Les
salves de coups de semonce tirées les jours précédents
vont-ils être entendus ? L’heure était hier mercredi
à la détente sur les différents marchés, dans
l’attente des résultats de la réunion de ce jour de la
BCE. Le président de la commission, José Manuel Barroso, profitait de l’occasion pour exprimer
« toute sa confiance » dans la capacité
qu’a la BCE à « prendre les décisions
nécessaires pour garantir la stabilité financière de la
zone euro ». Nous voilà rassurés.
Certes,
elle seule dispose des moyens de stopper la brutale glissade engagée
en début de la semaine. Car la BCE alimente en liquidités les
banques des pays de la zone des tempêtes et de ceux qui s’en
approchent dangereusement, afin qu’elles ne s’écroulent
pas ; elle intervient également sur le marché obligataire
secondaire européen, afin de tenter de limiter les
dégâts. Deux activités dont elle cherche à se
libérer, mais qu’elle risque cependant de devoir poursuivre et
développer.
Le
consensus cher aux économistes s’est donc établi autour
de l’idée qu’elle allait devoir une nouvelle fois manger
son chapeau. Ayant ces deux armes à sa disposition : la poursuite
de son programme de distribution de liquidités, dont elle
annonçait l’extinction pour le début de
l’année prochaine, et l’accroissement de ses achats
obligataires, pour aller au-delà des limites qu’elle
s’était elle-même fixées.
Sa
réponse ne tardera pas aujourd’hui. Mais, même allant dans
ce sens, elle permettra uniquement de gagner du temps et ne résoudra
rien. Ce qui explique la floraison enregistrée ces derniers temps, du
côté des analystes financiers, de nombreux projets
destinés à prendre à bras le corps la crise. Ce milieux ayant enregistré l’urgence de faire
preuve d’innovation, quitte à bousculer les blocages politiques
actuels.
Cela
part un peu dans tous les sens. Le projet d’émission
d’obligations européennes – des euro-obligations –
réapparaît d’un côté, soutenu par Jean-Claude
Junker, chef de file de l’eurogroup, avec
l’idée d’attirer comme investisseur la Chine ; celui
d’un Fonds monétaire européen construit sur les
bases de l’actuel fonds de stabilité (l’EFSF) de
l’autre. Des facilités pourraient alors être mises
à disposition des pays européens avant qu’il
n’entrent dans la tempête, sur le modèle de la
ligne de crédit flexible mise en place par le FMI et que la Pologne a
dernièrement utilisée.
L’augmentation
des ressources de l’EFSF est également préconisée,
ainsi que le changement d’affectation de ses aides financières,
afin qu’il acquière dorénavant des obligations
d’Etat, ou bien encore qu’il entre directement au capital des banques
qui en auraient besoin.
La
BCE, enfin, pourrait selon d’autres s’engager
véritablement sur le marché obligataire autrement qu’en
se pinçant le nez, adoptant peu ou prou la même
résolution que la Fed.
Sans
entrer dans les finesses de tel ou tel plan, ils reviennent tous à
transgresser de deux manières possibles la stratégie actuelle.
Dans un cas, en mutualisant d’une manière ou d’une autre
la dette publique européenne, dans le but de diminuer le coût de
son financement ; dans l’autre en passant outre – d’un
coup ou progressivement – l’interdiction faite à la BCE de
monétiser directement cette même dette (car elle ne se prive pas
de le faire indirectement, via les banques). Une option qui
n’était revendiquée que par les opposants de toujours
à cette disposition de ses statuts, mais qui est dorénavant prise
comme hypothèse dans des cercles où on ne l’attendait
pas. Souvent proches, il est vrai, d’intérêts britanniques
peu favorables à l’euro.
L’une
ou l’autre de ces deux transgressions n’est cependant
envisageable – mettant en cause les positions défendues
jusqu’à maintenant avec acharnement par les Allemands –
que si la crise devenait totalement incontrôlable.
Reste
l’option de l’accroissement des garanties accordées par
les Etats au fonds de stabilité (EFSF). En venant de démentir
que des discussions sont en cours afin que le FMI accroisse sa part, sans
toutefois en exclure la possibilité, les Américains ont
accrédité l’idée qu’elle est dans
l’air. Rappelant la suggestion en ce sens d’Alex Weber, le
président de la Bundesbank, qui a été prestement escamotée
la semaine dernière mais qui devrait rejaillir à la
première occasion, car elle la plus facile à suivre de toutes
celles qui sont actuellement mises sur le tapis.
Pour
que la BCE se désengage, il faut en effet que les Etats
s’impliquent davantage, via l’EFSF si nécessaire, ce qui
explique la position d’éclaireur d’Alex Weber, connu pour
vouloir accélérer ce processus.
Mais
cette option – si elle prévaut – ne réglera pas
tout, bien au contraire. Si la capacité de l’EFSF à faire
face à un éventuel sauvetage de l’Espagne est pour certains discutable – tout dépendant en
réalité du coût effectif de celui-ci – son
véritable mécanisme est mieux perçu. Devant soutenir
l’Espagne, le fonds deviendrait alors une véritable bombe
à retardement, en générant deux effets pervers. Il
risquerait en effet de devoir emprunter sur le marché obligataire
à un taux de plus en plus élevé, répercutant
ensuite ce surcoût sur ses prêts, décrédibilisant
d’autant la perspective déjà douteuse de son
remboursement. Il verrait également se réduire le nombre de
pays lui apportant leur garantie, augmentant le volume de celle-ci pour
chacun d’entre eux, avec à la clé une probable hausse de
leurs taux obligataires.
L’idée
que l’Europe serait désormais à deux vitesses
– un pôle fort et un autre faible – peut induire en erreur,
permettant de penser qu’un éclatement de la zone euro
réglerait tout. L’interdépendance entre eux deux est en
effet telle que cette distinction est finalement secondaire, car leurs sorts
sont désormais financièrement encore plus liés par le
mécanisme de l’EFSF. Il le sera même davantage, si
l’enveloppe des garanties concédées par les Etats
était élargie.
En
adoptant une telle disposition, on pourrait espérer gagner encore du
temps, afin que le nouveau mécanisme de crise soit fin prêt, prévisionnellement mi-2013. Et aussi que le tabou
de la restructuration de la dette soit tombé, les banques étant
entretemps en meilleur condition pour l’absorber. Car il serait sinon
nécessaire de trouver une parade aux effets de la nouvelle onde de
choc qu’elles encaisseraient.
Malheureusement,
l’exécution de ce beau plan est soumis
à trop d’aléas pour être vraiment crédible.
D’autant que les banques – composante essentielle des
marchés – considèrent désormais comme un
acquis sur lequel il ne peut être question de revenir qu’elles
sont intouchables et sous protection. Une habitude vite acquise.
Billet
rédigé par François Leclerc
Paul Jorion
pauljorion.com
(*) Un « article
presslib’ » est libre de reproduction
en tout ou en partie à condition que le présent alinéa
soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est
un « journaliste presslib’ » qui
vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il
pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui
tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.
Paul Jorion,
sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix
dernières années dans le milieu bancaire américain en
tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié
récemment L’implosion. La finance contre l’économie
(Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ? (La
Découverte : 2007).
|