« La plus petite minorité sur la terre est
l'individu. Ceux qui nient les droits individuels ne peuvent pas
prétendre être les défenseurs des minorités. »
Capitalism : The Unknown Ideal
Un
siècle après sa naissance et plus d'une décennie
après sa mort, Rand reste l'un des auteurs les plus vendus et les plus
influents dans la culture et la pensée américaine. Née en
Russie en 1905, dans une famille juive aisée sous le nom
d’Alyssa Zinov'yevna Rosenbaum,
elle assiste en direct à la révolution bolchévique
à Saint Petersbourg. Après des
études d’histoire et de philosophie, elle se passionne pour le
cinéma américain, véritable rayon de soleil dans
l’enfer collectiviste soviétique. Elle parvient finalement
à fuir l'URSS en 1926 et s'installe aux États-Unis, ne sachant
pas un mot d’anglais. Elle publie son
premier roman en 1936, We the living (Nous les vivants), puis,
en 1943, The Fountainhead
(La Source vive), suivi d’Anthem en 1946 (Hymne), et d’Atlas Shrugged en 1957. Il a fallu 12 ans à Ayn Rand
pour achever l’écriture de ce roman de 1800 pages qui n’a
pas connu immédiatement le succès. Au total, quelque 20 millions d'exemplaires des livres de Rand ont
été vendus aux États-Unis, dont plus
de 7 millions de copies pour le seul Atlas
Shrugged. Ce roman figure désormais au
troisième rang des « classiques de la littérature
américaine » les plus achetés sur le site de vente
en ligne Amazon. La 1ère
partie du film, inspiré de l'ouvrage
éponyme d'Ayn Rand, est sortie le 15 avril
sur les écrans aux Etats-Unis.
Dans
Atlas Shrugged,
le discours fleuve que prononce John Galt à
la radio est un véritable manifeste des principes de
l’Objectivisme, philosophie qui veut donner une base éthique et
philosophique au capitalisme. Avec ce roman, elle acquiert une vraie
renommée dans le pays et sera finalement invitée à
prononcer des conférences dans les plus grandes universités :
Yale, Berkeley, Princeton, Columbia, Harvard, malgré la
méfiance qu’elle continuera d’inspirer à la plupart
des intellectuels académiques.
L'individualisme radical d’Ayn Rand
Ayn rand a vu de près la
réalité et les conséquences du collectivisme et du culte de
État en URSS. Mais elle a été surprise de
constater que l’Amérique des années trente était
séduite par les idées communistes. Dès
l’origine, Ayn Rand a fait de
l’individualisme son combat. On peut le qualifier de moral ou de
rationnel car il défend le droit fondamental de chaque individu
à vivre librement, selon son propre jugement.
Howard
Roark, le héros de The Fountainhead est un personnage emblématique
de cet individualisme que défend Ayn Rand.
Architecte, il lutte seul contre tous pour faire reconnaître son droit
de libre créateur. C’est un
individualiste déterminée à poursuivre sa vision
artistique dans un monde collectiviste. Traduit devant un
tribunal, il défend sa propre cause dans un plaidoyer retentissant en
faveur de l'indépendance individuelle.
La philosophie objectiviste
A partir du début des années 50, Ayn Rand cherche
à fonder l'individualisme sur les exigences d'une nature humaine
définie objectivement. Dans la Vertu d’égoïsme, en
1964, elle reprend les thèses exposées dans Atlas Shrugged
en 1957 mais sous une forme systématique. Dans cette démarche
philosophique, elle s’inspire principalement d’Aristote
qu’elle oppose souvent à Kant
La
philosophie objectiviste s’articule autour de cinq parties logiquement
emboîtées :
*
Métaphysique, la théorie de l’existence : l’existence
comme seule réalité
* Épistémologie,
la théorie de la connaissance : la raison comme
seule norme de vérité
*
L'éthique, la théorie des valeurs morales : l’accomplissement
de soi comme seule norme éthique
* Politique, la théorie
des droits et du gouvernement : la justice comme seule
norme politique
* Esthétique, la
théorie de la nature de l'art : le beau comme seule
norme esthétique
Il existe une relation hiérarchique entre ces
thèses. A la racine se trouve la métaphysique, l'étude
de l'existence et de la nature de l'existence. L'épistémologie,
l'étude de la connaissance et de la façon dont nous connaissons
la réalité, lui est étroitement liée.
