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Il n’y a pas de banques suisses
dans Goldfinger bien que « Goldfinger, en argent liquide, soit l’homme le plus
riche d’Angleterre. A Zurich, Nassau, Panama et New York, il
possède l’équivalent de vingt millions de livres sterling
en lingots d’or dans des coffres. » Mais Goldfinger
utilise la Suisse comme place tournante de ses activités de trafic
d’or (ce qui était illégal dans certains pays
européens à cette époque-là). Il y a une usine
discrète dans laquelle il fond des pièces de voiture en or pur
pour ensuite les mettre en banque ou bien les transporter par bateau. La
Suisse n’a jamais eu de contrôle des capitaux interdisant le
transport libre de l’or ou de tout autre métal précieux,
et ceci en fait le premier marché, aujourd’hui encore, pour
l’or. Dans ce film, Goldfinger utilise la
liberté accordée par la Suisse à son avantage.
Le Colonel Smithers
explique l’intérêt des services secrets britanniques pour
les opérations de M. Goldfinger pendant le
diner à la Banque d’Angleterre.
« La chose la plus importante à se rappeler
à propos de l’or, c’est qu’il constitue la
matière première la plus facilement négociable et ayant
le plus de valeur au monde. Vous pouvez aller dans n’importe quelle
ville au monde, donner une pièce d’or et recevoir des biens ou
des services en échange. N’est-ce pas ? » La voix
du colonel Smithers avait pris une nouvelle
vivacité. Ses yeux brillaient. Il était prêt à
lancer son discours. Bond s’était rassis un peu en
arrière. Il était prêt à écouter quiconque
maîtrisant son sujet, n’importe quel sujet. « Et la
chose suivante dont il faut se souvenir », le colonel Smithers tenait sa pipe en hauteur comme pour lancer un
avertissement, « c’est que l’or ne laisse pratiquement
pas de traces. Les Souverains
n’ont pas de numéros de série. Si les lingots ont
l’estampille de la Monnaie qui les a émis, ces marques peuvent
être effacées ou bien les lingots peuvent être refondus en
de nouveaux lingots. Cela rend la traçabilité de l’or
quasi impossible, tout comme son origine ou ses mouvements autour du globe.
En Angleterre par exemple, nous à la Banque, ne pouvons compter que
l’or que nous détenons dans nos propres coffres, l’or
détenu dans les coffres des autres banques et à la Monnaie et
ensuite faire une estimation grossière des quantités
détenues par l’industrie de la joaillerie et les fraternités
des Monts-de-piétés. »
“Pourquoi êtes-vous si soucieux
de savoir combien il y a d’or en Angleterre?”
“Parce que l’or et les monnaies garanties par l’or sont le
fondement de notre système international de crédit. Notre seul
moyen de déterminer la véritable valeur de la Livre, et le seul
moyen pour les autres pays de l’estimer, c’est d’avoir
connaissance de la quantité de contrevaleur garantissant notre
monnaie. « Et ma tache principale M. Bond”, - et les yeux
affables du Colonel Smithers étaient devenus
subitement perçants-, « c’est de contrôler toute
fuite d’or en dehors de l’Angleterre –en dehors de tout
lieu extérieur à la zone sterling. Et si je suspecte une fuite,
une échappée d’or vers un pays dans lequel il peut
être échangé à un taux plus profitable que notre
cours officiel, il est de mon devoir de mettre le CID Escadron d’Or sur
les traces de l’or fugitif et de le ramener dans nos coffres, de
colmater la brèche et de mettre les personnes responsables sous les
verrous. Et le problème, M. Bond, » et le colonel Smithers fit un haussement d’épaules
désespéré, « c’est que l’or
attire les plus grands criminels et aussi les plus ingénieux. Ils sont
très, très difficiles à attraper. »
“N’est-ce pas seulement une
phase temporaire? Pourquoi la rareté de l’or devrait-elle
continuer? Il semble qu’on en retire suffisamment et à un rythme
soutenu du sous-sol africain. Il n’y en a pas assez pour qu’il
circule? N’est-ce pas comme n’importe quel autre marché
noir qui disparait dès que l’offre augmente, comme le trafique
de pénicilline après la guerre ? »
“Je crains que non,
M. Bond. Ce n’est pas si facile que ça. La population mondiale
augmente au rythme de 5 400 chaque heure de chaque jour. Un petit pourcentage
de ces personnes devient des détenteurs d’or, des gens qui ont
peur des monnaies-papier, qui aiment à enterrer quelques souverains
dans leur jardin ou sous leur lit. Un autre pourcentage a besoin
d’amalgame-or pour ses dents. D’autres ont besoin de lunettes
à monture dorée, des bijoux et des bagues de fiançailles.
Tous ces gens vont ôter quelques tonnes d’or par an du
marché. De nouvelles industries ont besoin de fil d’or, de
feuilles d’or et d’amalgames d’or. L’or
possède des propriétés extraordinaires qui peuvent
être mises en œuvre tous les jours. Il est brillant,
malléable, ductile, presque inaltérable et plus dense que la
plupart des métaux excepté le platine. Ses usages sont multiples. Mais il a
deux défauts. Il n’est pas assez dur. Il s’use vite et
reste dans la doublure de nos poches et sur notre peau. Chaque année,
le stock mondial d’or se réduit par friction. J’ai dit que
l’or avait deux défauts. »
Et le colonel Smithers eut un regard triste.
« L’autre, et de loin le plus gros, est qu’il
constitue un talisman contre la peur. La peur, M. Bond, retire l’or de
la circulation et le thésaurise en prévision de jours maudits.
Dans une période de l’histoire, dans laquelle demain pourrait
être ce jour maudit, il est assez juste de dire qu’une large
proportion de l’or qui est extraite du sol à un coin du monde
est immédiatement ré-enterrée à un autre. »
Goldfinger (1959)
Ian Fleming
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