, y
compris dans les endroits les plus intimes, pour lutter contre la
criminalité, cela serait-il pour autant acceptable? Les droits individuels
ne devraient pas être soumis au vote et ne devraient pas être
brimés, même par la volonté d'une majorité.
Le
ministre responsable de la Réforme des institutions
démocratiques, Jean-Pierre Charbonneau, exprime parfaitement bien la
logique collectiviste qui sous-tend son projet sur la page d’accueil
des États généraux: « L’aventure
humaine, écrit-il, n’est pas une aventure solitaire. C’est
une aventure collective, et la démocratie constitue une façon
à la fois exigeante et valorisante de faire participer tous les membres
de la collectivité au gouvernement de l’ensemble. »
Pour
retrouver la liberté, c’est le contraire de chercher à
améliorer le système démocratique qu’il faut
faire. Il faut délégitimer ce système par lequel une
élite dirigeante s'approprie légalement le contrôle de
l'État et se permet de gérer notre vie dans ses moindres
détails en nous soutirant la moitié de notre revenu. Ce
processus visant à « réformer nos
institutions démocratiques » n’est en fin de
compte qu'un autre cirque de la part des politiciens et des groupes de
pression étatistes qui voient bien que la légitimité de
leur pouvoir est de plus en plus remise en question, et qui cherchent des
moyens de le sauvegarder. Nous n’avons aucune raison d’y
participer ou de nous y intéresser.
Tant
mieux si la démocratie est en crise. La démocratie est un
système immoral. La préoccupation principale des libertariens doit être de réduire le
rôle de l'État et d’éliminer les raisons de prendre
des décisions collectives, non d’aider la clique de parasites
étatiques à consolider son pouvoir sous prétexte de
mieux refléter la volonté collective.
Martin Masse
Le Quebecois Libre
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