L'épistémologie est dépendante de l'éthique,
c’est l'étude de la manière dont l'homme doit agir. L'éthique
repose sur l’épistémologie parce qu'il est impossible de
faire des choix sans connaissance. La politique est une sous-partie de
l’éthique : c’est l'étude de la façon dont
les hommes doivent interagir dans une société ouverte.
L’esthétique est une sous-partie de la métaphysique, de
l’épistémologie et de l’éthique.
L'éthique objectiviste : la vertu de
l'égoïsme rationnel
L’éthique
est la science dont la fonction est de définir et de mettre en forme
un code de valeurs. Une
fondation appropriée de l'éthique consiste à
définir un critère de valeur auquel tous nos objectifs peuvent
être comparés. Or la vie proprement humaine se
confond avec la vie rationnelle, car seul l’usage de la raison permet
à l’homme de mener son existence propre. Pour exceller en tant
qu'être humain, l'homme doit vivre selon son propre jugement et rechercher
son intérêt rationnel. Le but éthique et rationnel de
chaque individu est la réalisation de son intérêt propre,
de son bonheur.
Cet
égoïsme rationnel s'oppose à l'altruisme, au tribalisme et
à toute forme de collectivisme c’est-à-dire de sacrifice
de soi-même au profit d’un autre. Les intérêts
individuels ne doivent en aucun cas être sacrifiés à un
intérêt collectif. Seuls les individus ont des droits. La
communauté en tant que telle n'en a pas.
Les droits de l’homme
Les droits de l’homme se résument dans le droit pour un
individu d’utiliser sa raison, à l’exclusion de toute
coercition, pour mener sa propre vie. Raison et liberté vont de pair.
Aucun homme ne peut obtenir les valeurs des autres par le recours à la
force physique, et aucun homme ne peut initier le recours à la force
physique contre les autres. Les hommes devraient se traiter entre eux, non
comme des victimes et des bourreaux, ni comme des maîtres et des
esclaves, mais comme des commerçants, par des échanges
volontaires à l'avantage mutuel.
La
différence entre pouvoir économique et pouvoir politique
L'État est détenteur du monopole
légal de la force physique. La nature de l'action étatique est
l'action coercitive. La nature du pouvoir politique est d'obtenir
l'obéissance sous menace de contraintes physiques, que ce soit la
menace d'amende, d'expropriation, d'emprisonnement ou de mort.
Par contre sur un marché libre, aucun
individu, aucun groupe privé ne dispose du pouvoir d'imposer à
d'autres individus ou groupes d’individus d'agir contre leurs propres
choix. Les individus commercialisent leurs biens et services selon leurs
avantages mutuels, selon leur propre jugement exercé sans contrainte.
On ne peut s'enrichir qu'en proposant des biens ou des services d'une plus
grande valeur ou à prix moindre que ce que les autres sont capables
d'offrir.
Il en résulte que :
·
le pouvoir économique s'exerce par des moyens positifs,
il offre à chacun une récompense, une incitation, un paiement,
une valeur ;
·
le pouvoir politique s'exerce par des moyens négatifs,
par la menace de la punition, de l'emprisonnement, de la destruction.
L'outil de l’entrepreneur est la
création de valeur, celle du bureaucrate est la création de la
peur. L’entrepreneur rend un service à la société,
le bureaucrate la parasite.
Le capitalisme de laissez-faire
Ceci conduit Ayn Rand à défendre
l’idée d’un gouvernement limité ou d’un
État ultraminimal, dans l’esprit des
Pères fondateurs. L’État doit avoir
une fonction strictement limitée de protection des droits contre
l’agression. Ce principe a trois conséquences :
- La force est légitime
seulement si elle est exercée en réponse à une agression
initiale.
