Ce vendredi, c’est sûr, le mois de février est bien terminé, et à la fin du mois (ou au tout début du suivant), on en profite parfois pour distribuer un petit bonus. Ce mois-ci, c’est le Cinéma De La République Française du Bisounoursland qui décroche la timbale : 10 millions d’euros viendront abonder les caisses de l’État en provenance directe de Netflix et pourront donc aller dans les popoches du fabuleux petit monde du cinéma français.
On apprend en effet, suite à un entretien que Frédérique Bredin, présidente du Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) a accordé récemment au Figaro et résumé dans ce petit article de BFM que la taxe vidéo de 2% sur le chiffre d’affaires réalisé en France et imposée aux plateformes comme Netflix et YouTube va rapporter environ 10 millions d’euros pour l’année 2018.
Si ce n’est pas une fortune (et cela reste certainement moins que les 140 millions récupérés sur le dos des salles de projection et des 290 millions sur celui des chaînes télé), cela réjouit la présidente qui trouve particulièrement malin et intelligent d’intégrer ainsi les GAFA dans le système français de ponctions diverses et variées.
L’extension puis l’augmentation de cette taxe sur les nouveaux acteurs de la diffusion de films et de séries en France montre en tout cas la bonne santé de ces derniers, là où, a contrario, on sent nettement que les mastodontes déjà installés (à commencer par la télévision) subissent doucement mais sûrement l’érosion de leur marché provoquée par les nouveaux entrants.
Tout ceci est bel et bon, et on pourrait, comme la présidente du Centre National des Images qui Bougent Grâce À Vos Sous, s’enthousiasmer niaisement de l’augmentation inéluctable de la ponction sur Amazon Prime, Netflix et Youtube qui ne manquera pas d’arriver dans les prochaines années, pendant que la redevance télé, elle, continuera sa marche vigoureuse vers de nouveaux sommets fiscaux. Ou on pourrait noter, comme d’autres sur Twitter par exemple, que tout ceci sent une fois de plus la mise en place d’un racket dont seuls les inutiles et les incompétents seront les vrais bénéficiaires.
Avec la mise en place de cette taxe, tout se déroule en France comme d’habitude : un secteur, dont l’immobilisme et la sclérose mortifère s’expliquent d’autant mieux qu’il est déjà lourdement subventionné, se met à battre mollement de l’aile. Ses principaux bénéficiaires, sentant le manège ralentir alors que de nouveaux entrants, vigoureux et innovants, gagnent rapidement des parts de marché, en appellent évidemment à l’Etat pour « réguler » tout ça (comprenez : taper sur les nouveaux). Le consommateur se retrouve alors dans la situation de devoir à la fois payer les subventions du secteur moribond et les nouvelles taxes sur le secteur qui va le remplacer.
Sans compter la myriade de distributions sociales diverses qui serviront d’amortisseurs de ce terrible changement qui, grâce à tous ces efforts concertés, traînera des décennies là où l’affaire aurait été réglée en quelques années et où tout le monde y aurait retrouvé ses billes très vite.
Cela marche pour les taxis, les VTC et Uber. Cela fonctionne avec le secteur du cinéma. On peut garantir sur facture qu’il en ira de même lorsque les premiers véhicules autonomes ou toutes autres innovations feront leur apparition au Royaume de Taxatouva.
Autrement dit, les consommateurs se ruent sur Netflix plutôt que sur le cinéma français. Le streamer américain gagne d’autant plus que le cinéma français perd. Vite, faisons intervenir l’État pour arranger tout ça : en deux temps, trois mouvements, l’abonnement Netflix va augmenter pour compenser cette taxe.
Pour les politiciens, tout ceci est à la fois utile, pertinent et populaire. Dès lors, aucune raison de se restreindre, hein ?
Et c’est vrai que cette taxe sera utile : comme on l’a compris, elle permettra à Netflix de faire survivre ses concurrents boiteux, et faire perdurer un médium, la télévision, dont la population se détache progressivement au grand dam des politiciens qui ne pourront plus l’utiliser comme moyen pratique de diffusion unilatérale de leur parole.
Comme toute taxe, elle sera évidemment pertinente et bien pensée, et ce d’autant plus que certains abonnements Netflix sont maintenant payés grâce au Pass Culture, lui-même financé par une autre taxe finement ouvragé dans la dentelle fiscale française que nos députés, nos sénateurs et nos ministres brodent à un rythme de plus en plus soutenu. Tout observateur lucide comprend toute la pertinence de ce jeu de vases communicants ; l’État montre ici encore qu’il n’est qu’un gros bébé de plus en plus idiot, passant sa bouillasse de marmites en marmites et qui en renverse copieusement des lichettes à chaque manipulation, tout en braillant à qui veut l’entendre qu’il travaille très fort et très dur à cette tâche imbécile.
Enfin, comment ne pas se rappeler de tous les secteurs essentiels, de tous les commerces, toutes les spécialités qui furent maintes et maintes fois sauvées du désastre par un impôt, une taxe ou une interdiction ? La liste est longue (et je ne vais pas encombrer mes lecteurs avec) de ces réussites fiscales tonitruantes qui justifient donc à elles seules cette taxe et démontrent amplement sa pertinence !
Quant à son aspect populaire, il ne fait aucun doute. Qui, en France, n’aime pas payer plus cher pour à peu près tout grâce aux efforts désordonnés de l’État ? Qui voudrait payer son carburant à sa juste valeur ? Qui diable souhaiterait toucher tout son salaire ?
Dès lors, cette « taxe Netflix » est une aubaine populaire car, c’est connu, les gens aiment payer plus cher pour un service équivalent et ce d’autant qu’en plus, ils payent la redevance audiovisuelle qui nous offre télé réalité, eurovision d’anthologie, des documentaires justes et palpitants comme Cash Dénonciation, du Ruquier tant qu’on peut dans un onctueux mélange de moraline culpabilisante et misérabiliste.
Oui, décidément, populaire, pertinente et utile, cette taxe permettra au Cinéma français, à la Télévision française et à la Culture française de réaliser de nouvelles conquêtes d’abord dans le cœur des citoyens français, puis, soyez en sûr, dans le reste du monde qui s’empressera enfin (enfin !) de copier notre système qu’il envie depuis déjà longtemps !