- L’État doit être
doté des moyens de la force publique pour réprimer ce type
d’agression.
- Il doit agir dans le cadre de lois
justes qui établissent clairement les droits et les devoirs de chacun.
Le
« capitalisme de laissez-faire » est le seul
système politico-économique compatible avec ces principes. Il
s’agit d’un système dans lequel les gens
travaillent pour eux-mêmes et ont le droit de penser et de vivre selon
leur propre conscience. Les partisans du capitalisme de laissez-faire sont
par conséquent les seuls défenseurs des droits de l'homme selon
Ayn Rand.
L'économie
de marché est en effet compatible avec une perspective morale car
c’est un système qui repose sur le jugement individuel, sur la
capacité d'identifier, et d'évaluer la valeur réelle ou
potentielle d’un objet. Or, il n’y a
d’actions morales que volontaires et choisies. Dès lors
qu’une action est forcée, elle perd sa dimension éthique
et ne peut être celle d’un homme vertueux. Nous sommes
moralement bons, responsables et dignes de respect dans la mesure où
nos actes découlent de notre propre volonté, et non de la
coercition. Le capitalisme est garant de cet espace moral et de
l'autonomie individuelle car il est fondé sur la
propriété.
L’actualité d’Ayn
Rand
En 1991, une enquête réalisée par la
bibliothèque du Congrès a constaté qu’Atlas Shrugged était
le deuxième livre le plus influent pour les américains, juste
après la Bible. En 2009, ses ventes ont
triplé. En effet, ce livre décrit
sous une forme littéraire ce que chacun peut désormais observer
tous les jours : les interventions de l’État dans le
domaine de l’économie ont des conséquences opposées
aux buts annoncés. Les politiciens veulent apporter des
réponses aux crises que, dans la plupart des cas, ils ont
eux-mêmes créées. Ils votent de nouveaux programmes
gouvernementaux, des lois et des règlements qui faussent les
prévisions des acteurs du marché et provoquent une plus grande
incertitude, inspirant aux hommes politiques de nouveaux programmes. Le
scénario se répète jusqu'à ce que les secteurs
productifs de l'économie s’effondrent sous le poids des taxes et
autres charges imposées au nom de l'égalité et de
l’altruisme. En 2009, de nombreux américains ont relu Atlas Shrugged
comme un livre prémonitoire.
Le retour d'Ayn Rand sur le devant de la
scène aux États-Unis depuis quelques années ne peut se comprendre
que dans le contexte d'une tradition américaine qui accorde le primat
aux libertés locales sur le gouvernement fédéral. Or
beaucoup d’américains critiquent la dérive de Washington
vers une forme de Big Government
qui rompt avec toute la philosophie des Pères fondateurs. D'où
le succès d’un mouvement populaire comme celui du Tea Party qui a fait d’Ayn
Rand l’une de ses références majeures.
Un
livre de synthèse : The Virtue of Selfishness (1964), traduction française : La Vertu d'égoïsme, Paris, Les Belles Lettres, 1993.
Bibliographie selective
Philosophy Who Needs It? (1962)
Capitalism The Unknown Ideal (1962)
The Romantic Manifesto (1969)
Introduction to Objectivist Epistemology (1990)
Films
En 1949, The
Fountainhead a été
adapté au cinéma
par King Vidor, avec Garry Cooper et Patricia Neal. Le
titre français est Le rebelle
(version sous-titrée).
The Passion of Ayn Rand, 1999, avec Helen Mirren et Peter Fonda,
adaptation de la biographie de Barbara Branden
(1986).
Ayn Rand :
a sense of life. Un documentaire écrit,
produit et dirigé par Michael Paxton en 1997.
Atlas Shrugged
: Part I est un film de Paul Johansson, sorti
en avril 2011 aux USA.
La traduction française d'Atlas Shrugged
sort le 22 septembre 2011 aux Belles Lettres sous le titre : "La
Grève".
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